16-10-07
Après quelques heures de marche vers le nord de Bénarès, où en chemin nous avons pris quelques photos en parfaits touristes, nous sommes tombés sur Manikarnika Ghat, le lieu principal de crémation des morts.
Quand on s'en approche, on sent tout de suite où on est, à l'odeur et aussi à la vision de ces nombreux grands tas de bois, des réserves destinées à la vente au poids aux familles venant brûler leurs morts.
Nous avons croisé au moins trois processions mortuaires : quatre hommes (les
dom (des intouchables spécialement employés à cette fonction) portent à hauteur d'épaule le corps sur un brancard, enveloppé entièrement de tissus à dominante rouge en général, et recouvert de feuilles dorées. J'ignore à quel point il s'agit vraiment d'or, mais je suppose que d'ordinaire ce n'est pas du tout le cas.
Les dom répètent toujours la même incantation en amenant le corps, que je n'ai pas réussi à comprendre, répétée en choeur par ceux qui suivent en procession. Bien sûr les photos sont interdites, autant des morts que du ghat de crémation lui-même, et les miennes sont donc volées, pour les besoins de reportage.
Après crémation sur un bûcher à même le sol, les cendres (ou les restes, selon l'argent dont la famille a disposé pour acheter assez de bois) sont ensuite jetées dans le Gange.
Pour un hindou, finir ainsi est un honneur, voire un moyen d'espérer atteindre le nirvana (arrêt du cycle des réincarnations et donc du karma). Ce qui explique le nombre de pèlerins cherchant à finir ses jours ici.
Comme je l'avais écrit dans mon premier journal de bord de 2000, il y a plus de fêtes en Inde que de jours dans l'année, et les indiens sont toujours en train de célébrer quelque chose. Hier c'était l'aïd pour les musulmans, aujourd'hui commence les neuf jours du Durga festival.
Durga, manifestation redoutable et sans pitié (contre les démons) de Parvati, femme de Shiva, est souvent représentée en colère, assise sur un tigre avec six bras et souvent plus. Vu son apparentée avec Shiva, elle est particulièrement adorée ici, et ces jours de fête s'annoncent tapageurs.
A la fin de ces festivités, des statues représentant la déesse (en carton-pâte ou en n'importe quoi) sont transportées vers le Gange et immergées en offrande, exactement comme ils le font pour la déesse Saraswati en février. Mais nous serons hélas déjà partis à la fin de la semaine et ne pourrons pas y assister.
Au retour, impossible d'éviter la boutique des frères Bansal qui est sur notre chemin près de l'hôtel.
Nous discutons avec un français installé ici depuis longtemps, Yves. Il fait partie à un niveau de responsabilité d'un projet associatif facilitant l'apport d'eau potable dans la région (installation de pompes notamment). Pour vivre, il écrit des bouquins entre autres ; là il est sur un projet traîté déjà par quelques auteurs (dont Gérard Messadié avec "Jesus de Srinagar" ) qui avance la théorie selon laquelle Jesus Christ aurait passé sa jeunesse en Inde, aurait appris le yoga, et serait retourné y mourir après la crucifixion qui ne l'aurait pas tué.
Nous discutons longuement de cette théorie intéressante, que justement j'avais déjà personnellement imaginée dans mes recherches théologiques personnelles sur la véracité historique de Jesus.
En effet, d'après les reconstitutions par ordinateur du ciel de l'époque, il a été découvert un point lumineux important d'alignement de trois étoiles dont la lueur a illuminé le ciel du moyen-orient comme la description de l'étoile du berger, mais en -7 ou en -9, et non pas en l'an zéro. Donc tout est à décaler sur nos traditions, et le Christ sur la croix n'était pas un homme de 33 ans, mais un quadragénaire.
On peut imaginer qu'il a eu une vie bien remplie avant cela, et il est très possible qu'il ait bourlingué vers l'orient dans sa vie pré-ministère.
