Non, contre le réel

Soyons fou mon âme, jetons au loin ce masque, cette chair qui nous étouffe, soyons nous même mon âme, rien que ce jour. Osons dire, osons faire, osons nous dresser contre… mais contre quoi, un rêve ?
Il y a le bruit des autres, ce cliquettement d’os quand ils rient en eux même mais qu’ils ne comprennent pas. Il y a des barrières, et je crois bien tu sais, c’est moi qui les ai faites. J’ai accouché d’un mur, de barbelés grisâtres qui me brisent le corps, qui entaillent ma peau et je rie comme les autres mais c’est à en crever. Je me vide de moi.
La carapace m’étouffe comme un vampire avide qui me suce la moelle, qui empêche mon cœur de battre sur le bon rythme.
Je déchire mes mains sur les liens acérés qui retiennent ma chair, et c’est le sang qui gicle, qui pisse au lieu des larmes comme dans les vieux poèmes. J’ai les poignets en sang, déchirés à mon rêve, j’ai compris bien trop tard qu’on ne peut pas changer. Je n’ai pas osé boire aux mamelles du monde, j’avais peur de l’inceste et je n’ai pas vécu. J’avais peur j’avais peur j’avais peur, mais de quoi ?
Interdite, je contemple les flots de glaire noire qui s’échappent de moi, de ma pulpe entrouverte qui déjà se nécrose. Les tambours sont tout près, j’en entends les coups sourds portés aux peaux tendues, comme des ventres de femmes battues par le destin. Les tambours sont tout près, et les joueurs aussi, ils rient auprès de moi. Peut être pleurent-ils en fait, d’eux, je ne sais rien. Les tambours sont tout près, pourtant je ne peux entendre, la mélodie m’échappe, et l’air me bâillonne comme un tampon d’éther.
Les paupières se font lourdes et l’œil ne perçoit rien, pas plus loin que le corps. Un éclat d’argent tremble dans la main droite, englouti presque par les flots de sang pourpre. Je regarde mon corps, je ne vois pas les liens, la carapace n’est plus. Tout ce temps, tout ce temps, contre quoi, contre qui, me suis-je donc battue, contre un rêve ?

Gardien de la foi Nombre de messages : 452 Date d'inscription : 22/05/2008

Citation :: J’ai accouché d’un mur, de barbelés grisâtres qui me brisent le corps,

J'aime particulièrement cette phrase

et l'ensemble en général me séduit. C'est fort et imagé.
L'idée de se battre contre un rêve aurait pu -peut-être- être amenée de façon moins convenue.
Les nombreux alexandrins (volontaires ?) ajoutent à l'ambiance.
Bravo

merci Farouche,

Effectivement, les alexandrins sont volontaires..
sinon, elle ne se bat pas contre un reve, "non, contre le réel"
la réponse était dans le titre Wink

la frontière est bien mince... j'aime beaucoup cette citation de baudelaire : "mais la voix me console et dit "garde tes songes, les sages n'en ont pas d'aussi beau que les fous"...

Prophète Nombre de messages : 4029 Date d'inscription : 07/07/2007

J'aime le ton de ce texte, sombre et presque... romantique. Et le lien avec le titre est fort astucieux...

Oui, le ton est juste, le langage ciselé comme on tranche entre rêve et réalité, et les alexandrins, toi-même, te font poète d'un quotidien oscillant ehtre déchirures du réel et creux d'utopies.
Très bon texte, très fort, très imagé, très réussi.

Guide Nombre de messages : 510 Age : 59 Date d'inscription : 12/12/2008

Très bon texte.
Comme quoi, la mise en strophes et vers n'est jamais nécessaire.
Il coule de source.

Maître Nombre de messages : 1339 Age : 59 Date d'inscription : 11/12/2008

Oui, texte fort, qui fait réflexion, résonnance !

"Il y a des barrières, et je crois bien tu sais, c’est moi qui les ai faites. J’ai accouché d’un mur..."
Parfois, la carapace est indispensable pour survivre. Mais à quel prix ? Et comment faire autrement ? La vie est bien souvent livrée sans mode d'emploi.

Abandonner la carapace, cesser de se battre, c'est peut-être laisser entrer la vie...