Collection d'instants fugaces...

COLLECTION D'INSTANTS FUGACES

Je suis une collectionneuse.

Je collectionne les grenouilles en pierre, je collectionne les kangourous -à défaut d'en avoir de vrais-, je collectionne les poissons en verre ou en porcelaine et puis les requins et les baleines en plastiques, les plus rares possibles.
Petite, je collectionnais les timbres dans des albums, les sauterelles dans des sacs en plastique. Et les mauvaises notes en maths. Mais j'ai arrêté. Trop de boulot. J'ai aussi collectionné les fautes d'orthographe mais je n'aimais pas non plus : trop de mauvaises notes et trop de copie. Enfin ça a été long.
J'ai collectionné les ortho-machin ; c'était des gens dont le métier est de réparer ce qui ne va pas chez toi : orthophoniste, orthoptiste, orthodontiste. Ils ont fait ce qu'ils ont pu : je fais encore des fautes, je porte des lunettes et j'ai encore quelques dents de travers... Mais rien de catastrophique.
Vers 14/15 ans, j'ai collectionné les boutons rouges, noirs et blancs que peu d'entre nous ont la chance d'éviter.
J'ai collectionné pas mal de maladies et encore aujourd'hui, mais je n'ai pas envie d'en parler, parce que ça fait partie des collections que je n'ai pas souhaité faire. C'est mon corps qui a décidé.
C'est souvent que notre corps décide à notre place et qu'on y peut rien. Mais souvent aussi, en fait, on ne le sait pas la plupart du temps, mais souvent, il a raison. Questionnez-le ou prenez le temps de l'écouter, vous verrez qu'il a raison.
Non que l'esprit ait tout le temps tort, mais justement, l'esprit fait de l'esprit et oublie sur quoi il est implanté. Un peu comme une plante qui oublierait ses racines et se prendrait pour une plante épiphyte.
Ouais, je fais de temps en temps la collection de mots rarement usités. C'est marrant, ça agrémente, ça empêche que le lecteur somnolant ne s'endorme tout-à-fait sur les mots trop connus.

Et puis je collectionne les images. Pas dans mes tiroirs et ni dans un album. Dans ma tête.

Enfin si, quand même, je collectionne les images que j'aime bien, des images que j'ai faites moi-même avec une boîte qui règle tout toute seule ; bon des photos. Mais y a pas que les classiques photos-famille ou photos-portrait ou paysages, il y a les photos prises pour servir de modèles pour en faire des tableaux, alors ce ne sont plus que de bêtes photos qui vont dormir dans un album ou dans la pochette du photographe...

Mais je mets aussi des images dans ma tête, quand j'ai pas le temps de faire une photo et que la vue vaut vraiment le coup. Alors je me dis « photo » au moment où l'image pourrait être photographiée et comme ça l'image peut y trouver refuge. Bien sûr pour ne pas l'oublier, il faut aller la voir de temps en temps.

Ainsi, j'ai la « photo » d'une petite fille qui joue dans la terre. Elle est accroupie et me regarde. Il y a le ciel très bleu, la végétation très verte (avec pourtant quantité de verts différents) et la terre très noire parce que c'est une région très volcanique du Rwanda. Pourtant c'est cette petite fille en maillot rouge qu'on voit le mieux. Ça aurait fait une très belle photo, je l'aurais fait agrandir puis encadrer et j'aurais été fière. Mais elle est bien, là, au chaud dans mes pensées. Je la partage avec celui qui fut ce jour là près de moi. Dans mon souvenir, la petite fille me regarde et c'est ce regard-là ou plutôt notre échange à cette seconde là dont je suis le plus fière.


Et c'est ça ma plus belle collection. Une collection de regards.
Il y a le regard de ce bébé tout petit que j'ai croisé l'autre jour et qui m'a suivie des yeux longtemps simplement parce que je faisais pareil.
Il y a le regard de cette enfant le jour où elle a compris comment faire pour lire un mot sans mélanger les sons et celui de cet enfant surpris que je ne lui grille pas sa place à la boulangerie.

Il y a mon regard stupéfait le jour où, dînant dans un petit resto à la frontière entre le Mexique et le Guatemala, j'avais abandonné l'os de ma patte de poulet à un chien famélique et où quelques instants plus tard, je l'ai vu défendre son bien avec un gosse encore plus maigre que lui.

Il y a le regard de mon homme lorsque je lui plais et que c'est réciproque.
Il y a le regard plein de joie et d'émotion de mon prof de théâtre lorsqu'il vient nous féliciter à la fin d'une scène particulièrement réussie .
Il y a tous les regards de bonheur joyeux que j'ai croisé le jour où je me suis mariée et le regard d'émotion humide dans les yeux de son mari le jour où j'ai lu l'épitaphe de sa femme décédée brusquement.


