Le temps des fous

Maître Nombre de messages : 1339 Age : 59 Date d'inscription : 11/12/2008

Le temps des fous

....... Le temps du psychiatre
Assis face à mon sort, il sourit sans malice
Tempère mes tourments, ne me triture pas
Parle plat, posément, pénétrant mes pensées
Il fouille ma folie au fond de mes frissons

....... Le temps de l’infirmière
Elle me montre chemin jusqu’à mon matelas
Et me laisse allonger mes lambeaux sur le lit
Récite les règles et répartit les rôles
Tous ses sons sussurés aussitôt oubliés

....... Le temps de la folle
Le froid fige le fiel en fontaine effondrée
Mon regard révulsé ressasse tout ce rien
Mes forces enfuies, la fatigue me fond
Je joue avec un Je que je ne peux rejoindre

....... Le temps de l’homme
Il caresse mon cœur, ma colère trop calme,
Frôle mon front fiévreux, fait face à la fenêtre
Puis cède au silence me laissant seule et soule
Mais tordu de terreur il taira sa torture

....... Le temps du lieu
C’est un lieu de lenteur et de lourdes langueurs
Le silence installé est strié de soupirs
De rires enfantins rejoints de râles rauques
Blouses blanches ou bleues balisent nos béances

....... Le temps de l’éveil
Le soleil se dessine et sinue sur les cimes
Plisse mes paupières, parfume mes pourtours
Son miel chemine en moi élimant mes limites
Ses rayons revenus réaniment mes rêves

Prêcheur Nombre de messages : 937 Date d'inscription : 28/09/2007

Un vrai petit bijou ce poème aussi bien dans la forme que dans le fond. La forme est originale et les allitérations sont percutantes.

"Le froid fige le fiel en fontaine effondrée"
"Assis face à mon sort, il sourit sans malice"
"Le soleil se dessine et sinue sur les cimes"

Et tant d'autres tout le long qui se renvoient en miroir.

Et puis le fond est comme un électrochoc notamment quand je lis
"Il fouille ma folie au fond de mes frissons" ou encore "Je joue avec un Je que je ne peux rejoindre"

Un poème qui fait peur mais par lequel on est irrémédiablement attiré, qui nous renvoie en miroir, nos failles.

Heureusement la fin est porteuse d'espoir et d'envol

"....... Le temps de l’éveil
Le soleil se dessine et sinue sur les cimes
Plisse mes paupières, parfume mes pourtours
Son miel chemine en moi élimant mes limites
Ses rayons revenus réaniment mes rêves"

Prophète Nombre de messages : 4029 Date d'inscription : 07/07/2007

D'accord avec Vestale, voilà un texte fort.
J'apprécie beaucoup la structure presque rigide, comme le fou qui s'enferme non pas dans ses divagations, mais dans un monde qui ne souffre aucun imprévu. La folie, à mon sens, c'est bien plus la totale inadaptation que le délire.
Un beau travail sur les sonorités.
J'aime moins : "Elle me montre chemin".

Prêcheur Nombre de messages : 937 Date d'inscription : 28/09/2007

J'aurais juste un petit bémol, enfin une chiquenaude sur le temps de l'éveil. Bien que le mot soit doux, léger et allant parfaitement avec cette strophe plus "heureuse", je le voyais plutôt comme le temps de la réanimation ou du "réveil". Quelque chose de plus brusque en somme, une vraie rupture.

Maître Nombre de messages : 1339 Age : 59 Date d'inscription : 11/12/2008

Au début, j'avais utilisé le mot "réveil", mais ça ne correspondait pas : trop brusque justement. Ce texte est un condensé, il n'est pas à la mesure exacte du temps réel. L'éveil est lent, hésitant, une possibilité peu certaine, une porte minuscule. Je préfèrais.
Voilà pourquoi...

Ah quellle belle lecture, je n'ai même pas pris le temps de lire les autres coms pour écrire plus vite comme il m'a plu, ému et emporté dans un grand tourbillon de joie intense : la joie d'avoir eu à l'oreille des mots qui sonnent si bien entre eux et savent m'émouvoir.
C'est le plus beau texte que j'ai lu depuis bien avant Noël et je reviendrai souvent le lire ou alors je me l'imprimerai pour son ambiance qui me rappelle du vécu, pour l'alchimie des mots qui m'a enivrée !
Merci Lucaerne, belle leçon !!