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 Sauvegarde virtuelle

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5 participants
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epiphyte
Gardien de la foi
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MessageSujet: Sauvegarde virtuelle   Sauvegarde virtuelle Icon_minitimeSam 14 Mar - 18:23

On se dit souvent que ne plus écrire, c’est mourir un peu.
Pourtant ne plus écrire c’est vivre, surtout.
A écrire pour laisser des traces, on ne fait jamais que marquer le temps qui passe.
Ecrire c’est préparer sa mort.

Il faut beaucoup d’inconscience pour vivre heureux dans ce monde-là, de ces inconsciences collectives qui confondent les coiffeurs et les tondus, de ces grandeurs d’âmes qui enclavent les riches et les pauvres, de ces illusions fortuites où chacun voudrait rester maître.
Ce n’est pas ce monde-là qui est pourri de l’intérieur, ce n’est pas notre société qui va mal, ce sont seulement parfois les êtres qui se laissent heurter par un éclair de lucidité.
La lucidité c’est comme les coups de foudre.
On ne sait jamais où ça va tomber.
On ne peut pas s’y préparer.
On en entend beaucoup parler sans jamais les vivre.
Mais on n’en vit que mieux dans ce monde-là.

Je vis dans un monde virtuel où je fais semblant de me diriger en toute conscience.
Ca fait plus de trente ans que j’essaye de peaufiner les réglages, retournant sans cesse au menu des options pour opérer la petite transformation nécessaire à la bonne marche des choses, pourtant je suis bloqué, les niveaux supérieurs semblent parfois inaccessibles, je plie sous le poids des pixels mais ne me brise plus, retour aux options, pause, pause pipi surtout, je ne suis qu’une usine à merde qui pense, en collectivité mon ventre parle parfois plus fort que moi. Encore faudrait-il savoir s’exprimer.
Cette inconscience nous pousse à croire que perdre une vie n’empêchera pas de recommencer, la mémoire a stocké des sauvegardes toutes en images, toutes en couleurs, toutes en voix, reprendre où je me suis arrêté, recommencer à ma guise où le souvenir m’emmène.
L’histoire est déjà écrite, depuis toujours, et les niveaux suivants n’attendent plus que moi, pourtant je ne crois pas plus en un dieu qu’en une possible réincarnation, mais on finit toujours par trouver la solution, aujourd’hui on trouve tout sur Internet, au pire on peut même tenter une sortie en société pour se changer les idées, je vais bien finir par trouver quelqu’un qui a un jeu en double, forcément, on pourra faire l’échange.
Le paquet de merde ou les échanges.
Je vis toute confrontation humaine en apnée, le manque d’air finit toujours par me paniquer.
Les sauvegardes se sont enrayées dans ma mémoire, tout se bouscule sans cesse, les fichiers sont défectueux, on a piraté mon esprit et je n’y vois plus clair, tout s’entremêle, tout se chevauche, et plus aucun bouton de pause.
C’est un virus contagieux, je ne me connecte plus aux autres.
Usine en grève, je garde mes paquets.
Putain, pourtant, les décors sont vachement bien foutus.
Les animations super fluides.
La psychologie des personnages a bien été fouillée.
Les rebondissements ne manquent pas.
Il se dit qu’une suite est en cours de création.
Cours de création.
Cour de récréation.
Chargement des données terminé.
Lancer le programme.

Ok.
C’est samedi, c’est jour de sport.
C’est jour de gymnastique, même, on attend bêtement dans la cour de récréation que le prof conduise la classe jusqu’au gymnase, de l’autre côté des grilles qui cernent le collège. Un samedi matin où le ciel crache un peu, question d’atmosphère.
Le vendredi, bien sûr, c’est différent. Le vendredi c’est maths et dessin, le mec qui a pondu l’emploi du temps est super doué pour ça, il se dit que ça va les faire marrer, ces petits connards d’ados boutonneux qui viennent d’entrer pour un bon moment dans l’âge bête. Il se fait marrer lui-même en tout cas, en matant la pétasse du calendrier.
Mais après le vendredi, samedi c’est jour de sport.
Trente-sept petits moutons attendent l’heure du salto, les mains dans les poches.
Je n’ai jamais su si je haïssais davantage la gymnastique que l’athlétisme, je me suis seulement réjoui d’éviter la natation.
Trente-sept petites têtes blondes qui deviendront coiffeurs ou tondus, pauvres ou riches, inconscients ou malheureux. L’effectif est toujours impair, inévitablement. C’est le type de l’emploi du temps qui sépare les noms à sa convenance, aigri d’un boulot si peu valorisant, il prend un malin plaisir à constituer des classes où les élèves sont en nombre impair. Ca en obligera un, à chaque cours, à être tout seul dans son coin, l’apprentissage de la solitude se fait dès le plus jeune âge, c’est le premier niveau du jeu, passage inévitable pour évoluer, tout a été tellement bien pensé.
On attend dans la cour sous le ciel qui crache, les mains dans les poches, les doigts bien serrés autour du tissu vert pâle pour éviter de se faire baisser son froc devant tout le monde. La solitude vous apprend à redouter la honte.
Ca nous arrive une fois, au début de l’année, on se fait presque tous avoir, trois filles, des grandes, de celles qui vont quitter le collège l’an prochain après avoir redoublé d’efforts pour y noyer leur adolescence jusqu’à terme, elles vous entourent un matin, vous attrapent par surprise, et vous vous retrouvez écroulé par terre le pantalon de jogging vert pâle sur les chevilles, par malchance la traîtresse aura aussi attrapé ce caleçon a l’élastique usé que tout le monde trouvera ridicule même des années plus tard.
Exhiber malgré soi son corps qui change.
Etre le sujet du rire.
Apprendre à vivre en apnée, sortir le moins possible, éviter l’autre, le début d’une longue vie d’errance où les trajets du matin se font à reculons et les récréations du samedi les mains dans les poches.

