J'ai trempé mon front dans le fleuve, et mon âme
Dénouée, ma chevelure au parfum de safran serpente au sein de la Grande Mère, guide son courant immobile sur les berges de mon absence
Dans l'obscure transparence des eaux charriant les morts
Lumières éphémères baignées de jasmins et d'oeillets
Je roule et enroule l'envers du moi
L'univers infini d'une infime entité, tachée de ses chagrins, doutes, péchés
Détruite et reconstruite, et détruite à nouveau
Bâtir à pierres vives, en angles acérés
Bâtir pour enfermer
Un coeur sans limite qui ne sait que donner, et se cogne, et se blesse, aux prisons assassines de ceux qui ne donnent plus
L'eau de mes espérances charriant des regrets
M'a menée jusqu'ici
Aux sources de l'exil à ma vaine existence
Je lave les années amères, et celles au goût de miel
J'oublie jusqu'à l'oubli des larmes qui se mêlent au courant éternel, au milieu des enfants, et des chants
Au milieu des tambours, et des rires
Dans l'odeur suave de l'encens mêlée à celle aride de la mort
Au centre de l'univers
A l'exacte convergence des peuples, de l'Histoire et des âmes
Au début de l'aube première
Jusqu'à ce qui sera le dernier crépuscule
A l'exacte convergence de mes pensées, de mes actes passés, de mes renonciations
Confluent de douleurs et de joies éphémères
Je défais l'argile de mes illusions dans le fleuve qui se teinte d'amertume
Et boit ma vie en me la rendant purifiée
Défaisant les noeuds de soie qui entravent de leur chant séducteur l'idée même du présent
Tirant notre conscience vers les tourbillons du passé
Attirant nos espoirs en un avenir chatoyant
Oubliant de vivre, oubliant de voir, chassant l'imperturbable de la mort, qui nous sourit dès notre naissance en ce monde
Limitant l 'ampleur intransigeante de notre liberté
Multipliant les liens, choisis ou non choisis
Alors qu'un lien, un seul par l'acceptation même d'un don illimité, libère de tous les autres
Ouvrir l'ensemble de soi à l'amour, courage ultime, ultime renonciation ?
Et tandis que mes pensées saignent hors de moi, et s'échappent dans les eaux du Gange, et tourbillonnent au milieu des lumières évanescentes et des fleurs en colliers
Je trempe mon front dans le fleuve, et mon âme.