Il y a de par le monde des milliers de paires d'yeux avec lesquels nous n'accrocherons pas, mais il y a des millions de regards avec lesquels, sans un mot, sans un geste et sans même une parole, nous accrocherons tout de suite, parce qu'en même temps nous avons été témoins de quelque chose qui un instant nous a réunis. Et parce que cela nous a donné du bonheur, nous ne l'oublierons pas. Même si c'était un bonheur empreint de tristesse. Nous ne l'oublierons pas.


Parce que ces rencontres-là sont absolument imprévisibles et qu'elles nous sortent du quotidien.
Voilà pourquoi c'est ma plus belle collection.
Parce qu'elle me donne du bonheur sans compter et m'aide à meubler les longs moments d'attente, à égayer les jours de peine ou alléger les heures de souffrance.


Et voilà pourquoi j'encourage tous ceux et celles qui sont parvenus jusqu'à ces lignes à démarrer eux aussi une belle collection du même genre. Mais, à bien y réfléchir, je suis sûre que, beaucoup d'entre vous l'ont commencée depuis longtemps. Sans s'en apercevoir.
C'est fou tout ce qu'on peut faire sans s'en apercevoir....


Cathecrit, le 10 septembre 2007
Vous comprendrez ainsi tous bien mieux pourquoi je regrette vraiment de ne pas être parmis vous le 29.... Mais, pour sûr, il y aura d'autres 29...

Bien, vraiment bien ce texte ; bonne idée les collections de photos imaginaires, de regards, de maladies, etc...
Je me demande si je ne te préfère pas en prose
Tu pouvais poster en nouvelles, mais ici ça passe aussi.


à corriger :
ait tout le temps tort, (contrairement au tord-boyaux, même s'il tue aussi)
épiphyte (pourtant nous avons un membre portant ce pseudo),
tout de suite ("de suite" sans "tout" s'emploie pour une suite, par ex. j'en ai vu passer 3 de suite),
empreint de tendresse (erreur fréquente : emprunt c'est d'emprunter, de l'argent par exemple)

Merci Filo,
C'est corrigé et en plus j'aurais pu les éviter sauf le "tout de suite" parce que je ne vois pas d'erreur, je veux dire que je ne discute pas l'erreur d'une manière grammaticale, mais c'est une forme que j'utilise couramment. D'où....
J'ai même corrigé d'autres erreurs comme Guatemala sans é et puis épitaphe sans y... et quelques maladresses encore.
Merci pour ton avis éclairé qui m'importe beaucoup.
A plus tard..
Cath

J'avais raté ce texte, dis donc ! C'est pourtant plein d'émotion, et puis j'ai adoré ce que tu dis, ta sensibilité.
Au niveau écriture, je n'ai rien à dire (d'abord parce que le filo est passé avant moi), ce qui montre quand même que ça passe vraiment bien.
Jolie, ta collection de regards. Moi j'en ai aussi, des moins gais souvent, mais aussi de très émouvants. De belles rencontres et de grandes douleurs. Et puis le regard d'un homme, un regard si magnifique... tiens, je vais poster "ange/démon", tu comprendras mieux...

Merci 'tite Constance ! Je découvre ton post à pas d'heure alors qu'enfin je n'ai plus trop mal et je vais aller plonger vers mes draps chauds... Donc, je garde Ange/démon pour demain.
Et toi tu pourras aller voir la rubrique "tac au tac" où j'ai fais mumuse avec joie et délectation !
A plus tard amie poète...
Cath

Je crois bien qu'on est deux au moins, mais sûrement bien plus à collectionner ce genre d'instants fugaces et en même temps étincelants tant il est vrai que les regards parlent quand on sait s'y attarder. Je collectionne aussi les regards jetés sur des paysages, des objets, des mots et suis toujours aussi surpris qu'un si court instant puisse marquer la mémoire au point qu'il est possible de le restituer avec grande fidélité...J'ai la faiblesse de penser que ta collection est une des plus belles qui vaille. J'y ajouterais quelques petits gestes: un signe de la main, une main dans une autre, une main qui effleure une joue...Amicalement.
Ton texte est plein d'une certaine tendresse.

Merci Geho,
Ravie vraiment de savoir que tu collectionnes aussi et bien sûr, je me suis attardée sur les regards mais on peut faire d'autres belles collections comme celles que tu as cité.
Petit détail : je suis particulièrement émue que tu ai posté ce message le 17, il y a 8 jours, alors que j'étais dans les vappes, sur le billard. Je vais essayer de ne pas collectionner ces instants là... Et, je le sais il faut que j'arrête d'y faire référence, mais c't'encore trop frais. Patience...
A bientôt
Cath

Je les aime ces moments fugaces, je ne suis pas une collectionneuse, je les laisse passer et je reste un temps dans leur sillage...
Ton texte est agréable à lire et le regard que tu portes sur le monde est empreint de tendresse.

Merci Garance, tu remets ce texte au goût du jour ; il a plu chaque fois que je l'ai fait lire, en ligne ou autrement...
J'ai beaucoup d'affection pour ce petit bidule et tout est absolument vrai et depuis des années. Et, depuis toujours peut-être !