Lettre à une italienne
Tu sais, Francesca, j’ai aussi ma vallée où court une Ourse fraîche, et des bois de feuillus, des rochers, des alpages.
Pourquoi t’en parler ? Habitant la plaine, tu pourrais me croire ignorant la vie des reliefs. Mettre encore un obstacle entre nous, après la langue et l’âge.
Laisse-moi espérer. Plus de choses nous rapprochent peut-être que celles qui nous séparent.
Il est passé dans ma vallée des légions de romains, longeant la montagne avant la mer pour regagner l’Italie. Et ce nom que je porte est tout autant latin qu’occitan.
Je sais, je sais, ces brindilles apportées à mon feu ne font que des flammèches. Et si tu ne me veux pas, tout argument est vain. Inutiles les prières et les chants ridicules.
Pourtant, être moqué est encore être présent à tes yeux et comme une miette inespérée.
Crois moi, ma certitude de t’aimer est une force immortelle, jusqu’à l’humiliation, jusqu’à l’effacement.
Dans l’ombre de ma grotte, l’eau de larmes acides monte un décors de nacre et si tu le voulais, il serait tien.
Bientôt, il sera colonne et pilier, je te bâtis une cathédrale. Entends déjà les polyphonies qui vibrent et s’entremêlent en résonances graves sous ses voûtes marbrées. Laisse-toi frissonner de leurs accords profonds. J’en composerai mille encore, inversant les rôles avec Shéhérazade pour combler tes nuits.
Avec ma lampe d’Aladin, un génie me fera garde-corps et chaque matin, ouvrant ta fenêtre, tu y appuieras tes mains, ton ventre et tes jambes pour humer, les yeux fermés, le parfum du jardin. Je goûterai ton bien-être comme une autre rosée.
Aux montées de la douceur d’avril, je me ferai Botticelli et jusqu’au bout des doigts tu danseras légère, spirale évanescente enveloppée de tulles. Regarde-toi dans mes yeux qui rêvent, tu te verras belle.
Dans un turban de soie, j’envelopperai tes cheveux noués, j’y soufflerai des songes joyeux, qu’ils te donnent un sourire au milieu de l’ennui des tâches répétées. Je plongerai sur ta nuque gracile et son duvet soyeux pour l’humecter d’un souffle doux et d’un baiser contre la moue.
Mon chant sera infini, il n’aura de cesse que tu vives aimée.
Que te dirais-je de plus maintenant si tu ne comprends pas, si tu n’acceptes pas que je te couvre, t’enveloppe, te réchauffe et te chérisse d’une tendresse infinie ? Rien. Il me restera à me taire et je le ferai. Je ne te dirai pas mon chemin de souffrance et de nuits ravagées. Je les retournerai vers des faces créatrices et apaisantes, malgré leur amertume et leur désespoir.