05-10-07
J'ai vite repris mes repères, quelques mots et phrases en hindi, bien utiles lorsqu'on est trop sollicité, ou encore pour établir un degré supplémentaire de complicité avec les banarsi. Repères géographiques aussi : la rue Tripura Bhaïravi et Bengali tola : les deux sont longues bien qu'étroites et recèlent à peu près tout ce qui intéresse les touristes, néophytes ou avertis, mais sont aussi des lieux de vie sans façade de gens simples et ouverts. Quoique Bengali tola semble être devenue un peu attrape-touristes. J'y retournerai pour m'en faire une idée plus précise.
Tripura bhaïravi Tripura, c'est là qu'habitait Ram, notre hôte musical en 2000-2001, parti depuis vivre au Sikkim (ancien territoire népalais dans l'Himalaya) selon certains, ou en Allemagne d'après d'autres, ou encore au Népal ou à Delhi.
Nawal est revenu de Delhi, il m'a reconnu, il a toujours ses frisettes et son petit rire "hi-hi-hi", mais n'a plus ses moustaches. Il est devenu un des commerçants les plus riches de Gaudolia.
Nous sommes allés voir les frères Bansal, vendeurs de soies et vêtements. J'avais bien sympathisé avec eux il y a sept ans. Leur magasin principal (il y en a trois à présent) a pignon sur rue, juste sur notre passage multi-quotidien. Chaque fois qu'ils nous voient passer, nous sommes invités à boire un chaï et à discuter.
Pinto Bansal Pinto, le plus jeune mais le responsable, m'a raconté comment il avait commencé dans le métier :
Son grand-père, son père et son oncle le pratiquaient déjà et avaient une affaire modeste mais suffisante pour acheter un jour un local de 15 m2, vide et pourri, mais placé donc sur Tripura Bhaïravi, près du temple éponyme et pas loin du marché de Gaudolia et du Dashaswamedt Ghat. Pinto avait alors 12 ans et a demandé à son grand-père s'il pouvait lui aussi vendre du tissu dans le nouveau local, puisqu'il restait fermé en attendant qu'on trouve le temps et les moyens de l'aménager.
Il lui fut répondu qu'il était trop jeune, qu'il ne parlait même pas un mot d'anglais, et qu'il n'avait qu'à continuer l'école et après on verrait.
Mais il insista, tant et si bien qu'il obtint d'entrer dans le local et, à condition de le nettoyer entièrement puis l'aménager de façon présentable, de présenter un dizaine de couvre-lits à la vente.
Il devait les vendre avec une marge suffisante aux yeux de son gran-père pour espérer non seulement se payer un peu, mais surtout devenir un vrai commerçant un jour. Le défi était lancé.
Il nettoya tout à fond (il y avait 5 cm de poussière agglomérée par l'humidité et le temps), il mit trois jours et se demandait tout le long s'il en verrait la fin, ramena ensuite de chez lui sa propre paillasse avec un drap propre (vendeurs et clients sont toujours déchaussés et assis sur ces espèces de minces matelas couvrant toute la surface, dans toutes échoppes non alimentaires), exposa six pièces aux murs et quatre pliées au sol.
Le premier jour : rien. On se moque même de lui.
Le second jour, il vendit deux pièces à son premier client (dont je doute de l'innocence sur cette opération, à mon avis c'était plutôt un encouragement). Il mit absolument tout son coeur dans cette vente, comme si sa vie en dépendait. Le client lui demanda de lui livrer la marchandise et il accepta sans même savoir où il habitait ! Il fallut qu'il se renseigne, et cela lui prit dix fois plus de temps que la vente, et s'aperçut enfin que c'était un commerçant voisin.
Au bout de quatre jours, il avait tout vendu comme ça, avec un meilleur bénéfice que prévu. De plus, un tailleur qui cherchait des points de vente bien placés lui proposa un stock sans avance, paiement au pourcentage. Personne ne prenait de risque.
Son grand-père, voyant ce succès, accepta de lui louer le local trois mois pour voir.
Avant même le premier mois, il vendit tout le stock, et à la fin du trimestre il avait gagné plus que la boutique familiale !
