Ce matin j'ai tué un homme... c'était une femme.

Ce matin j’ai tué un homme… c’était une femme. Je l’ai regardée s’éteindre comme la flamme d’une bougie tremblotante, effacée à jamais de la surface de la terre par une brise malencontreuse. Je l’ai regardée mourir, et chaque parcelle de mon âme n’était qu’indifférence. Je l’ai regardée, mourir… Regardée. Et mes yeux ne se lassaient pas de ce spectacle rare, celui, triste et éternel, d’une âme en train de s’envoler. J’aurais voulu lui demander comment c’était. J’aurais voulu coller mon esprit contre le sien le temps d’une mort, pour pouvoir enfin résoudre la plus grande énigme de la vie… Mais je l’ai regardée mourir, et chaque parcelle de mon âme n’était qu’indifférence. Son regard était perdu, cherchant désespérément dans l’espace qui l’entourait une explication à tout ce gâchis. Mais il n’y en avait pas. Elle était si belle. Sa fragilité la rendait magnifique, et faisait oublier le sang poisseux qui dégoulinait sur sa poitrine.

Je sens la folie me gagner. Je sais que je n’en ai plus pour très longtemps. Tu me regardes avec cet air de pitié qui te mange le visage, te créant un masque d’émotions contradictoires. Ce même air de pitié qui me rappelle que je suis en sursis. Déteste-moi, je t’en supplie. Frappe-moi de tes poings fermés, cogne contre mon âme cette tristesse qui te ronge. Laisse aller toute ta haine, dégage tes yeux fiévreux du spectacle révulsant que je suis devenue, et plonge enfin ce couteau dans ma chair fragile pour inonder de sang poisseux ma poitrine endolorie…

Je n’en peux plus. Je sais que la fin est proche. Une âme errante. Un regard sourd. Une plainte d’adieu. Je t’aime. Je suis morte. Suis-je en train de mourir ? Je suis perdue. De l’air. Une bouche ouverte. Du sang poisseux. Une poitrine écarlate. Et, enfin, une âme libérée…

Ce matin j’ai tué un homme… c’était une femme. C’était une femme et c’était moi, et j’étais, moi, cette femme. Je me suis regardée, mourir… Doucement. Tout doucement… Chut, c’est fini.



S.

Bouleversant, dis-donc ! et bien écrit.
Même si je m'attendais un peu à la chute finale, ce texte m'a happé et a remué quelque chose.

J'aime beaucoup, moi aussi, l'émotion qui se dégage de ce texte. Question qui me vient à l'esprit : peut-on tuer une partie de soi, et la regarder mourir de cette façon ? Tout cela me donne à réfléchir.

On peut même vivre en étant mort, Constance. Parler, bouger, rire, baiser, sans qu'aucune étincelle de vie y soit pour quoi que ce soit...

Très touchante approche, Sunshine, sensible, oui.
J'aurais laissé tomber le "Chut, c'est fini." déjà induit par le "tout doucement..." mais ce n'est que mon humble avis
C'est le 1er texte que je lis sur ce forum, je fête ça !

"On peut même vivre en étant mort, Constance". Oui, Farouche, je comprends, de mieux en mieux d'ailleurs.
Pour moi, le "Chut, c'est fini." a son importance. Il ressemble au "chut" rassurant d'une mère qui berce son enfant. Le genre "ça va passer, là , ne pleure plus". Cela induit pour moi une idée de très grande douceur, de consolation ultime. J'aime beaucoup cette fin.

Je ne l'avais pas vu de cette façon, pas entendu ainsi. A la lumière de cette idée de consolation utime, il me va mieux, c'est vrai.