LE CERCLE Forum littéraire |
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| Aujourd'hui... ou pas | |
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epiphyte Gardien de la foi
Nombre de messages : 200 Age : 48 Date d'inscription : 10/07/2007
| Sujet: Aujourd'hui... ou pas Sam 4 Avr - 1:00 | |
| Aujourd’hui j’ai quinze ans et je me masturbe devant des affiches de starlettes, mais des starlettes de rien du tout, des pas trop connues, juste pour les sentir un peu à moi, pas forcément à mes potes qui se branlent sur les leurs, pas forcément les mêmes que tout le monde, les miennes, quoi. J’observe les filles en silence, je les regarde draguer des types à la sortie du lycée, des types qui ont déjà le permis ouais quand même et du coup pas possible de rentrer ensemble ce soir parce qu’il a promis de me ramener dans sa voiture que c’est pas vraiment sa voiture mais c’est lui qui la conduit alors quand même alors quand mêêêême mais t’inquiète pas je te raconterai. Je rentre tout seul en silence bien camouflé sous ma capuche pour dissimuler mon acné aux starlettes du quotidien. J’écris dans mon journal intime. Je m’imagine dans cinq ans, au volant de ma voiture, une starlette à mon bras, lunettes de soleil et chaîne en or, la peau toute lisse et reluisante, je rentre en train de banlieue et je termine mes putains de devoirs avant de ranger ma putain de chambre, oui maman, mais putain merde je pique ma crise, pas envie de ranger ma chambre, pas envie de dîner en famille, pas envie de rentrer ce soir et pas envie de me branler tout seul. Putain. L’adolescence est davantage une histoire de patience qu’une histoire de crise, mais piquer sa crise ça rassure parfois.
Aujourd’hui j’ai vingt ans, je suis avec une fille superbe, tellement superbe que j’en suis fou amoureux. Fou amoureux, ça veut dire que je l’emmène au cinéma, nous dînons au restaurant, et parfois nous faisons l’amour, tous les deux c’est l’histoire de toute une vie, tous les deux on ne trouvera jamais de raison de se quitter, fou d’amour ça veut dire qu’on s’aime pour toujours, d’ailleurs ça rime vachement bien. Parfois je lui écris des poèmes. Je nous imagine dans cinq ans, peut-être avec un bébé si on a fini nos études et que j’arrive à nourrir trois bouches, une de plus, une de moins… elle m’a appelé tout à l’heure, finalement ça sera une de moins. La passion ça ne dure jamais toute une vie, à vingt ans je croyais aimer fort, j’étais seulement fou de croire aimer, elle m’a quitté pour quelqu’un qui pouvait remplacer son père trop absent trop souvent trop longtemps, trop con, non ? La sagesse est davantage une histoire de cœur qu’une histoire d’âge, mais l’âge ça rassure toujours.
Aujourd’hui j’ai vingt cinq ans, je suis avec une fille sympa, tellement sympa qu’on la prendrait presque pour ma sœur. On se dit tout, on rigole bien, souvent on passe nos soirées devant la télé à regarder dans la même direction un futur sous surveillance où on se cherche une place, on se fait livrer des pizzas, tu bois ton coca et je bois ma bière, mais la bière ça fait pisser, tu peux zapper s’il te plait, soeurette ? Parfois on fait l’amour, souvent on zappe dans une effervescence de pharmacien. Je n’écris plus. Je nous imagine dans cinq ans, à partager des régimes pour perdre nos kilos d’amour bâclé, on avait souffert tous les deux, fallait bien se remettre à vivre, et quoi de mieux qu’imiter son prochain pour se sentir heureux ? On s’est quittés sans trop s’en rendre compte, comme un frère perd un peu sa sœur quand les parents n’assument plus. La routine est davantage une histoire de choix que de fatalité, mais la fatalité ça rassure toujours.
Aujourd’hui j’ai trente ans, je suis avec une fille géniale. Pour la première fois je tombe amoureux. Après le coup de foudre d’une passion passagère et le coup de grisou d’une existence sans éclat, j’ai fini par rencontrer la femme idéale, je l’aime. Je l’aime, ça veut dire que je pense à elle tout le temps, qu’elle me manque sitôt l’avoir dit, que je veux l’entendre rire et partager ses pleurs. Nous vivons d’amour et d’eau fraîche comme si nous avions toujours vingt ans, nous remplaçons l’eau par le vin et l’amour par l’extase, nous vivons sur des toiles tissées loin des regards et nous ne faisons qu’un en toute circonstance. J’écris des lettres d’amour que je pose dans notre boite aux lettres, ton prénom sur l’enveloppe. Je nous imagine dans cinq ans, dans le décor de nos désirs, avec des vœux toujours plus beaux de lendemains qui rient d’émoi, mais tu me quittes pour un autre, plus beau plus riche plus intelligent, plus apte, quoi, pour toi qui veux tant un enfant. La femme de sa vie, on ne la rencontre qu’une seule fois. Ou bien on la croise sans cesse. Croiser la femme de sa vie est davantage une histoire de hasard que de coïncidences, croiser son existence ne rassure jamais.
Aujourd’hui j’ai trente cinq ans, pour oublier je me suis perdu, les jeunes filles m’ont retrouvé. Elles qui aiment tant l’homme d’expérience, je leur en donne pour leur désir, nous ne nous imaginons pas demain, nous ne nous prenons jamais la tête, je ne prends jamais que la vertu. Nous écumons les chambres d’hôtels où nous ne restons pas dîner, je distribue mon expérience en méprisant les boutonneux du volant de ma voiture. J’écris mon numéro sur des bouts de papier. Je n’imagine rien qu’une autre femme à mon lit, je n’imagine rien et la vie n’en a pas moins de saveur. Les tempes grises, davantage une histoire de miroir qu’une histoire de vieillesse. La nostalgie ça rassure toujours, pour ne plus me rassurer j’ai brisé tous les miroirs.
