Sannyâsa

Partir
nue dans la naissance du jour
celui qui ne sera plus jamais ni jour, ni nuit
puisque désormais le temps s'allège

Faudra-t-il pour cela éplucher chaque parcelle des êtres enchaînés qui grimacent encore,
mais par peur de ne plus être entendus

Ainsi, je laisse le chant facile de la poussière serpenter librement sous mes pieds,
traversant mon absence comme une empreinte légère

ô nudité de l'âme

De ma bouche est sortie la vaste rumeur du monde
et mes bras, ne cherchant plus à étreindre
ont secoué la nappe chatoyante des mirages éphémères que j'appelais bonheur

J'ai brisé l'envers du désir à l'endroit où se retirent toutes les peines,
ce noeud intime où l'obscurité peu à peu nécrose l'innocence

puis,

empilant ces secrets statufiés sur les bûchers flottants
j'ai dénoué l'histoire et couvert ma chevelure de ses cendres

Ce n'est plus dans ce monde que mon coeur bat

J'éveille le long sommeil sur les rives assourdies de mes vies déclinantes
et suis l'inexorable dans un battement de main
et suis l'aile poudrée du papillon
loin
en moi

L'océan ne refuse aucune rivière


...............................partir
.........................partir .... partir
...................partir................. partir
..........................partir...... partir
...............................partir




"sannyâsa" signifie "renoncement".
Je proposerais volontiers de le lire en pendant au poème de Romane, "A"... j'avais commencé à écrire celui-ci avant qu'elle ne nous donne à lire le sien, mais je ne sais pas, j'y trouve une certaine communauté d'idée.
La dernière ligne du texte est librement inspirée d'une chanson de Sheila Chandra.

Sanyasâ : le renoncement du sanyasin, c'est à dire le chercheur de vérité qui renonce à tout (même l'amour, la famille, etc) pour vivre une vie d'ascèse.
C'était le cas du Bouddha (quel soi-disant "bouddhiste" moderne en ferait vraiment autant?).

Ce titre m'a donc interpellé, évidemment. Mais ton texte évoque plus un désespoir, si renoncement il y a, il ne semble pas être issu d'un choix.
Il y a quelques belles phrases & formules, les mots sont beaux, pris à part ; mais assemblés en ce texte, il me manque quelque chose un sens profond dans le propos, une démarche.
Malgré la profondeur apparente, qui semble céder le terrain justement aux mots.

Par exemple :"ô nudité de l'âme"
C'est joli, mais n'est-ce pas un peu gratuit dans le contexte ?

Ceci dit, je m'en veux un peu, car c'est super que tu te remettes à écrire.

Même s'il n'est pas issu d'un choix, le renoncement est une démarche "raisonnable" de ne plus s'accrocher , quand "les bras ne cherchant plus à étreindre" se referment sur l'absence et "renoncent" aux mirages... Pour ne pas être rongé par la souffrance.
Ce texte me touche, résonne en moi.
" L'océan ne refuse aucune rivière", et aucune rivière ne cesse volontairement de couler.
Et que les mots permettent à la douleur de s'écouler.

Oh oui! Et que la douleur s"écoule... laissant derrière soit les restes dérisoires.
J'aime, j'aime ce texte au style épuré qui traduit très bien ce passage, cet "entre deux " à vivre ... encore. Autrement.

"et mes bras, ne cherchant plus à étreindre
ont secoué la nappe chatoyante des mirages éphémères que j'appelais bonheur..."

