Voici enfin la fin de mon journal de Bénarès 2007.
Je n'ai hélas pas pris mon appareil photo le jour dont je parle dans le chapitre suivant, et je le regrette, car ces gens sont chaleureux et j'aurais aimé vous les montrer...17-10-07
Hier soir nous avons parcouru dans le noir le dédale de ruelles étroites du Chowk qui mènent au Ravi Classical Music Center, c'est à dire chez les Jaiswal, qui après la transaction de ce magnifique instrument, le surbahar, nous ont invités à manger chez eux.
A la lumière d'une bougie (coupure de courant oblige), nous parlons musique avec Amit, l'aîné et donc désormais chef de famille (il a 20 ans) ; il nous montre son plus beau sitar, tout noir et nacré au moins sur le quart de sa façade. Un son magnifique. Nous buvons le chaï en attendant que son frère rentre et que Meena sa mère ait préparé le repas.
J'en profite pour lui acheter un jeu de cordes de rechange, qui coûte plus cher que prévu, et une flûte bansuri sur laquelle je craque depuis le début, en mi, comme Hari Prasad Chaurasia, que Carole tient à m'offrir (merci encore Carole).
Il nous fait visiter sa réserve de sitars, et je suis surpris : ils sont tous remisés dans une cave humide, couverts de poussière moite, où quelques souris circulent. Je lui fais part de mon étonnement, mais il m'assure que son père les a toujours gardés ici et qu'un sitar peut endurer beaucoup, surtout le temps qui passe : ça le bonifie ; et une fois nettoyé et entièrement monté et équipé de cordes, chaque sitar est à la hauteur de la réputation des Jaiswal.
Atcha.
L'électricité revient, et nous montons enfin dans la chambre + cuisine qui leur sert d'appartement, à la mère, Meena, 35 ans, et aux trois fils dont le plus jeune a 14 ans.
Evidemment, la télé trône, même si personne ne la regarde : ce sont d'abord des dessins animés, puis un reportage appelé "Dirty Jobs" sur la chaîne Discovery, le tout avec une image tremblante qui me donne mal à la tête, mais apparemment ils s'en contentent.
Meena nous sert un thali chacun : du riz, du dal, un curry de légumes (le meilleur que j'ai mangé de ma vie, sans blague), et des chapatis-maison souples et délicieux.
Nous mangeons à la main droite, rôdés, et buvons le thé noir. Je reprendrai trois fois de tout, sous leur insistance.
Nous parlons du père décédé en début de mois, à 46 ans, du coeur ; Bhaiyalal semblait être un type bien, et passionné de musique bien sûr.
Meena nous révèle que bien qu'hindoue, elle n'est pas végétarienne, contrairement à ses fils. Amit insiste pour nous montrer des clips de son chanteur préféré de variétés : Apka Suroor, et place une compil MP3 dans le lecteur de DVD sous la télé.
Tous les clips sont tirés du dernier film tourné en Allemagne (comble du chic ici), dont le chanteur est également le héros. Culture occidentale à fond, blouson en cuir, casquette de rapeur, la voiture et la mise en scène rappelle un James Bond, sauf quand il commence à chanter et danser en disco-style.
Amit me fait promettre de lui envoyer un CD de mes chansons, Meena nous étreint, nous serre fort, elle nous aime beaucoup déjà et espère nous revoir bientôt, et après de chaleureux adieux, nous rentrons bouleversés par les émotions que dégage cette famille en deuil.
Ram Chandra Sharma, posant dans l'échope des Bansal 17-10-07
Dernier jour à Varanasi. Bonne surprise : Ram est en ville pour deux jours, et il veut me voir !
C'est Guddu Bensal qui m'annonce la nouvelle. Je rappelle que Ram est l'ancien ami et prof de tabla de Vincent, que j'ai également fréquenté pendant plusieurs mois en 200-2001.
Nous nous voyons en fin de matinée : il a peu changé en sept ans : il a maigri, mais ça lui va plutôt bien : je découvre un Ram Chandra Sharma nouvelle formule. Depuis il fait de la radio et vit à Gangtok dans le Sikkim, état d'Inde isolé dans les hauteurs de l'Himalaya, près du Tibet et du Bhoutan, où il est prof de musique pour des militaires !
Evidemment il me demande des nouvelles de Vincent et son numéro de téléphone. Je lui dit que sous le pseudo de Vava, Vincent est désormais un musicien accompli et respecté par chez moi.
