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Je me souviens des nuits, je me souviens… je me souviens… d’un vertige mémoire à renverser l’aplomb de la terre sous les pieds. Abîmes d’infortunes aux robes écarlates, soulevées jusqu’à l’indécence par les doigts sans relâche, les doigts du pillage, les doigts accrocheurs des cauchemars en cris inversés, rentrés, étouffés, de ces cris comme on est aux abois quand s’érige le mur et qu’on sait qu’on ne le passera pas. Je me souviens des nuits. Je me souviens des nuits aux pieds des pierres glacées, je me souviens du mur où se crevaient les cris, dégringolant leur sens jusqu’au centre du point de rien…
Dans le pré, là-bas, derrière le mur, il y a la fraîcheur de l’herbe sauvage, cheveux défaits sur l’oreiller de terre, prête à l’amour que déjà le ciel lui fait à balayages déliés, dans l’ampleur de ses aubes de brumes, de la brûlure de ses étés aux immobilités tremblantes, de ses crépuscules en étoiles une à une allumée… autant d’infimes percées de lumières, l’œil de l’attente… le multiple regard aux directions intenses, comment ne pas… comment…
Elle… elle était moi mais je l’ai presque oubliée. Elle était moi, elle ne me ressemble pas. Elle ne me ressemble plus. J’ai troqué ma peau du néant contre celle en faisceaux paumes ouvertes vers… vers… en paumes ouvertes vers.
Pourtant je porte encore ses silences, quand les mots n’existent plus, quand à l’appel de leur définition ils ne répondent pas parce qu’ils se savent si exigus dans leur chambre en mètres trop carrés qu’ils en oublient de frémir. Je porte ses regards à vomir leurs silences, à fuir loin, plus loin encore au recul du seuil qu’on peut encore repousser… Je porte son centre, son centre en parapluie rouge dans son pré d’herbes fraîches. Je porte ses bras tendus poupée chiffons. Ils ont la rondeur du baiser de leur offrande, et tout au bout, ses mains sans ongles peints, veinées de la vie… combien de temps encore… combien… ô combien….
Je porte ses seins par-dessus mon cœur, et sur ses seins la marbrure discrète de son sang d’oubliée. Leurs courbes laiteuses en soie de femme se soulèvent à la vie, se soulèvent presque rien, se soulèvent presque peu, se soulèvent... Battements quelque part. Sourds. Battements je veux encore un peu, pour la première fois peut-être oui, pour la première fois, je veux…
Elle et moi, traversées par Une… Battements froissés de l’aube qui se défripe, cœur, centre, avec son flot d’ivresse à noyer la pensée, à souscrire promesse, à tuer les nuits d’avant, leur glace, leur mur et les pierres à crever les mots ravagés par trop de silence et d’oubli…
Il faudra le souffle puissant…
Romane