Quelques petites indications (ça fait bizarre d'expliquer un de ses textes, mais bon...)
Sur la forme, Filo, tu es plutôt clairvoyant concernant l'aspect un peu mis "bout à bout" de phrases et de mots : cela fait des semaines que j'écrit des bouts de phrases ou des expressions qui me viennent. Quand j'ai écrit le texte, j'ai recollé certains morceaux, ce qui peut donner une idée de décousu. Mais c'est aussi l'idée que je voulais donner : une impression de pensées errantes qui me traversent.
Le "ô nudité de l'âme", comme tu l'as vu justement, fait partie de ces morceaux ajoutés, j'ai eu d'ailleurs bien du mal à lui trouver sa place. Mais je l'ai volontairement isolé, et sans majuscule au début, pour suggérer qu'il s'agissait d'une pensée flottante. J'ai d'ailleurs hésité à le marquer en italiques (vous en dites quoi, je serais curieuse de connaitre votre impression).
Bien que j'ai souvent cédé aux sirènes des "beaux mots", là je ne pense pas que ce soit le cas : j'ai voulu avant tout un sens (profond ou pas), réellement.
Mais comme tu le dis, il n'y a pas de "démarche" globale. Sans doute, et là on touche au ressenti, parce que je ne sais pas si ces renonçants le font dans une démarche réfléchie et volontaire, ou s'ils sont emportés par un courant qui les dépassent. J'ai voulu montrer qu'il n'y a pas forcément de volonté dans l'affaire. Qui te dit qu'il y a un choix là dedans ? Ou même, ma Mo', un sursaut de "raison" ? On peut effectivement renoncer par désespoir, même si ce n'est pas aussi "glorieux" que de rencontrer Dieu ou de vouloir s'affranchir de la matérialité.
Donc, ce que tu reproches (gentiment) au texte, Filo, c'est en fait ce que j'ai voulu signifier : il n'y a plus de sens profond, il n'y a plus de démarche ni de volonté, juste un courant erratique qu'on accepte de suivre.
Mais bon, pas de panique : je ne compte pas mettre la clef sous la porte, ni demander la charité pour mon riz quotidien juste habillée d'un pagne (encore que j'aurais du succès, non ?).
Merci d'être passé sur mon texte, et merci surtout de vos commentaires, ils me sont précieux.

Sur que tu aurais du succés en pagne, surtout si tu fais une dnse orientale! Lol!
J'ai mis "raisonnable" entre "", je sais que ce n'est pas exactement le terme qui convient.
Mais j'ai compris (au moins je crois) le sens de cette "démarche" qui est aussi un acte de survie.
Jje sais ce que c'est! Et à quel point c'est difficile à vivre et à exprimer. je poste une archive, qui avec moins de puissance essaie de "dire" ce vide...

Je trouve là l'accent du désespoir et cette fragilité que cachent les mots, comme s'ils voulaient l'encapuchonner pour ne pas laisser prise à encore davantage et sans doute trop.

Un départ par désespoir, où rien n'est encore oublié, ou chaque geste vient en acte d'abandon pour permettre la liberté, mais qui n'est pas encore la liberté.

Je dirais qu'il est l'avant A.
A s'est déjà défait de tout depuis longtemps, sa marche est légère et joyeuse, ses pieds ne touchent plus le sol, les traces n'existent plus d'un point à l'autre, le délestage date d'avant.

Ici serait un premier mouvement d'éloignement, comme un étirement du lien à continuer jusqu'à ce qu'il se rompe sans mal, sans bruit. Quelque chose qui tient de "l'entre deux", ni tout à fait avant, ni tout à fait après.

Les mots sont importants. Les images riches, et dans leur presque trop, se signe une sorte de protection malgré.

Je n'ai pas lu les commentaires avant d'écrire le mien, afin de ne pas me laisser influencer. Par contre, j'ai relu plusieurs vois cette magnifique poésie dont j'apprécie la liberté des vers, comme un autre signe d'une volonté de délivrance.

Je viens de lire ton explication, Constance. Je n'ai pas du tout senti les ajouts dont tu parles, mais plutôt leur conséquence ; l'errance, un peu comme une marche sans point fixe sous les pieds vers une destination choisie. Ni un envol. Juste un mouvement de sortie. Tu sais, le petit chapeau de la cocotte minute, quand on l'enlève et que la vapeur s'en va. Elle fuse de là, mais on ne sait pas où elle s'arrête. Je ne sais mieux l'exprimer.

Une poésie qui touche la mémoire de tous les flottements, de tous les lendemains de ras de marée, il me fait penser aux lendemains d'un deuil, quand on est hébété de chagrin, de fatigue, de trop de monde, de trop de bruit et qu'on se laisse aller (dans le sens partir)

Plus que le titre, les images m'ont interpellée. Une force "désespérée" au delà de l'âme dans ce désespoir, une écriture libre dans l'inextricable.

Mise à part le "o nudité de l'âme" un peu banal par rapport au reste du texte, j'aime tout.

Particulièrement :

"J'ai brisé l'envers du désir à l'endroit où se retirent toutes les peines,
ce noeud intime où l'obscurité peu à peu nécrose l'innocence

puis,

empilant ces secrets statufiés sur les bûchers flottants
j'ai dénoué l'histoire et couvert ma chevelure de ses cendres"

"L'océan ne refuse aucune rivière"