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 Pleurer

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epiphyte
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MessageSujet: Pleurer   Pleurer Icon_minitimeJeu 15 Mai - 23:33



Et tout à coup sur ce banc, à l’ombre d’une gare déserte de province, en face de ce bar hôtel restaurant miteux avec son numéro de téléphone à 6 chiffres, je me suis mis à pleurer tout ce que mon existence précaire avait mis de côté comme larmes.

Ce n’était pas le retard d’une heure du train, dû à l’accouplement d’un voyageur d’un autre train avec la sonnette d’alarme. Ce n’était pas cette insipide enveloppe de remboursement qui n’enfanterait aucun dédommagement. Ce n’était pas ce désert abject à l’ombre d’un soleil lascif, ni ces péquenauds de passage devant mon banc au volant de leurs épaves diesel, ni ces joueurs de pétanque entrechoquant leurs boules en sombres échos de couilles qui se taquinent, ni l’absence de celle qui devait venir me chercher.

Rien.

Juste un cumul de toutes les raisons du monde pour enfin pleurer, dans une gare déserte de province, exporté dans un autre monde, parachuté soudain avec mon sac grotesque dans une autre réalité. La réalité des numéros de téléphone à 6 chiffres, celle d’une société actuelle qui met des numéros partout pour éclipser le rêve, celle d’un monde où j’espérais rester un enfant plein d’utopies, de ceux qui ne pleurent que parce qu’ils se sont fait mal une fois de plus en redonnant du sang à cette fraîche blessure au genou. Saloperie de vélo sans petites roues. Saloperie de société où je vis pourtant.

Et cette saloperie de vent de merde, en emportant mon cahier, a ajouté des larmes aux larmes.

Avec le sms, accouplant les chiffres aux mots, la modernité a ajouté au doute ce qu’il fallait de réalisme pour provoquer les torrents. Pleurer surtout de n’avoir rien compris, et s’être fourvoyé sur le sens de la notion abstraite « quelqu’un de bien » ; pleurer d’aimer toujours quelqu’un de si banalement ordinairement hormonal. Tu pourras passer mes prochains congés sereine avec ton amant, j’aurai des billets pour d’autres gares.

Pleurer n’efface pas l’attente, pleurer n’efface pas la peur de cette fin d’attente. N’importe quel type ordinaire, autrement dit « quelqu’un de pas bien », enverrait chier son taxi sur le dos de ses vieux amants. Mais pleurer n’efface pas l’enfance, pleurer n’efface pas l’amour, et qu’est-ce que pleurer peut faire du bien !...

Je suis probablement encore le bon copain, celui sur qui on peut compter, qui ravale ses larmes et n’en parle que dans des fictions sans intérêt.

Ecrire pour se calmer et donner l’illusion d’une fiction. Pleurer, pourtant, est une réalité. Mais qu’est-ce que ça peut faire du bien.

Je peux écrire tant que je suis un homme, ça ne durera plus très longtemps, l’artifice d’une carapace corporelle ne sera pas éternelle à condition que je continue à y mettre du mien. Et qu’est-ce que ça fait mal !...
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MessageSujet: Re: Pleurer   Pleurer Icon_minitimeVen 16 Mai - 1:32

Très touché... Trop pour commenter pour le moment.
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MessageSujet: Re: Pleurer   Pleurer Icon_minitimeDim 18 Mai - 1:37

J'essaie parfois en lisant tes textes de mettre l'émotion un peu au placard. Parce que tu pourrais en avoir assez de lire encore une fois de ma part que j'arrive à comprendre cette douleur que tu décris, que la force de tes mots me bouleverse, que mon ressenti se rapproche de plus en plus du tien... toutes choses qui seraient vraies, par ailleurs.
Alors j'en viens à la seule chose qui m'a un peu chiffonnée, cette phrase : "Mais pleurer n’efface pas l’enfance, pleurer n’efface pas l’amour, et qu’est-ce que pleurer peut faire du bien !...". La forme m'aurait parue plus judicieuse en écrivant par exemple : "Mais si pleurer n'efface...etc, qu'est-ce que pleurer peut faire du bien!".
Heu, tu vois ce que je veux dire ? (je sais, je chipote).
Tout cela, je suppose, par pudeur, parce que tout ce que je peux en dire, c'est que je suis vraiment bouleversée par ce texte.
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MessageSujet: Re: Pleurer   Pleurer Icon_minitimeDim 18 Mai - 11:21

Je dirais quant à moi que ce personnage, ne pleure en fait que sur lui même. La perception qu'il a des autres est à ce titre très révélatrice: "péquenauds de passage devant mon banc au volant de leurs épaves diesel, ni ces joueurs de pétanque entrechoquant leurs boules en sombres échos de couilles qui se taquinent..."
Une "souffrance" à mon sens qui est surtout le fait d'une fermeture sur soi-même, d'un enfermement, d'un rejet méprisant de l'autre dans sa différence : le péquenaud qui joue aux boules...
Le chagrin d'amour ici, n'est en fait qu'un prétexte à l'autoflagellation avec une sorte de complaisance narcissique.
"Je souffre" entouré de tous ces cons dans ce monde pourri...
Désolée mais je trouve cela un peu infantile.
Mais peut-être est-ce voulu?
Si tel est le cas, le personnage est très bien ciblé!

