On entend souvent dire que la vie n'est
qu'un film où il faut la plupart du temps essayer d'être le héros, le
meilleur héros si possible, bien entendu, et à défaut de rester
spectateur on se contente souvent d'un second rôle, le meilleur second
rôle si possible, bien entendu...
On oublie que la figuration paye plutôt bien pour gagner sa vie en sacrifiant aux débordements d'une vie de star.
On l'oublie tellement bien qu'on finit par tous avoir envie de devenir star.
On crée des académies pour nous y aider, des écoles dans des châteaux,
des stages à l'encadrement aussi pointu qu'une larme de beurre dans une
motte de sabres, des ersatz existentiels sous caméras aux camouflages
obsolètes, des réalités qui se numérisent où tout devient possible à la
retouche d'un corps, où les conversations sylliconnées s'esclaffent aux
ordinateurs dernier cri en prenant le contrôle des êtres humains
modernes. 2001 est dépassé, le premier rôle pourtant est tenu par la
machine, ne restent à l'homme que les seconds rôles.
Au mieux.
On oublie surtout que la vie n'est pas un film, tout juste un clip à la
rigueur, un petit bout de rien où les images se bousculent en moins de
cinq minutes, pas le temps de se lasser, pas de le temps de se
retourner, pas trop le temps non plus de réfléchir à ce qu'il faut
mettre dedans. Clip à l'américaine, suffit de danser sur fond bleu, le
reste est numérique, l'image s'incruste dans votre vie, vous voilà
promis à une happy end certaine, qui ne sera ni lente ni rigoureuse. Le
clip suivant s'était déjà annoncé à l'écran bien avant la fin du votre.
Un volcan s'allume, les êtres succombent.
Tout passe trop vite, figurant ou premier rôle, mais bien sûr, on
n'oublie pas de fêter les ans qui passent. Voici une belle occasion de
faire la fête, sans idées, sans envies, il convient de respecter les
usages en ne se privant d'aucune célébration de masse pour s'aérer le
cerveau.
La récréation est nécessaire à ces esprits bouillonnant qui n'ont plus
besoin de fonctionner que quelques minutes par jour à peine, certes,
mais à plein régime inexorablement. La carence provoquerait un désir
inconscient que cela ne m'étonnerait pas plus que ça, oui madame, comme
je vous le dis.
Enfin, je vous le dis comme à mon poisson rouge.
Au bocal moderne, vous n'êtes que plancton quand votre vie vous aurait
méritée sirène, je vous le dis rampant au sol, moi qui aurais mérité de
devenir poisson... Non, le noir, là-bas, qui tourne dans son bocal sans
jamais se souvenir s'il a déjà vu ce clip-là qui passe si vite, si
vite...
Le type en salopette a donc sonné chez moi, il venait relever le
compteur et voulait me revendre le dernier calendrier de son club
équestre où chaque mois un cheval rivalise de lascivité à travers les
poses les plus explicites que le tiercé ait pu produire depuis que
c'est la passion de quelques bouchers pervers.
Il a relevé le compteur, ce dernier avait tourné d'un cran.
2009.
C'est fou comme ça passe vite.
J'ai décidé de ne rien lui dire, et payer comme tout le monde
l'augmentation des prix du clip. Il n'y a que le salaire des figurants
qui n'évolue guère dans ce système. Les stars se prélassent sur papier
glacé tandis que les spectateurs deviennent leur propre second rôle,
nous discutons virtuellement de ce temps qui passe, sans se donner la
peine de regarder vraiment en arrière, sans vraiment le courage de
regarder devant.
C'est le présent qui compte.
Ce sera lui, un jour, qui vous présentera l'addition.
Nul doute qu'elle sera salée.
Je me souhaite une bonne année pour 2009, les chevaux m'accompagneront
chaque mois au fil des pages du calendrier, le type en salopette ne
reviendra pas de suite, mais il y aura d'autres occasions de se
colmater l'imagination en groupe sous un chapeau fluorescent et
quelques serpentins bien aiguisés.
Bien sûr, vous comprendrez que mes voeux ne soient pas de ces lieux
communs qui se partagent. Je les communique en tant utile à mes
proches, il reste jusqu'au cheval de février pour cela, et je les
adresse de tout mon coeur à celles et ceux qui le méritent, et qui se
reconnaîtront au détour d'un malencontreux passage par ici qui n'est
pas à exclure. Les autres, qui ne connaissent que les mots d'un rampant
au bocal de son propre clip, sauront bien tourner leur propre vie sans
avoir à y glisser mon grain de cynisme.
Mais j'adresse volontiers mes baisers voluptueux et mes chaleureux
remerciements à celles et ceux qui jusqu'ici et à l'avenir peut-être,
continueront d'apprécier ce modeste clip où s'écrasent des mots
mollement réfléchis, où mon cynisme n'a d'égal que cette sensibilité
exacerbée que je dépose délicatement aux touches de mon clavier,
camoufle la lumière et monte un peu la musique, viens plus près, laisse
toi faire, comme ça, oui, délicatement, doucement... t'excite pas coco,
le clavier n'est qu'un paillasson au seuil virtuel, on ne s'y essuie
jamais que les pieds, mais le paillasson moderne a retourné sa veste,
c'est la merde du monde réel qui passe à travers les mailles.
A chacun son clip, les chanteurs d'aujourd'hui n'ont aucune idée pour
cela, on ne leur demande d'ailleurs pas d'en avoir, il s'agit juste de
paraître et d'interpréter un texte succinct sur des images
psychédéliques profondément insipides, ou à la rigueur se déhancher
dans un parking, un garage ou une usine désaffectée, l'exotisme d'une
chorégraphie dérisoire peut parfois transcender un fond que l'on
pensait si banal.
A chacun son clip, me direz-vous avec sagesse.
Mais la sagesse, j'arrêterai de lui pisser dessus quand vous arrêterez de passer votre temps à figurer aux clips d'autrui.
Pensez au votre, il reste des premiers rôles à prendre, j'en suis certain.
J'ai déjà choisi le mien, il en reste encore, dépêchez-vous, il n'y en
aura pas pour tout le monde, et c'est vrai qu'elle est belle ma jument,
je vous en mets combien si je peux me permettre ma bonne dame, crayon
derrière l'oreille, script du quotidien, je suis le boucher de mon
propre espace, il s'agit de tout configurer et de réfléchir à ma place,
créer le décor, inventer le quotidien, à moi le premier prix au
festival du clip de Dabourgein-Lamoule, à moi la montée des ascenseurs
pour le septième ciel et le cachet qui fait enfin rêver...
A moi, à vous.
Mes petits gnous, le top 50 c'est fini pour aujourd'hui, les stars sont
au ciel, ceinture d'Orion en point de mire, c'est pas à Paris que je
peux voir ça alors j'en profite... Profitez-en aussi, bientôt je
retourne au tournage, vous n'avez pas fini d'en baver...
Bonne année 2009 tout de même,
toi.