LA QUADRATURE DES CANTATRICES
Muriel, amie de Sophia, ancienne (piètre) chanteuse d’opérette
Sophia, chanteuse amateur, qui a décidé de devenir professionnelle
Arthur Laubier,Directeur du théâtre, intéressé par les charmes de Sophia
Solène, chanteuse d’opérette dont les dons sont plus physiques que vocaux
Antoine,metteur en scène, attiré par les charmes de Solène
Andréa, femme du directeur du théâtre, maquilleuse, se mêle de tout…
Ilda, costumière et accessoiriste, renfrognée
SCENE I
Sur fond sonore d'un air d'opéra (Carmen de Bizet), on entend vaguement qu'une voix féminine double la chanteuse et en fait des tonnes. Pendant ce temps, une femme, Muriel, la cinquantaine active, s'affaire tranquillement, comme si de rien n'était. Le téléphone sonne. Muriel ôte alors les boules quiès de ses oreilles, décroche et dit d'une voix timbrée :
Muriel : Ne quittez pas s'il vous plaît, je vais tâcher de faire diminuer le 'fond sonore'. Les Deux derniers mots sont appuyés.
Puis, elle coupe le son de la chaine hi fi et s'exclame à l'adresse de la
chanteuse :
Muriel:Sophia, peux-tu, s'il te plaît, mettre ta 'sourdine' le temps que je réponde au téléphone ?
Sophia :...... Les vibratos redoublent... Muriel reprend le téléphone :
Muriel : Ne vous impatientez pas, je fais ce qu'il faut pour vous entendre...
Elle sort. On entend une porte qui claque et la voix diminue un peu. Puis elle revient et claque la porte à cours et l'on n'entend plus le chant. Muriel sourit au public, satisfaite, et reprend le téléphone.
Muriel : Bonjour, cette fois, je peux vous écouter... Oui... Non... Evidement, mais je pourrais... Oui je peux tout de suite mais... Alors tampis mais vous-ne-savez-pas-ce-que-vous-perdez !... Mais enfin vous avez entendu comme moi, c'est... Pire que cela ! Oui, mais oui... Oh si,
ça je vous l'assure. OUI ! Et bien mieux qu'elle.... Mais oui c'est de
mon amie que je parle ; c'est elle que j'aime. Pas ce qu'elle chante. Enfin pas trop... Vous dîtes ? .... Mieux qu'elle ? Ça ne fait pas l'ombre d'un doute
voyons ! ... Mais faites-moi faire un essai, vous verrez... Demain ? Je suis libre l'après-midi... 15 heures,
d'accord. Vous verrez, nous ferons de grandes choses ensembles.... Oui, je
serai à l'heure cette fois…. Ne vous inquiétez pas. Alors à demain mon cher.
Elle raccroche et, prenant la pose, prend face public un petit air satisfait. Puis elle retourne vers la porte :
Muriel : Tout de même… On ne mélange pas les chanteuses de salle de bain avec les cantatrices. Je l'ai appris mon métier moi, et pas sous la douche !!
La porte s'ouvre soudain à la volée et Sofia apparaît en peignoir, la tête enturbannée d'une serviette colorée en hurlant à plein coffre et faisant rouler les r :
Sophia : Prends gaaaaarrrde à toi.... si tu médis lààà dans mon dos !!!
Muriel : (nullement intimidée) Moi, mais pas du tout, je ne dis que la vérité. Et la vérité ne peut pas blesser.
Sophia : ça, ça reste à prouver ; et puis... il y a des vérités que tu t'arranges pour dire dans mon dos.
Muriel : Mais non, puisque tu les as entendues.
Sophia : Parce que j'ai de l'oreille...
Muriel : Eh ben moi aussi j'ai des oreilles et elles souffrent ; tout le temps que dure ta douche. Tu aurais pu me prévenir que tu n'étais pas prête. Je serais allée faire un tour au jardin...
Sophia : Tu n'aimes pas “Carmen” ? C’est nouveau…
Muriel : Comment aurais-je pu interpréter un rôle sans l'aimer ?
Sophia : Tu as interprétée Carmen, toi ?
Muriel : avec fierté, lors d'un long bout d'essai, oui Madame. Ne vous en déplaise.
Sophia : hilare, Un rôle qui n'a duré que le temps du bout d'essai j'imagine... Mais attend... Ce n'est pas cette fois là que tu es arrivée tellement en retard qu'ils n'ont pas voulu t'écouter ? Puis, se tordant de rire Et que tu as
fais venir le chauffeur de taxi pour qu'il leur dise tout le bien qu'il pensait
de ta prestation pendant le trajet ?? sanglotant de rire Alors c'est ça
ton INTERPRETATION intégrale du rôle de Carmen ???
Muriel : (se vexant petit à petit) Mieux vaut chanter peu mais juste et devant un spectateur plutôt que seule sous la douche ! Oh et puis je n'ai plus rien à prouver. Je te laisse. Le calme du jardin m'apaisera les tympans.
Sophia : Il y a pourtant le chant des oiseaux.
Muriel : Oh ils n'essaient pas de rivaliser avec toi Chérie !
Sophia : Mais je ne suis pas en compétition avec eux. Avec personne du reste. Même pas avec toi.
Muriel : (se recoiffant machinalement) A la bonne heure, je n'aimerais pas...
Sophia : Mais tu crois que tu pourrais...
Muriel : Air mi-agacé mi-amusé (pensant au coup de fil) C'est toi qui ne pourrais pas en fait !
