RETOUR À BÉNARÈS
octobre 2007 01-10-07
Il est 23h30 à Delhi lorsque l'avion de la FinnAir s'y pose (19h00 en France), concluant enfin six heures d'un vol bercé tout le long par les vagissements d'un bébé finnois. Ma tête résonne encore de leurs échos lancinants et la douleur due au changement de pressurisation me cingle les oreilles, lorsque nous débarquons enfin dans la chaleur moite de l'Inde.
Mais ce n'est qu'une seconde escale (après Helsinki) sur le chemin de Varanasi, qu'on appelle aussi Kashi ou Bénarès. Il nous faudra attendre pas moins de onze heures dans cet aéroport un peu crasseux pour s'envoler à nouveau vers notre destination finale, c'est à dire à peu près le temps qu'il faut en train.
Je n'arrive à dormir qu'une paire d'heures, contrairement à Carole qui arrive à dormir n'importe où ; alors je bouquine.
Lorsque nous sortons là où on nous l'a indiqué pour prendre le bus, navette entre l'aéroport international et l'aéroport des lignes "domestiques" (intérieures), un type nous prend en charge, nous annonçant un tarif de 5 dollars la course. Je lui rétorque qu'il me semblait pourtant que la navette était gratuite... n'est-il pas plutôt un wallah (rabatteur) pour taxi ?
"No sir, no taxi !
-No taxi, so you're talking about the bus ?
- Yes sir, a small bus, little-little..."
Hum. Je suppose que les voyageurs non avertis et un peu naïfs se font avoir, mais nous décidons de retourner voir un type de l'embarquement qui nous confirme que la vraie navette est gratuite et qu'on a failli monter dans un fourgon particulier, bref se faire rouler.
L'avion de l'Indian Airlines décollera en retard après notre périple d'une demi-heure en bus réfrigéré (en effet, la clim étant un summum de luxe, elle est poussée aux limites du supportable), un véhicule Tata qui doit dater de l'indépendance au moins (Tata est la marque de 95% des véhicules en Inde, la marque possède également le monopole de plusieurs produits divers et se propose depuis peu comme opérateur de téléphonie).
L'avion vaut mieux, mais de justesse. C'est une sorte de deudeuche des airs, vibrant de partout, aux hublots en plastique et aux mentions "Exit" en hindi écrites au feutre rouge indélébile. Le ton est donné.
Un camion TATA
02-10-07
Aujourd'hui c'est l'anniversaire de Gandhi, et sa mémoire est célébrée par la presse et quelques actions ponctuelles, associatives ou gouvernementales.
A Bénarès, du moins le croyons-nous, mais l'aéroport où nous débarquons se trouve loin de la ville, nous préférons commander un "pre-paid taxi" plutôt que d'affronter la horde des taxi-wallahs fondant comme des mouches sur les touristes tout frais.
Le type du guichet nous annonce le tarif de 550 roupies. Pour info, il y a sept ans, la traversée de Bénarès en rickshaw (petit taxi tricycle) coûtait entre 5 et 15 roupies. J'ouvre de grands yeux et m'écrie "What ??". C'est là qu'il nous apprend que nous nous trouvons à 30 km du Gange.
Je réfléchis. Evidemment, j'ignorais que l'aéroport se trouvait aussi loin de la ville, mais 550 roupies, quand même... Le type voyant ma moue dubitative, me prend aussitôt en grippe et me dit avec dédain que nous-autres occidentaux croyons trop que les indiens sont des arnaqueurs. Je ne prends pas la peine de lui raconter la scène de la navette ce matin à Delhi et laisse Carole négocier avec sourire et diplomatie.
Nous sortons dans l'air brûlant de l'Inde.
Une rue de Bénarès (Gaudolia avenue)
Le chauffeur de taxi fonce et slalome entre les voitures, motos, rickshaws, vaches, chèvres, au jugé et au klaxon. En France, il se serait fait retirer son permis au bout d'un kilomètre. Nous verrons plus tard que c'est finalement la personne que nous avons vu le mieux conduire durant tout notre séjour.
Lorsque nous pénétrons sérieusement en centre-ville, sa façon de se faufiler dans le trafic anarchique, entre les obstacles dans des espaces improbables, me rappelle un jeu vidéo dans lequel on s'en fiche car on a toujours droit à plusieurs vies, ou au pire à recommencer la partie. Mais ça passe miraculeusement chaque fois.