Aujourd'hui il possède sa maison avec son frère, des succursales, et emploie ses propres tailleurs (des musulmans, les meilleurs, nous assure-t-il), dont un seul peut produire s'il le faut une trentaine de pantalons en une journée.
Je me souviens de son grand-père, il était toujours assis au bord à droite de la boutique. Il avait un humour pince-sans-rire. Il est mort il y a cinq ans.
Je lui ai commandé sur mesure et dessin à l'appui une chemise comme je la veux, avec fermeture latérale à la chinoise et plein de boutons, ce qui me coûtera pas plus de 500Rs (10€), en soie brute. La soie brute ressemble à de la toile, ou à du lin, mais en plus doux.
Guddu Bansal et sa femme. Je porte fièrement la fameuse chemise, version coton blanc On nous a conseillé le restaurant végétarien le Kisheri, le meilleur de Gaudolia paraît-il, en fait nous sommes allés par méprise au New Kisheri qui se trouve devant, et nous nous sommes retrouvés dans un endroit un peu froid et luxueux. Nous avons pris le Rajhastani Thali, à 120Rs, c'est assez cher pour un repas, mais c'est bon, et les six serveurs en uniformes blancs et la décoration cossue doivent bien être justifiés après tout, mais contrastent avec l'attitude du patron débraillé avachi devant sa caisse et sa télé, sur laquelle de temps en temps il change de canal pour surveiller ses employés de l'autre niveau (nous avons assisté à des remontrances). Dans la pincée de crudités, j'ai cru manger un haricot vert, et c'était en fait un des plus forts piments ! Ma langue ne s'en n'est pas remise de sitôt !
Mais là où nous allons manger de préférence pour le moment, c'est dans ce petit restaurant où vont peu de touristes, tenu par des népalais de la caste des Brahmanes (supérieure), où nous étions habitués Vincent et moi il y a sept ans.
Le thali simple coûte 20 Rs (5 de plus seulement qu'en 2000) et suffit amplement à bien se nourrir, en plus c'est bon et ils servent du rab à volonté, coutume népalaise paraît-il.
Dans le restaurant des Brahmanes népalais Sinon, à côté du chowk (dédale de petites ruelles genre souk), on mange d'excellents samoussas aux légumes à 2 Rs dont trois ou quatre suffisent à nourrir son homme.
Puis en guise de dessert (ou même sans prétexte) un lassi préparé dans les règles de l'art près du temple Tripura Bhaïravi, là où nous allions également tous les jours avec Vincent.
Le vieil homme de jadis est mort hélas, mais le jeune qui le remplace a gardé les gestes de la tradition, et baratte le mélange de laitages avec une baratte en bois. Malheureusement, il ne met pas comme son prédécesseur de l'eau de rose, la touche finale qui avait entretenu chez moi de tels souvenirs.
Il faudra trouver un flacon d'eau de rose.
Un des deux jeunes qui ont repris l'échoppe à lassi.
Comme de plus en plus d'ados de son âge, il s'habille à l'occidentale. Il peut se le permettre car il a un travail Cette petite échoppe est LE lieu où l'on boit du bon lassi, ainsi que du chaï, et du curd (fromage blanc fermenté). Le lassi y est servi dans des grands verres en verre, remplis à ras-bord, mais le chaï et le curd sont servis dans des petites tasses en terre non cuite, jetables. Lorsqu'on a fini, on jette la tasse par terre, elle se casse, et la terre retourne à la terre. En effet, lorsque on a touché cet objet avec la bouche, aucun hindou n'y toucherait après, question de pureté.
J'aime cet endroit, où l'on s'assied sur le muret en face, ensoleillé selon l'heure. Mais on y est souvent sollicité par des enfants. Il y en a toujours qui traînent par ici. Sans parler du faux sadhu à touristes qui (comme les vrais d'ailleurs) prend un bakshish à chaque photo et qui a sa place sur ce muret, en face du temple.
Le sadhu du temple Tripura Bhaïravi, plus vrai que vrai.
Il est aussi sadhu que je suis gourou, mais les touristes marchent à fond (à suivre)