Souvenir des livres de ma vie

D’abord il y a le premier livre, où le mot est presque absent. Quand les premiers émois naissent du ressenti, quand les sentiments sont plus purs sans forcément être plus vrais.
Puis il y a les livres d’école, qu’on oublie parfois sur le banc dans la cour pour un autre élève qui se découvre, qu’on traîne avec soi pour ne pas sortir du rang, comme des mots sur catalogue bien ancrés dans le programme humain.
Les livres adolescents, qu’on ne lit jamais jusqu’au bout, bourrés de mots adultes qu’on ne comprend pas encore, bourrés de questions à se poser et à poser à autrui, des livres qui changent au gré du lecteur, qu’on dévore un peu vite sans bien savoir, qu’on finit par prêter sans avoir envie de savoir.
Avec le temps vient le livre du plaisir, celui qu’on relit cent fois et qu’on garde sur la table de nuit, pas trop loin, juste à côté de soi. Pour allumer la lumière au milieu du sommeil et contempler un instant encore la couverture à la lueur du désir. Pour y retrouver le mot dont on a besoin, celui qui sait effacer le temps, celui qui se crie plus qu’il ne se médite.
Le livre de la raison s’installe un temps, ajoutant des questions aux réponses absentes.
Le livre du quotidien, ses mots sont rassurants, l’intrigue peut y être sommaire, les personnages parfois secondaires, sans grand suspense en vérité, qui se laisse lire jusqu’au bout au vague espoir d’un rebondissement inattendu.
La mémoire est une vasque de plaisirs captieux où le palimpseste tue l’espoir.
On se penche aux livres du souvenir, que l’on parcourt brièvement ou dont on se délecte avec volupté, qu’on finit quoi qu’il en soit par déposer sur l’étagère dans l’entrée, pour y penser un instant au croisement d’une tranche épaisse, un trajet salon-salle-de-bain-quotidien, une pensée émue pour les mots qui nous reviennent.
Le livre qui tourne dans les caves à l’ombre des lampes de mineurs, le livre qui vous aguiche de sa couverture si ténue, celui qui vous guide en cuisine par ses petits trucs insoupçonnables, celui qu’on oublie trop vite, celui qu’on oubliera pas de sitôt, celui qu’on relit sans cesse, livre d’un soir ou livre d’une existence, celui qu’on prête et qu’on ne revoit jamais, celui qu’on prête et qu’on nous rend trop vite, le livre dont on parle à tout le monde et celui qu’on garde pour soi, le livre de famille qu’on range dans la commode, le livre autoritaire qui nous cale une armoire, le livre poussiéreux que l’on connaît par cœur, le livre absent, le livre des autres, le livre qui se lit dans le métro et celui qu’on préfère dans les trains, le livre qui ne sort plus de chez soi et le best-seller entre toutes les mains…

Rien ne vaudra jamais le livre qu’on écrit soi-même, à condition de le lire à deux.

Pas mal... Jusqu'à la fin je me suis dit "il en oublie un, c'est celui qu'on écrit soi-même"... et la chute est tombée !

Maître Nombre de messages : 1339 Age : 59 Date d'inscription : 11/12/2008

J'aime bien ce texte, ce passage en particulier :
"Avec le temps vient le livre du plaisir, celui qu’on relit cent fois et qu’on garde sur la table de nuit, pas trop loin, juste à côté de soi. Pour allumer la lumière au milieu du sommeil et contempler un instant encore la couverture à la lueur du désir."

Puis, bien sûr, le livre que l'on écrit soi-même, sur papier ou sur la vie. Mais pourquoi cette restriction d'être forcément deux ?

Il y a cependant un émoi que je n'ai pas retrouvé, c'est celui éprouvé quand, adulte, on redécouvre un livre qu'on a lu ado et qu'on comprend enfin tout ce qu'on n'avait pas compris à l'époque. Là on mesure le chemin.

Prophète Nombre de messages : 4029 Date d'inscription : 07/07/2007

Une bonne idée que ce texte et le développement de ce sujet. Tu as pas mal résumé l'ensemble. Pour les amoureux des livres, tout est prétexte à souvenir, à découverte, et souvenir des découvertes. Certaines marquent la vie entière.

Je ne parlais pas des livres, je le dis dans mon texte du jour, alors forcément j'en ai oublié...
Mais merci pour vos commentaires, ils me donnent toujours envie de continuer à écrire.
Et bravo à tous les membres, auteurs, créateurs, que je lis, trop souvent sans commenter...

Maître Nombre de messages : 1339 Age : 59 Date d'inscription : 11/12/2008

Ce qui est "marrant", c'est que même si tu ne parlais pas de livres, les commentaires s'adaptent parfaitement à ton texte, je trouve. Livres, vie... tout ce qui est dit peut-être transposé. Non ?