Bien plus tard dans le jeu, vous serez confronté à l’interdit. L’armée ne supporte pas les mains dans les poches, c’est la punition assurée pour un tel acte de trahison à la bienséance militaire. Le froid est une sensation civile, en treillis vous n’avez pas froid aux mains, au-delà de vous geler les phalanges en pensant niaisement aux cordes aiguisées de votre guitare qui prend la poussière, vous apprenez à vivre sans vos défenses naturelles, si vous ne pouvez plus tenir fermement votre pantalon en serrant fort le tissu vert kaki les mains dans les poches, vous êtes démuni.
Aux ordres.
Au garde à vous dans la cour de la caserne, trente-sept appelés qui attendent patiemment qu’un gradé les emmène jusqu’à la piscine du fort. La natation aussi vous rattrape, elle sera moins ludique, la punition à ceux qui trop souvent remettent à demain ce qu’ils auraient pu maîtriser la veille.
Trente-sept appelés tondus malgré eux par un coiffeur planqué, les chiffres impairs sont les clefs des bonheurs du monde. Il y a toujours un troisième aux couples qui durent, les prix terminent toujours en neuf, les riches sont cinq fois plus riches que les pauvres, mais le sept porte bonheur, et deux vendredi 13 une même année, c’est une aubaine pour la Française des jeux.
Au garde à vous sous un ciel qui crache, les décors sont bien foutus mais pas très variés, on a rajouté des murs aux grilles qui cernent la caserne, mais quand on se laisse bouffer par l’action c’est vrai qu’on fait moins gaffe aux décors.

C’est un niveau de jeu très difficile, il n’existe aucun moyen de sauvegarder, surtout pas de bouton pause, surtout aucun désir de recommencer la partie à partir de là, aucun désir tout court d’ailleurs, si ce n’est cette douce illusion d’une liberté malicieuse qui fait cracher son ciel.
Entrer dans le trou.
Sortir du trou.
Garde à vous.
Repos.
Garde à vous.
Bande de connards, bande de mauviettes, la marseillaise ça se chante pas à la chorale, ça se chante à la militaire, ça vient des tripes, la marseillaise c’est un chant de guerre et c’est la guerre, garde à vous, repos, à mon commandement feu sur les cibles, feu à balles réelles, nettoyage du Famas, démontage, remontage, il reste une trace, on recommence, toute la nuit s’il le faut, et demain trente bornes dans les montagnes avec tout le matos dans le sac à dos, on nous jette sur place dans une jeep sans bâche, le vent de février est glacial dans les Alpes, c’est toujours mieux que l’Allemagne, on se dit en se gelant les couilles à travers ce petit caleçon à l’élastique usé, les accessoires manquent un peu de diversité, eux aussi.
Vous n’avez plus la sensation de jouer, mais vous continuez à avancer, vous continuez à entretenir la solitude, vous vous obligez à réfléchir pour ne pas sombrer, on se rattache à n’importe quoi pour adoucir l’enfer, une musique apaisante aux oreilles du soir, une cigarette réconfortante aux poumons du matin, un rire pour rien, un sourire pour tout, j’aimais bien le vert quand j’étais môme, dès le collège pourtant j’ai arrêté d’avoir une couleur préférée.
J’ai pris conscience de ma lucidité.
Et me la suis prise en pleine gueule pendant dix mois sous les drapeaux, garde à vous, garde à vous, plus jamais de repos, mais quelle fierté, enfin, d’être un homme.
A la prochaine guerre je peux mourir serein, en treillis on supporte mieux la mort sans doute.
La guerre virtuelle a commencé, il s’agit d’un combat contre soi-même, chaque niveau de jeu apporte son lot de surprises.
A chaque niveau sa difficulté.
A chaque instant qui passe son illusion nouvelle.
A chaque mot qui se pose, le temps avance encore et la mort se prépare, on se dit souvent que ne plus écrire, c’est mourir un peu, mais les règles sont mal écrites, et chaque jour il convient de redoubler d’efforts pour entretenir ce désir malsain de terminer la partie, enfin.
Fin de programme.
Insérer disque 2.
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MessageSujet: Re: Sauvegarde virtuelle   Sauvegarde virtuelle Icon_minitimeSam 14 Mar - 18:39