Aujourd’hui j’ai quarante ans et j’ai peur de vieillir encore avec ce bide qui plait tant aux femmes. Femmes de tous âges et de tous bords, celles qui veulent oublier leur manque d’expérience dans le lit d’un gentil, celles qui veulent oublier leur manque d’enfant dans les bras d’un aigri, celles qui veulent oublier leur grand âge aux théières d’un ami. Je mange les mots et je me fais des films, vidéo à la demande sur Internet, lieu d’échange, lieu de vie. Je m’imagine dans cinq ans, jouant le rôle du père à celles qui n’en ont plus. Confident rassurant. Assise sur mes genoux, elle m’annonce qu’elle en a marre des hommes, qu’elle est devenue lesbienne parce que c’est plus facile, que la bite ça va un temps et qu’elle veut de la tendresse, que moi c’est différent bien sûr, je serai toujours un autre je serai toujours celui qui je serai toujours la virgule absente de l’existence, je serai toujours, finalement. L’homosexualité tardive est davantage une histoire de frustrations qu’un choix du cœur, mais la frustration, si elle ne rassure jamais, permet de se sentir vivant.
Aujourd’hui je n’ai plus d’âge, et je revis mes frustrations aux nostalgies des nuits sans lune. Vous revivez les vôtres. Et nous en partageons les mots. Davantage que le rire, le mot est le propre de l’être humain. Etre humain, ça rassure. Ou pas. | |
| | | filo Admin
Nombre de messages : 2078 Age : 52 Signe particulier : grand guru Date d'inscription : 06/07/2007
| Sujet: Re: Aujourd'hui... ou pas Sam 4 Avr - 2:30 | |
| "L'âge ça rassure toujours" "La fatalité ça rassure toujours"
Ces deux phrases pourraient finalement résumer ton texte, plus qu'"être humain", qui ne rassure pas grand monde, entre nous.
Certains passages sont bien vus, et les petites phrases en semi-leit-motiv sont du plus bel effet, pour un texte qui retrouve tout de même un peu de tes désespérances pas si anciennes.
(j'ai enlevé les balises pour que le texte apparaisse normalement. Le blanc pétard me faisait mal aux yeux) | |
| | | LaBourrique Guide
Nombre de messages : 510 Age : 59 Date d'inscription : 12/12/2008
| Sujet: Re: Aujourd'hui... ou pas Sam 4 Avr - 11:46 | |
| Putain, la vie, ça va vite, quand on la dévale 5 à 5 ... | |
| | | constance Prophète
Nombre de messages : 4029 Date d'inscription : 07/07/2007
| Sujet: Re: Aujourd'hui... ou pas Dim 5 Avr - 14:23 | |
| Un texte précieux. Cette cavalcade des 5 ans, extrêmement lucide et bien observée, et cette écriture sobre qui nous fait exploser les mots à la figure... Tristesse et désespoir de l'homo erectus. Fatalisme, tout compte fait. Je crois qu'une femme dirait les choses autrement, parce qu'elle les ressentirait et le vivrait différemment, mais tu as bien résumé le parcours de notre alter ego, l'homme si vulnérable dans sa force orgueilleuse. Franchement, ça me parle méchamment. Sauf que je m'aperçois que j'ai tout fait à l'envers, ou dans le désordre... pfff. | |
| | | Lucaerne Maître
Nombre de messages : 1339 Age : 59 Date d'inscription : 11/12/2008
| Sujet: Re: Aujourd'hui... ou pas Dim 5 Avr - 14:56 | |
| - constance a écrit:
- Franchement, ça me parle méchamment. Sauf que je m'aperçois que j'ai tout fait à l'envers, ou dans le désordre... pfff.
Moi aussi ! Il faut croire que les femmes font tout dans le désordre. Ou ce sont les hommes... Ce texte est très touchant : le temps qui passe si vite, les erreurs qui font faire à nos certitudes d'incessants allers-retours. Et puis, quelque soit le sens dans lequel tout cela est vécu, quelle importance ? À la fin, on arrive tous au même point. Alors, autant prendre le chemin qui nous convient. Si on le trouve. Ce doit être plus facile pour les bons slalomeurs. | |
| | | Romane Guide
Nombre de messages : 586 Date d'inscription : 09/08/2007
| Sujet: Re: Aujourd'hui... ou pas Jeu 9 Avr - 1:30 | |
| Moi, c'est pas compliqué, j'ai fait une descente dans l'encrier, et ça ne voulait plus remonter, plus je descendais plus y'avait de fond et au fond, y'avait pas de fond, mais encore des mots qui n'en finissaient pas de se reproduire. Alors j'ai bu tout ça, tout d'un trait, tout comme ça, et j'ai la gueule de bois, mais je ne regrette pas.
Voilà. | |
| | | Lucaerne Maître
Nombre de messages : 1339 Age : 59 Date d'inscription : 11/12/2008
| Sujet: Re: Aujourd'hui... ou pas Jeu 9 Avr - 9:53 | |
| T'as la langue toute noire ! | |
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| Sujet: Re: Aujourd'hui... ou pas | |
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| | | | Aujourd'hui... ou pas | |
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