Faut-il savoir, sans poésie,
Taire ses songes de gamin
Et ressembler, sans fantaisie,
À un pianiste à fausse main ?
Faut-il savoir, dans le gazon,
Dédaigner rose et marguerite
Pour cueillir le piquant chardon,
Qui pousse partout sans mérite ?
Faut-il savoir rester de glace
Et demeurer bien dans sa peau
Et se maintenir à sa place,
Devant la bave du crapaud ?
Faut-il savoir cacher son rêve
Des lendemains, même bien seul,
Et leur laisser leur bois sans sève
Et leurs draps fleurant le linceul ?
Faut-il savoir le tout petit,
Minable et mesquin endurer
Et ne plus avoir d’appétit
Que pour un espace emmuré ?
Faut-il savoir rester à table
Quand la bonne humeur a quitté
Sa place et qu’un rai bien minable
N’y vaincra pas l’obscurité ?
Faut-il savoir être lassé
Devant la passion nouvelle
Qui déviant du chemin tracé
Fait un amoureux d’un rebelle ?
Faut-il savoir être insipide,
Imbu, incolore et sans vie
Et se satisfaire du vide
Sans bonne humeur et sans envie ?
Faut-il savoir rester en phase
Avec les radoteurs de l’art,
Qui ne répètent que leur phrase,
Sans le rêve et sans le hasard ?
Faut-il savoir une aventure,
À peine écrite ou bien chantée,
Vite oublier et la conclure,
Sans qu’elle fut réinventée ?
Faut-il savoir, mouchoir en poche,
Enfouir sa passion, résister
Aux assauts du triste et du moche,
En continuant d’exister ?
Faut-il savoir ne pas entendre
Les quolibets, rester serein
Devant les fous ? Faut-il comprendre
Ceux qui refusent votre main ?
Faut-il savoir parler la langue
De l’étranger à l’amour nu
Hélas de poésie exsangue ?
Excusez-moi, je n’ai pas su...
Il faut savoir quitter la table
Quand les ringards s’y sont assis,
Et laisser là le pitoyable
Avec ceux qui en sont rassis.