Extraits d’une chronique publiée dans les années 60 par un oncle que je n’ai pas eu le plaisir de connaître, mais avec qui j’ai vraisemblablement partagé, à quelques années de distance, le même émerveillement.
" Lorsqu’elle met le pied sur la terre corse, Anne surprend toujours. Plus désinvolte, plus légère, ou au contraire plus attachée au sol ? Je ne sais. Son île est en tous cas le lieu où tout réflexe de défense soudain inutile, Anne s’épanouit spontanément. Son nom se transforme du même coup. Anne devient Nunciada.
Place St Nicolas. Alignements des parasols, en ordre et couleurs de parade. Nous déjeunons sous l’un d’eux. Myriam renverse sa tasse. La mer est de l’intensité du violet de la gentiane. Le soleil n’a pas encore achevé de pomper la fraîcheur du matin. Tout à l’heure, son arrogance sera intenable. Le car partira cet après-midi. Nous passerons la journée à Bastia… "
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"J’ai lu quelque part qu’une princesse gémissait sur la dureté de son lit, à cause d’un petit pois glissé sous les matelas de fins duvets. Ici, sur cette méchante paillasse, on aurait pu mettre un cent de cailloux sans rien gâter de la douceur du sommeil. Réveil sans pesanteur ni amertume. Les yeux s’ouvrent spontanément lorsque pâlit au ciel la dernière étoile. On s’offre un moment ce sensationnel régal de n’éprouver aucune sensation. Ni chaleur ni froid, ni poids du corps ni agression du bruit. Les coqs sont peu nombreux ; le concert des cigales s’est tu depuis la veille. Et si un âne lance de loin en loin son mélancolique appel, c’est plus pour souligner le silence que pour le rompre.
L’aurore déploie sa robe de noce. Une note de lumière glisse lentement sur le mur. Non pas l’aurore aux doigts de rose, du vieil aède, mais plutôt rouge orangé. On ne peut, en vérité, réduire ce phénomène à un nom de couleur. C’est aussi bien une matière, ou un chant ; pianissimo, très fluide, joué en harmoniques sur un violon de Crémone, que solliciterait un archet d’une incroyable douceur. La chambre s’emplit lentement de résonnances imperceptiblement modulées ; d’un crescendo polyphonique sur tonalité orange. On ne sait pas où est la source de cette lumière qui diffuse sans rayonner, de cette couleur de vitrail qui chuchote l’approche du jour sans rien bousculer de la nuit.
Sous la fenêtre grande ouverte, les cimes des châtaigniers émergent à peine de l’obscurité. Plus bas, les derniers replis de terrain, recouverts de maquis. Plus bas, la plaine ; cernée d’un trait presque rectiligne, le rivage. La mer est pâle comme le ciel : une ligne montagneuse les sépare ; le rivage italien ?non. Ce sont des condensations nuageuses qui se dissipent lentement.
La ligne des crêtes forme un immense amphithéâtre, dont j’occupe la loge centrale. A gauche, le terrain se découpe en noir, ménageant le dessin précis de trois arbres à proximité d’une ferme. C’est là que la lumière offre ses prémices.Une aura rouge orangé qui monte derrière la maison, s’étend, s’enrichit de timbres nouveaux.
Puis une débauche flamboyante. Le cuivre et l’or sous le ventre de ces nuages. Le sang et la topaze ; la danse des couleurs ivres de leur nouveauté, comme si ce jour était le premier du monde…"
MAT .