De plus, à propos de son "retour" en Inde (sous le nom d'Emmanuel) après la crucifixion qui ne l'aurait pas tué (il aurait été décroché avant d'expirer, puis soigné), il existe effectivement une tombe dans le Cachemire dont les analyses confirment la véracité et l'époque, où figurent les noms de Jesus et Marie.
J'avance ces arguments à Yves, mais il prétend avoir ce qui ressemble à de nouvelles preuves. J'attends que son livre sorte, lui promets de le lire.
Il nous explique qu'il a adopté trois enfants d'ici, abandonnés, qui sont grands maintenant et qui, d'après ce que j'ai cru comprendre, lui mènent la vie dure. Il habite un appartement vers Assi et craque tellement qu'il envisage de tout plaquer et de partir. Il a déjà donné tout son mobilier et fait le nécessaire pour lâcher son logement.
Bien que paraissant très nerveux (il paraît qu'il pique souvent de grandes colères) et désespéré, Yves me touche beaucoup. Il s'est sincèrement impliqué au sein de ce peuple et de cette culture. J'espère que ses problèmes se régleront et qu'il ne plaquera pas tout comme il le dit (d'après les Bansal, ce n'est pas la première fois que ça lui arrive, et il est toujours là).
Je n'ai hélas pas pris de photo d'Yves.
Peu avant, c'est amusant, nous avions justement croisé un "saddhu" blanc, un occidental qui s'est converti et est devenu un authentique homme saint pour les indiens, bien qu'occidental ; et j'ai trouvé qu'il ressemblait assez à l'image (fausse bien sûr) que les chréteins européens se font de Jesus (c'est à dire pas sémite du tout).
Voici la photo de l'homme en question, avec son singe apprivoisé :
Guddu m'explique une chose que j'ignorais : les vaches de Bénarès ont toutes un propriétaire. Elles sont lâchées en début de journée dans les rues, et chacune rentre le soir, sans problème pour retrouver son chemin, fidèlement. Jamais personne n'a à chercher sa vache. Ceux qui n'ont pas la place laissent leur vache dormir devant chez eux dans la rue. Je n'en reviens pas, je croyais qu'elles étaient libres et errantes. Les chiens, nombreux, sont en revanche tous sauvages (en France on dirait "de gouttière" comme pour les chats) et très mal aimés. Les taureaux ne sont pas sacrés, mais en tant que géniteurs des vaches, on les laissent errer.
Et ce que j'ignorais également, c'est qu'officiellement, aucun animal ne devrait errer dans les rues ainsi. De temps en temps, mais rarement, des préposés du gouvernement font des descentes en camion pour ramasser des animaux ; mais d'après guddu, ils ne sont pas honnêtes, car comme par hasard ils ne ramassent que les vaches, seuls animaux précieux et productifs, et non les taureaux et les chiens ou encore les singes (mais les singes restent en général sur les toits).
A propos des singes, j'ai entendu ici ou là des rumeurs selon lesquelles en Inde et plus particulièrement à Bénarès, cité urbaine où vivent le plus de singes, les gens se feraient "attaquer" régulièrement par eux.
Je démens formellement ! Les singes restent sur les toits, et ne font quelques sorties que pour aller chercher (souvent voler) de la nourriture, mais pas du tout pour agresser les humains. Les deux espèces se tolèrent, chacune à sa place : les humains en bas et les singes en haut. A moins de se sentir agressés évidemment.
C'est un cliché de plus à ajouter à une liste dévoyée : la misère désespérée, le statut tragique des intouchables, la spiritualité qui serait à dominante bouddhiste (les bouddhistes ne représentent que 2%), les fakirs qui ne reposent que sur des pointes, Shiva et Vishnu qui serait des déesses, les sacrifices, l'antropophagie et la cruauté des adorateurs de Kali, etc... que des clichés relayés par des gens qui n'ont rien compris à ce peuple ou encore qui se basent sur des films et romans de fiction délirants sans chercher plus loin.