Je me reconnais dans toute la première partie.
Bon, j'ai pas fait l'armée... ça m'a permis d'insérer plus vite MON disque 2.


Ce texte me plait énormément.
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MessageSujet: Re: Sauvegarde virtuelle   Sauvegarde virtuelle Icon_minitimeSam 14 Mar - 19:34

Arrivera un jour où les hommes ne parleront plus de leur service militaire, vu qu'il n'y en a plus. Comme les pieds-noirs, vous avez remarqué que maintenant, plein de gens ne savent plus ce que c'est ?
Chose étrange, il faut posséder un grand sens critique, une belle indépendance déjà, un vrai esprit rebelle, un esprit poète, donc, pour éviter de considérer cette période comme, après tout, une sacrée bonne tranche de rigolade. Parce que moi, j'en entends toujours parler avec émotion, les "tu te rappelles le sergent peau-de-vache", mais avec des sourires hilares, entre le pastis et les cahouètes. Bon, je caricature à peine.
Bizarre, tout le monde s'accordait à reconnaitre que le service ne servait à rien et qu'on y perdait son temps, il n'y a visiblement que moi qui voit cela comme un gage de démocratie, dans l'absolu. L'armée de métier, je m'en méfie, viscéralement.
Et je trouve que tous aurait du le faire, ce foutu service, amélioré bien sûr (mais est-ce possible d'améliorer l'armée ?), tous, y compris les femmes.
Evidemment, ce que tu racontes n'est pas très plaisant. Je suppose que pour celui qui refusait le "moutonnage" dès la cour de récréation, cela pouvait tourner même au cauchemar version XL.
Mais bon sang, quand je vois que certains ne sont même pas capables de faire leur lit ou de manger autre chose qu'une pizza commandé par téléphone, je me dis qu'un coup de pied au cul version sergent-chef ne serait pas du luxe ! Et que ça éviterait encore aux mères, copines et assimilées, de se taper tout le boulot.
Comment ça, ce sont des propos de vieux ? Laughing
N'empêche.
Et n'empêche que j'apprécie moi aussi énormément ce texte, droit dans ta veine, la critique, la grinçante, la désabusée.
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MessageSujet: Re: Sauvegarde virtuelle   Sauvegarde virtuelle Icon_minitimeDim 15 Mar - 18:07

Je soupçonne Constance de fantasmer sur l'uniforme... Wink
Reste que, comme elle, je trouve que "l'armée de métier", ça fait peur. En même temps, je n'aurais vraiment pas voulu la faire.
Je vois malgré tout dans une armée d'appelés l'avantage du rituel initiatique : apprendre à fumer (et d'la bonne), à picoler, à faire des conneries... à devenir un homme comme la société en attend. C'est peut-être encore plus flippant.
Comme ton texte le dit si bien Epiphyte, "Il faut beaucoup d’inconscience pour vivre heureux dans ce monde-là". Mais nous n'avons que celui-là.

J'aime beaucoup les coiffeurs et les tondus. Ils sont de tous les temps et de tous les lieux. Belle trouvaille ! Entre toutes les autres.
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MessageSujet: Re: Sauvegarde virtuelle   Sauvegarde virtuelle Icon_minitimeMar 24 Mar - 2:32

Un cadeau par jour, c'est pas si mal. Aujourd'hui, mon cadeau de vie, c'est la découverte de cette écriture qui n'y va pas par quatre chemins, une écriture nerveuse et surtout clairvoyante, une écriture incisive, elle bouge, elle fait bouger, ça bouge dedans.

Chapeau bas, et rendez-vous le plus souvent possible entre les yeux et l'encre.

P'tain, moi qui recommence à lire en cette période bénie de renaissance, ce luxe, là, tout soudain...

Merci à toi. Vraiment.
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MessageSujet: Re: Sauvegarde virtuelle   Sauvegarde virtuelle Icon_minitime

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