C'est un concert de klaxons, car il faut dire que l'indien conduit au klaxon avant tout et non pas selon un code quelconque de la route.
Les agents de la circulation, armés de carabines (Carole qui s'y connaît un peu en arme m'assure que ce genre de fusils étaient utilisés en occident il y a cent ans), de bâtons et de moustaches, n'hésitent pas à donner de formidables coups de bâton aux pauvres chauffeurs de pousse-pousse qui osent encombrer le milieu des carrefours.
Un agent de circulation. Ceux en blanc ne sont pas armés.
Nous arrivons enfin à Gaudolia, le quartier que je connais bien, donnant au bord du Gange sur le Dashaswamedt Ghat, mon poste favori d'observation, mon endroit favori.
Vu le temps hivernal que nous avons laissé à Paris fin septembre, nous dégoulinons de sueur dans nos fringues trop chaudes, sous nos sacs-à-dos et sous les 36° à l'ombre locale.
Ma priorité : aller voir le Gange, et le montrer à Carole. Puis trouver un hôtel cool et enfin acheter des fringues légères et des sandales. Je n'allais pas en amener de France, ici elles sont bien et pas chères.
J'avais oublié à quel point (et c'est pire qu'avant) des occidentaux débarquant avec leurs bagages et leurs fringues chaudes sont de la chair fraîche rêvée pour tous les faux guides et divers wallahs. Nous allons passer plus d'une heure à tenter de les semer, ils sont collants et nous accompagnent comme des poissons pilotes : "Rickshaw sir ? Good hotel, sir ? Need a guide, sir ? Boat, sir ? Good hashish, sir ? Massage, sir ? Comme to see my chop, sir, best quality !"
Toilette sur un ghat (bord du Gange)
Je retrouve la boutique de Nawal, qui nous sert de refuge. Nawal est cool : avec Vincent, nous avons passé de longues heures dans son magasin d'instruments de musique, de disques, bijoux, tissus, et autres objets divers, à jouer et boire le chaï.
Il s'est absenté 3 jours, mais son fils assure l'intérim, et me reconnaît ! Il appelle son père avec qui je discute un peu, il se souvient aussi : yes, les deux musiciens français, élèves de Ram, qui connaissaient Mikaela, qui essayaient les guimbardes avec un accordeur, etc...
Grâce à cette entremise, nous trouvons l'hôtel que nous cherchions, l'Alka, avec vue sur le Meer Ghat (à côté de Dashaswamedt), et nous achetons dans sa boutique nos premières fringues indiennes légères.
Je suis d'ailleurs assez déçu, car il ne reste plus grand choix d'instruments de musique, ni aucun bijou en argent vendu au poids comme avant, au profit de tissus, vêtements et souvenirs, qui marchent sûrement mieux.
Je prends un kurta (chemise très longue fendue sur les côtés et sans col) et un pantalon léger plutôt que le pedjama traditionnel (pantalon très large en haut et serré en bas, formant de nombreux plis à l'entrejambe - le mot pyjama vient de là), les deux en blanc.
Nous nous faisons offrir le chaï puis allons prendre possession de notre chambre.
Nawal trônant à sa place dans sa boutique. Carole est à droite.
L'Alka Hotel a deux grandes terrasses avec vue imprenable sur le Gange, on peut même y entrer par le ghat, c'est royal. 500 roupies (plus cher que la moyenne) c'est à dire 10€ la nuit, pour une chambre double avec balcon sur le Gange, salle de bain + WC +TV + moustiquaires aux fenêtres + eau chaude (on l'a eu tiède une seule fois, mais il fait tellement chaud que ce n'est pas bien grave). D'autre part il fait restaurant et cyber.
Nous décidons d'y rester jusqu'à nouvel ordre, prenons une bonne douche froide et sortons nous promener, moins sollicités car moins le look "touristes frais".
Je me délecte de l'odeur particulière des rues de Bénarès, c'est une véritable madeleine de Proust, faite des fragrances mêlées d'encens, de bouses de vaches, du béthel des "pan" (j'y reviendrai), des fruits et des épices vendus au marché, et en odeur de fond cette atmosphère chaude et moite caractéristique.
Enfin, après six ans et demi, j'y suis à nouveau, et que c'est bon : Bénarès, me voilà !
Une femme envoie sa fille faire des coursesUne dame dans la rue en train de régler un commerçant
(à suivre)