Sophia : avec un sourire carnassier Mais ça ressemble furieusement à un défi me semble-t-il...
Muriel : Pas du tout. Ça n'est qu'un fait.
Sophia : Eh bien tu n'as qu'à t'inscrire et venir demain au Théâtre Marigny........... Et tu seras fixée sur mes talents
Muriel : surprise et agacée Comment as-tu fais pour être au courant de ce
casting ? Pourtant ils m'ont juré qu'ils n'avaient rien laissé filtrer...
Sophia Satisfaite Oui, c'est ce que je leur ai dit de faire croire quand je les ai appelés hier...
Muriel : Tu les as appelés pour quoi faire ? Non… Tu n’as pas osé…
Sophia : ….
Muriel : Oh !! Tu as osé. Je te l’avais interdit.
Sophia : Ma pauvre… Tu n’as pas la prétention de me faire obéir aux ordres que tu me donnes…
Muriel : ça n’est pas très fair-play de la part d’une amie…
Sophia : Attends, si pour rester ton amie il faut que je reste au chômage, je crains fort d’être obligée de me passer rapidement de ton amitié…
Muriel : C’est là toute la valeur que tu accordes à notre amitié ?
Sophia : (scandalisée) Mais il faut bien que je gagne de quoi vivre ! (brusquement espiègle) Ou alors il faut que tu m’entretiennes !!
Muriel : Il ne saurait en être question. Même pour quelqu’un qui se prétend être mon amie. Et puis tu oublies que je ne suis plus très riche…
Sophia : Mais JE SUIS ton amie … à l’adresse du public Sinon t’aurais même pas pu te présenter !
Muriel : Pardon, tu me parles ou j’entends des voix qui médisent ?
Sophia : Je ne médis pas, j’énonce des vérités.
Muriel : Je sais moi, ce que disent ces voix.
Sophia : Et que disent ces voix ?
Muriel : Que ma voie est toute tracée... Comme par le passé, rien n’a changé.
Sophia : Et jalonnée de rendez-vous ratés !
Muriel : réalisant soudain, Tu n’es qu’une bourrique ! Je m’en vais te quitter sur le champ !
Sophia : Oh ne prend pas la mouche, va… On ira ensemble passer l’audition et puis voilà ! Ou est le problème ? Il y a bien plusieurs rôles à distribuer dans cette opérette, non ?
Muriel : Opéra s’il te plaît
Sophia : Opéra… Opérette … C’est à peu près pareil.
Muriel : Elle soupire mais elle jubile de lui pouvoir sortir son savoir : Eh bien tu ne brilles pas par ta culture. Une opérette est à la fois parlée et chantée et traite de sujets légers alors qu’un opéra ne sera que chanté et sera souvent dramatique de même que…
Sophia : Oui, on le sait que je suis une ignarde qui n’a pas fait l’école. N’empêche, on m’a priée de venir et je m’en vais te river ton clou dès demain !
Muriel lui tourne le dos pour bouder.
Sophia : (s’amusant à faire enrager Muriel) Tu boudes ma Muriel ?
Muriel : …………… Soupirs
Sophia : Tu boudes ou t’as peur de perdre le pari ?
Muriel (marmonnant entre ses dents) : ... Peuh…. Rien parié du tout ... Avec cette … bourrique là !
Sophia : Comment ? Mais tu articules mieux que ça d’habitude.
Muriel (très fort) : JE N‘AI RIEN PARIE.
Sophia : Mais pourquoi t’emporter ainsi ? C’est pas utile je trouve. On s’amuse, c’est tout. Ecoute, j’ai besoin de travailler et….
Muriel : Moi aussi figure-toi !
Sophia : Non, toi, tu éprouves le besoin d’être reconnue. C’est pas pareil.
Muriel : Oui, c’est vrai. J’éprouve le besoin d’être encore connue et reconnue. C’est légitime non ?
Sophia : Ah tu as déjà été connue quelque part ? Tu étais sûrement à l’heure aux auditions alors…
Muriel (elle perd ses mots tant elle enrage) :
Rrrooohhh !!! Toi… Je ne sais même pas pourquoi je t’écoute ! Tu n’es
qu’une…qu’une vipère ! Tu ne dis que….
Sophia : Je dis la vérité. Et y a que la vérité qui blesse. Si je mentais, tu t’en ficherais, voilà ce que je dis. Et tu me joues la colère pour pas que je voie ta peur, ta peur que je décroche un rôle, et pas toi.
Muriel (vraiment furieuse) : Non mais quel toupet !! C’est une audition pour les pro-fes-sion-nels. Ils n’embauchent pas les amateurs dans ton genre.
Sophia : Et tu ne trouves pas curieux qu’ils convoquent quelqu’un qu’ils n’ont pas l’intention d’engager ?
Muriel : Je connais le metteur en scène… Il suffit que tu lui ais dis que tu me connais. Oh et puis il ne sait pas dire non …
Sophia : Si ça t’arrange de croire ça !
Muriel : Mais tu es exécrable ce soir ! Tu ne peux pas t’empêcher de contrer tout ce que je dis.
Sophia : Tu n’as qu’à essayer de me dire quelque chose de gentil et d’arrêter de faire des sous entendus aussi gros que toi ! Et je cesserai comme par enchantement d’être ton exécrable amie.
Muriel : Dans ce cas, il suffit que nous cessions de parler de chant.
Sophia : Mais c’est toi qui en parle depuis tout à l’heure. Moi je ne parle pas de chant. Je chante.
A suivre...