Une boule magique et de jaune vêtue
A rebondi sur mon balcon
Je l’écoute conter son histoire vécue
Par-delà le bel horizon...
"J’ai vu des Childéric perdre leur Cunégonde ;
J’ai vu des Clodomir les remplacer par dix ;
J’ai vu Napoléon et Vercingétorix,
César et Mustapha se disputer le monde. "
- Qui es-tu ? D’où viens-tu ? Es-tu ballon ou sonde ?
"J’ai vu le vagabond qui, près de l’eau s’endort ;
J’ai vu les miséreux dans leurs haillons, livides,
Les atours décorés des dames, d’or avides,
Les gavés, les repus, les riches sans effort."
- D’où viens-tu ? Qui es-tu, ballon ? Es-tu au port ?
"J’ai vu les Dieux du ciel, veillés par des vestales ;
J’ai vu, vers l’orient, l’étoile du berger ;
J’ai vu les égarés d’eau fraîche s’asperger,
Un prêcheur les guidant vers leurs heures fatales."
- Qui es-tu ? D’où viens-tu, ballon, de quels dédales ?
"J’ai vu le vert bocage et le blond champ de blé,
Le mont roux, revêtu de la neige éternelle ;
J’ai vu quelque chardon, quelque blanc asphodèle
Sur un vague terrain, obscur, m’a-t-il semblé..."
Sous mes doigts hésitants, le ballon a tremblé.
"J’ai vu des gazons noirs sur la colline rose ;
J’ai vu des arbres bleus, de rouges océans ;
J’ai vu les cauchemars de cœurs aux trous béants,
J’ai vu les cieux tout verts, le pré que rien n’arrose."
- Qui t’a guidé vers moi, ô, ballon si morose ?
"J’ai croisé le guerrier et le veuf éploré,
Celui de tous les temps, dans ma course lointaine ;
J’ai vu la cave pleine et, sans eau, la fontaine,
Le forum bien vivant, le bois inexploré."
De mes doigts hésitants, son corps j’ai effleuré...
"J’ai vu des esseulés, j’ai vu des Pénélope,
Leur quenouille filant, j’ai vu le fier luron
Au bras de son amante, et j’ai vu la goton
Aguicher le passant, d’un propos interlope."
- D’où viens-tu ? Qui es-tu, ô ballon philanthrope ?
Devant mes yeux hagards, soudain, frémit son jaune.
Sa coquille se fend, puis s'entrouvre son sein.
Hors de l’arche du temps, s’insinue un essaim :
Les oiseaux, deux par deux, guidés par la pigeonne...
Deux colombes, deux pélicans,
Deux faucons et deux goélands...
Leur futur, libéré, de mon balcon s’envole ;
La pigeonne-Noé s’en vient sur mon épaule.