Bonjour les circulatoires...
J'avais envie de vous parler de ce "petit" livre que je viens de terminer et qui m'a tellement émue. Un homme qui exprime son désespoir avec autant de tendresse et d'humour, ça ne court pas les rues. Alors quand il en fait un livre, il ne faut pas le râter ! J'ai ri, souri, pleuré en le lisant. Ce n'est pas un énorme pavé, et pourtant il contient tant de choses : l'amour d'un père pour ses enfants handicapés, la loufoquerie de certaines situations et l'hypocrisie de notre bonne société face au handicap. Sujet sérieux, le handicap ! Toujours ! Un handicapé qui rit, ou qui fait rire... vous n'imaginez pas tout de même ?!?
Alors merci Monsieur Fournier pour ce beau grand moment d'humanité.
Et puis comme j'aime choisir mes livres en fonction de ce qu'on m'en dit mais surtout en les feuilletant et lisant des passages au hasard, voici quelques morceaux choisis...
*
Cher Mathieu
Cher Thomas
Quand vous étiez petits, j’ai eu quelquefois la tentation, à Noël, de vous offrir un livre, un Tintin, par exemple. On aurait pu en parler ensemble après. Je connais bien Tintin, je les ai lus tous plusieurs fois.
Je ne l’ai jamais fait, ce n’était pas la peine, vous ne saviez pas lire. Vous ne sauvez jamais lire. Jusqu’à la fin, vos cadeaux de Noël seront des cubes ou des petites voitures…
Maintenant que Mathieu est parti chercher son ballon dans un endroit où on ne pourra plus l’aider à le récupérer, maintenant que Thomas, toujours sur la Terre, a la tête de plus en plus dans les nuages, je vais quand même vous offrir un livre. Un livre que j’écris pour vous. Pour qu’on ne vous oublie pas, que vous ne soyer pas seulement une photo sur une carte d’invalidité. Pour écrire des choses que je n’ai jamais dites. Peut-être des remords. Je n’ai pas été un très bon père. Souvent, je ne vous supportais pas, vous étiez difficiles à aimer. Avec vous, il fallait une patience d’ange, et je ne suis pas un ange.
Vous dire que je regrette qu’on n’ait pas pu être heureux ensemble, et peut-être, aussi, vous demander pardon de vous avoir loupés.
On n’a pas eu de chance, vous et nous. C’est tombé du Ciel, ça s’appelle une tuile.
J’arrête de me plaindre.
Quand on parle des enfants handicapés, on prend des airs de circonstance, comme quand on parle d’une catastrophe. Pour une fois, je voudrais essayer de parler de vous avec le sourire. Vous m’avez fait rire, et pas toujours involontairement.
Grâce à vous, j’ai eu des avantages sur les parents d’enfants normaux. Je n’ai pas eu de soucis avec vos études, ni votre orientation professionnelle. Nous n’avons pas eu à hésiter entre filière scientifique et filière littéraire. Pas eu à nous inquiéter de ce que vous feriez plus tard, on a su rapidement que ce serait : rien.
Et surtout, pendant de nombreuses années, j’ai bénéficié d’une vignette automoblie gratuite. Grâce à vous, j’ai pu rouler dans des grosses voitures américaines.
*
En tant que père de deux enfants handicapés, j’ai été invité à participer à une émission de télévision pour témoigner.
J’ai parlé de mes enfants, j’ai insisté sur le fait qu’ils me faisaient rire souvent avec leurs bêtises et qu’il ne fallait pas priver les enfants handicapés du luxe de nous faire rire.
Quand un enfant se barbouille en mangeant de la crème au chocolat, tout le monde rit ; si c’est un enfant handicapé, on ne rit pas. Celui-là, il ne fera jamais rire personne, il ne verra jamais des visages qui rient en le regardant, ou alors quelques rires d’imbéciles qui se moquent.
J’ai regardé l’émission, qui avait été enregistrée.
On avait coupé tout ce qui concernait le rire
La direction avait considéré qu’il fallait penser aux parents. Ça pouvait les choquer.
*
Chaque week-end, Thomas et Mathieu reviennent de leur institut médico-psychologique couverts d’écorchures et de griffures. Ils doivent se battre comme des chiffonniers. Ou alors, j’ai imaginé que dans leur institution, qui est à la campagne, et depuis que les combats de coqs sont interdits, les éducateurs, pour se détendre et arrondir leurs fins de mois, organisent des combats d’enfants.
A voir la profondeur des plaies, ils doivent certainement fixer aux doigts des enfants des ergots de métal. Ce n’est pas bien.
Je vais devoir écrire à la direction de l’IMP pour que cela cesse.
*
Je suis rentré plus tôt à l’appartement. Josée est seule dans la chambre des enfants, les deux lits sont vides, et la fenêtre est grande ouverte. Je me penche dehors, je regarde en bas, vaguement angoissé.
Nous sommes au quatorzième étage.
Où sont les enfants ? On ne les entend pas. Josée les a jetés par la fenêtre. Elle a pu avoir une crise de folie, on lit ça, quelquefois, dans les journaux.
Je lui demande, sérieusement : "Pourquoi, Josée, avez-vous jeté les enfants pas la fenêtre ?"
J’ai dit ça pour rire, pour chasser l’idée.
Elle n’a pas répondu, elle ne comprend pas, elle est sidérée.
Je continue sur le même ton : "Ce n’est pas bien, Josée, ce que vous avez fait. Je sais bien qu’ils sont handicapés, ce n’est pas une raison pour les jeter."
Josée est terrifiée, elle me regarde sans rien dire, je pense qu’elle a peur de moi. Elle part dans notre chambre, elle revient avec les enfants dans les bras et les pose devant moi.
Ils vont bien.
Josée est toute remué, elle doit se dire : "Pas étonnant que monsieur ait des enfants un peu fous."
*
Il ne faut pas croire que la mort d’un enfant handicapé est moins triste. C’est aussi triste que la mort d’un enfant normal.
Elle est terrible la mort de celui qui n’a jamais été heureux, celui qui est venu faire un petit tour sur Terre seulement pour souffrir.
De celui-là, on a du mal à garder le souvenir d’un sourire.
*
Le reste, je vous laisse le découvrir. Ce serait dommage de vous gâcher ce plaisir...