Je comprends vite que c'est d'ailleurs la raison principale pour laquelle il voulait me voir. Je lui donne donc non seulement le numéro demandé mais aussi le mail et les coordonnées de la page Myspace de Vava sur le net.
Il m'apprend que son fils Ran-Deer, qui a 16 ans, est devenu un bon joueur de tabla, diplômé, et veut approfondir le violon désormais.
Il m'apprend aussi qu'il a gardé contact avec Magali, l'ex de Vincent (avec qui il avait eu une aventure, hum), et avec Mikaela l'italienne, ex de tout le monde (idem).
Nous nous séparons sur une étreinte, puis nous allons en ville pour les derniers achats, et surtout une dernière promenade, histoire de faire une réserve ultime de visions et souvenirs, et tout naturellement, nous nous nous retrouvons au bord du fleuve.
Nous concluons par l'inévitable tour en barque sur le Gange.
Nous sommes tellement habitués à refuser les avances des boatmen (nous avons entendu au moins une trentaine de fois par jour "Hello, boat ?") que nous nous délectons pour une fois d'accepter !
150 Rs pour une heure à deux, c'est un peu cher, en jouant la concurrence et le marchandage intensif nous aurions pu obtenir la balade pour la moitié, mais... atcha !
Nous choisissons d'aller vers le nord de la ville, côté un peu délaissé par les touristes sur les ghats en général, car je voulais voir le Lal Ghat, ou tout est peint en bleu.
Nous passons devant une superbe mosquée, en partie cachée :
Puis continuons la balade en barque...
Nous rentrons à la tombée de la nuit.
La Ganga Puja quotidienne commence, mais nous l'avons vue déjà deux fois, et son côté grand spectacle sentant la surenchère pour touristes me gêne à présent.
Il y a sept ans, lorsque ce n'était encore qu'un prêtre et non sept, nous nous étions fait expliquer avec Vincent que les percussions et cloches qui accompagnaient la cérémonie étaient du bruit pour du bruit, mais surtout pas de la musique. Le chant venait à la fin, entonné par tout le monde. A présent, la musique crachée par les hauts-parleurs tient tellement de place sonore qu'elle couvre le "bruit".
Nous prenons le dernier repas à l'hôtel sur la terrasse face au Gange où défilent quelques chandelles offertes aux dieux. Nous faisons la connaissance de Paquita, une femme suisse, belle, aux cheveux blancs. On sent qu'elle a roulé sa bosse.
Elle est photographe, spécialisée dans tout ce qui touche aux fleurs des célébrations hindoues ! elle s'occupe aussi d'aménager les intérieurs dans l'esprit du Vâstu, ancêtre du Feng Shui chinois. Elle nous parle des principes fondamentaux du Vâstu qui président à la disposition de l’espace et à la recherche de formes pour que l’individu puisse s’épanouir et vivre en harmonie avec le milieu qu’il aménage.
Une rencontre tardive, mais belle.
18-10-07
Le jour du départ : après nos adieux aux frères Bensal, à Nawal, à Yves et à Paquita, nous quittons l'hôtel, croisons une dernière fois les enfants que nous voyons souvent jouer dans la rue en face, passons une dernière fois dans Tripura Bhaïravi, rue que nous connaissons désormais par coeur, puis nous chargeons le monstre (surnom de l'énorme instrument) dans un taxi : le surbahar dans sa box + les tissus de rembourrage pèsent 19,7 Kg, et j'ai droit à 20 Kg dans l'avion. Nous nous tapons un immense embouteillage, dû au grand festival célébrant la déesse Durga.
L'avion Bénarès-Delhi part 1h30 en retard, mais nous sommes désormais habitué à l'indian time, et nous attendrons de 19h30 à 1h du matin celui de Delhi à Helsinki, en payant une place dans une salle d'attente.
J'ai une espèce de rhume ou de bronchite, ou les deux, qui me causera à cause des changements successifs de pression en altitude une grave double otite congestionnée (diagnostiqué par un médecin parisien à mon arrivée) qui me clouera au lit deux jours dans une brume de fièvre et de délires hallucinés.
Bienvenue en France, où nous sommes à peine surpris de n'entendre parler que de Sarkozy à tout bout de champ. Le voyage est terminé, heureusement j'ai toujours dans la tête quelques regards ponctués de points rouges au front, quelques sourires candides et sans ombre, quelques parfums, quelques notes de musique, des émotions et des souvenirs impérissables.
Mais ce que nous laisse surtout l'Inde quand on en revient, c'est l'envie d'y retourner.