Nul n'aurait pu dire son âge.
Il traversait avec aisance et insouciance les histoires et les vies de tous ceux qu'il croisait, les marquait d'une présence forte mais incomplète, entre charisme et absence. Lorsqu'on le croisait, il semblait austère et dur, mais dès qu'on lui parlait, il séduisait par une espèce de charme spontané, un regard clair semblant toujours porter ailleurs, un sourire entendu et des remarques éclairées.
Il était à la fois ouvert et inaccessible, proche et lointain, comme si sa part de rêves et d'ailleurs était constamment prête à surgir à tout moment, comme s'il accordait son attention avec effort, pour ne pas être trop déconnecté ; peut-être par politesse, ou par réel intérêt.
Il prétendait osciller entre misanthropie et amour universel, entre besoin de solitude et dépendance à l'Autre, entre quête personnelle d'absolu et besoin de reconnaissance. Il paraissait sûr de lui mais remettait toujours tout en question.
Il ne voulait suivre aucune voie -spirituelle ou autre- mais observait avec fascination l'engagement et le dépassement de soi chez les autres. Le fanatisme, qu'il soit religieux, politique, sportif ou culturel, le révoltait et l'effrayait. En fait, il s'était forgé lui-même une voie métaphysique propre, une sorte de foi affleurant le positivisme de Comte, tout en récusant son ethnocentrisme. De fait, il croyait en une sorte d'universalité en équilibre, dont l'humanité était l'instrument désespéré du chaos.
Il n'aimait pas évoquer le passé, qu'il considérait comme périmé, et le futur ne l'intéressait pas car encore à venir. Ainsi, le temps ne semblait pas avoir d'emprise sur lui, car il vivait toujours dans l'instant.
Il avait lui, en revanche, une emprise sur le présent. En sa présence, le temps ralentissait. Il savait cultiver le silence, et ses silences étaient rarement anodins.
Par ailleurs il avait néanmoins appris à se délecter du vide, ce néant entre les pensées, ce silence de l'esprit tant convoité par certains méditants. Il prétendait d'ailleurs l'atteindre sans effort, sans préméditation, et s'y ressourcer souvent. Mais de son propre aveu, c'était autant une tare qu'un atout, car il ne maîtrisait pas ce processus.
En l'écoutant parler, ceux qui ne le connaissaient pas le prenaient pour un mythomane, un fanfaron ou un illuminé, tant son histoire semblait pleine d'expériences multiples, d'expérimentations diverses, de vies différentes, d'explorations spirituelles et philosophiques, de théories sur un peu tout... pourtant il avouait volontiers l'incomplétude de son existence, la stérilité de la plupart des stades de sa vie. Il avait toujours eu l'impression de traverser des périodes de transition, de n'avoir eu que des situations temporaires, "en attendant".
Comment pouvait-on voir en lui tant de plénitude, demandait-il, alors qu'il n'était que vide et transition?
C'était peut-être le fait de se poser la question, finalement, qui lui donnait des airs d'accomplissement là où ne stagnait qu'un perpétuel questionnement.
Il a aujourd'hui rejoint la multitude des esprits errants.
Paix à l'insouciance de son âme.