Bon, c'est dimanche et on m'attend pour une partie de pétanque! Wink
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epiphyte
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MessageSujet: Re: Pleurer   Pleurer Icon_minitimeLun 19 Mai - 22:16

Parce que grâce aux non-dits chacun y voit ce qu'il veut, et parce que grâce aux dits on comprend bien le reste...



Petit exercice d'auto-connerie (bâclée je l'avoue)...:




Et tout à coup sur ce banc, à l’ombre d’une gare déserte de province, en face de ce bar hôtel restaurant miteux avec son numéro de téléphone à 6 chiffres, je me suis mis à pleurer tout ce que mon existence précaire avait mis de côté comme larmes.



Dès les premiers mots, le texte dévoile un jeu volontaire entre le dit et le non-dit. Le narrateur n’est pas seulement sur un banc, il y est tout à coup, supposant un avant que le lecteur aura soin d’imaginer, aidé par quelques indices qui vont suivre (un trajet en train, une attente, donc des préparatifs…). Le banc est à l’ombre d’une gare déserte de province, il s’agit donc bien d’un voyage, mais surtout, la gare nous pose directement au seuil de l’histoire. Une gare c’est un départ, ou bien une arrivée, lieu de transit par excellence, lieu de passage où s’attarder sur un banc suppose une raison. L’attente bien sûr, mais aussi un jeu entre réalité et utopie qui se profile, attendre quelqu’un probablement, attendre surtout dans un endroit désert, une attente solitaire où tout se perd forcément très vite. Tout à coup c’est un rebondissement, pourtant avant même de commencer son texte, le narrateur s’est déjà perdu dans l’attente, il invente un rebondissement où il n’en est pas, même avec la plus fertile des imaginations. La gare devient le seuil entre réalité et imaginaire. Un numéro de téléphone à 6 chiffres, même pour un hôtel miteux, est-ce que cela existe vraiment ? Nous sommes en droit de nous poser quelques questions, pourtant la crudité du propos éclipse le doute. L’endroit est miteux, comme ne le sont pas forcément les endroits de rêve. Une fausse réalité s’est ancrée autour de l’attente en quelques mots, les pleurs ne font que l’accentuer enfin.



Ce n’était pas le retard d’une heure du train, dû à l’accouplement d’un voyageur d’un autre train avec la sonnette d’alarme. Ce n’était pas cette insipide enveloppe de remboursement qui n’enfanterait aucun dédommagement. Ce n’était pas ce désert abject à l’ombre d’un soleil lascif, ni ces péquenauds de passage devant mon banc au volant de leurs épaves diesel, ni ces joueurs de pétanque entrechoquant leurs boules en sombres échos de couilles qui se taquinent, ni l’absence de celle qui devait venir me chercher.



Au lieu de nous donner la raison des pleurs, le narrateur énumère une série d’événements qui ne les ont pas provoqués. Catalogue maladroit d’apprenti écrivain, l’énumération a le mérite, en plus d’ancrer totalement le récit dans une réalité qui parle au lecteur (sonnette d’alarme, enveloppe de remboursement, épaves diesel, joueurs de pétanque), de donner les indices évoqués plus haut quant à la ligne temporelle de la narration. Elle est surtout prétexte à un jeu simplet autour du champ lexical du sexe (accouplement du voyageur, enfanter un dédommagement, soleil lascif, échos de couilles qui se taquinent) opposé à l’absence, celle de l’attente, celle de la gare déserte. Y’a-t-il vraiment des gens autour du narrateur, où n’est-il pas encore en train de nous inventer une réalité où ses pleurs auraient un sens ? L’énumération est négative, ce sont les mots qui pleurent à présent, le narrateur dresse une barrière entre le monde et lui, mieux vaut ne pas s’approcher trop près de ce banc qui n’inspire qu’une réalité bien sordide.



Rien.



Pour achever le propos, comme une ponctuation singulière orchestrée par le mot.



Juste un cumul de toutes les raisons du monde pour enfin pleurer, dans une gare déserte de province, exporté dans un autre monde, parachuté soudain avec mon sac grotesque dans une autre réalité. La réalité des numéros de téléphone à 6 chiffres, celle d’une société actuelle qui met des numéros partout pour éclipser le rêve, celle d’un monde où j’espérais rester un enfant plein d’utopies, de ceux qui ne pleurent que parce qu’ils se sont fait mal une fois de plus en redonnant du sang à cette fraîche blessure au genou. Saloperie de vélo sans petites roues. Saloperie de société où je vis pourtant.



Confirmation. Répétition d’une gare déserte, au cas où on l’aurait oublié à cause de l’énumération, le narrateur est bel et bien seul sur son banc. Exporté dans un autre monde, bien loin soudain de la réalité où on ne descend pas d’un train en parachute, une autre réalité nous dit-il. Celle des numéros à 6 chiffres qui n’existent pas, les numéros éclipsant le rêve, comme si le narrateur était autiste sur son banc, où simplement un enfant qui n’aurait pas voulu grandir. La blessure au genou, le vélo sans petite roue, souvenir ou réalité ? Nous ne savons rien sur l’âge du narrateur, peut-être attend-il sa maman seul sur un banc, mais cette saloperie de société lui a donné juste avant des pensées bien lascives pour un gamin, tout n’est qu’un jeu entre l’espace et le temps.



Et cette saloperie de vent de merde, en emportant mon cahier, a ajouté des larmes aux larmes.



La troisième dimension, celle du réel. Un cahier d’écolier conservé par un adulte dont les jeux méprisants sont chassés par le vent. Les larmes comme une pluie soudaine, alors que le texte entier pleure à l’ombre du soleil lascif réservé au monde.




Avec le sms, accouplant les chiffres aux mots, la modernité a ajouté au doute ce qu’il fallait de réalisme pour provoquer les torrents. Pleurer surtout de n’avoir rien compris, et s’être fourvoyé sur le sens de la notion abstraite « quelqu’un de bien » ; pleurer d’aimer toujours quelqu’un de si banalement ordinairement hormonal. Tu pourras passer mes prochains congés sereine avec ton amant, j’aurai des billets pour d’autres gares.



Réflexion inutile. Comme s’il avait peur de n’être pas assez clair, l’auteur en fait trop, laissant parler son narrateur à l’absente, mais les billets pour d’autres gares restent un espoir pour d’autres rebondissements, loin des torrents, loin du banc, loin du rêve ou de la réalité.



Pleurer n’efface pas l’attente, pleurer n’efface pas la peur de cette fin d’attente. N’importe quel type ordinaire, autrement dit « quelqu’un de pas bien », enverrait chier son taxi sur le dos de ses vieux amants. Mais pleurer n’efface pas l’enfance, pleurer n’efface pas l’amour, et qu’est-ce que pleurer peut faire du bien !...



Heureusement que les pleurs n’effacent rien, car il est clair depuis le début que le narrateur n’a pas envie d’oublier. Ca lui fait du bien de pleurer sans oublier, parce qu’il se complait clairement dans cet état d’attente pernicieuse. Il n’est pas n’importe quel type ordinaire, forcément, les autres sont des péquenauds, ils ont des numéros de téléphone à 6 chiffres et jouent à la pétanque quand ils ne s’accouplent pas avec les sonnettes d’alarme. Car la vie continue autour du banc, et n’importe quel type ordinaire s’accroche à cette réalité là qui n’arrête pas le temps comme à une sonnette d’alarme inaccessible.



Je suis probablement encore le bon copain, celui sur qui on peut compter, qui ravale ses larmes et n’en parle que dans des fictions sans intérêt.

Ecrire pour se calmer et donner l’illusion d’une fiction. Pleurer, pourtant, est une réalité. Mais qu’est-ce que ça peut faire du bien.



Puisque malgré les larmes rien ne changera, le narrateur nous donne la conscience de l’auteur, entre le rêve et la réalité s’insère une dernière dimension, celle de l’écriture, où l’invention fait du bien quand elle calme ses ardeurs. Sur un cahier d’écolier.



Je peux écrire tant que je suis un homme, ça ne durera plus très longtemps, l’artifice d’une carapace corporelle ne sera pas éternelle à condition que je continue à y mettre du mien. Et qu’est-ce que ça fait mal !...

Une vie passionnée vaut mille vies monotones. La passion est souvent dans la monotonie. On se fait toujours pleurer soi-même, et en écrire des fictions n’a aucun intérêt.
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MessageSujet: Re: Pleurer   Pleurer Icon_minitimeMar 20 Mai - 2:55

Je salue l'exercice !
En plus, je te soupçonne d'avoir fait cette analyse à postériori, et non consciemment au moment de la rédaction du texte. Comme si, finalement, c'était l'analyse d'un lecteur et non de l'auteur.
C'est un jeu intéressant auquel nous devrions tous nous soumettre, pour voir, malgré le temps que ça prendrait.
J'aime beaucoup ce que tu dis sur le passage du cahier, se résumant en fait à une seule ligne.

Je remarque que même dans la partie analyse, tu en profites tout de même pour souligner le côté abscons et vain de ton écriture. Finalement, tu ne joues peut-être pas : tu le crois vraiment, ou alors le personnage désespéré que tu mets en scène, même en temps que narrateur, s'il ne prend pas le dessus, est si pregnant qu'il te phagocyte de sa désespérance.
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MessageSujet: Re: Pleurer   Pleurer Icon_minitimeMar 20 Mai - 22:41

Effectivement, c'est un exercice très intéressant, et j'ai pris autant de plaisir à lire ton explication que ton texte. Cela apporte un éclairage passionnant sur ton travail, sur le travail de l'écrivain en général.
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MessageSujet: Re: Pleurer   Pleurer Icon_minitimeMar 27 Mai - 23:14

Jouez à décomposer cette phrase :

Citation :
tout ce que mon existence précaire avait mis de côté comme larmes

A elle seule, elle justifie le texte, à mon sens.
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MessageSujet: Re: Pleurer   Pleurer Icon_minitime

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