Merci!
Ah, bien contente que je suis, ma nouvelle a été appréciée par un éditeur, il m'a demandé de la retravailler et de la rallonger pour mettre plus de profondeur dans les personnages (le marionnettiste surtout) et coller avec la taille minimale demandée, 10k signes. Le reproche principal était que ce texte était trop factuel, les faits sont là, mais il faut insister sur le reste. Je pense avoir terminé, je poste le nouveau texte ici, que ceux qui auront la patience de tout lire veuillent bien critiquer en prenant compte de mes intentions, SVP!
Je les remercie chaleureusement d'avance.
Le
Pantin« Voyez-vous, la première fois qu’il apparut sur le
pas de ma porte, je fus bien embarrassé. Il gesticulait nerveusement, il suait,
pleurait...Un enfer. Moi qui ai horreur de l’agitation. C’est en partie pour
cela que je suis devenu marionnettiste, voyez-vous, c’est un métier calme.
Or donc, voilà
qu’il agrippa mon col et me raconta ses idioties : il m’expliqua dans la
plus grande confusion qu’on lui avait jeté un sort, qu’il se changeait peu à
peu en homme de bois, qu’il avait besoin de mon aide de toute urgence.
Là-dessus, il
releva sa manche pour me montrer son avant-bras. Celui-ci était bel et bien
changé en bois. Et quel bois ! J’ai le regard pour ces choses-là, vous
pensez bien, et je fus tout simplement électrisé par l’aspect de ce bras…Avec
sa permission, j’en caressai la surface, presque religieusement. Un beau bois
doré et lisse, avec certes quelques nœuds mais sans gravité… Je me dis alors,
quel dommage, quel gâchis…Il suffirait d’élaguer cette brindille, de rogner
par-ci, par-là…Puis je repris mon sérieux.
« Eh bien alors », lui dis-je avec énervement,
« que voulez-vous que j’y fasse ? »
C’est bien
normal, voyez-vous, à dix-neuf heures, ma boutique est fermée, j’ai
horreurque l’on me dérange... Comment ?... Oh, mais
vous, très cher, ce
n’est pas la même chose…
Hum…Oui, je
continue.
L’importun me supplia de mettre un peu de cire d’abeille sur
son bras. Mystérieusement, seule la cire d’abeille offrait, m’expliqua t-il, un
remède à son étrange état, et ma réputation m’ayant précédé, il avait eu l’idée
logique de demander mon aide. Charitable et curieux, je me rendis à la réserve
et en revins pour lui appliquer une généreuse couche de ma meilleure cire. Sous
mes yeux ébahis, la peau de son bras reprit aussitôt sa consistance de chair,
je vis la peau mollir, rosir, les veines se dessiner sous le cuir, les poils
pousser rapidement et reprendre le reflet blond de la chevelure… Ravi et
soulagé, avec effusions et un large sourire aux lèvres, mon homme me souhaita
la bonne soirée et s’en retourna d’où il était venu.
Je le revis le
lendemain à la même heure, plus éploré encore. Cette fois, ce n’est pas une
lichette, mais un
bain de cire qu’il quémanda. Un bain, oui
monsieur ! On n’a pas idée ! Ma meilleure cire, la plus onéreuse !
Agacé, je lui accordai néanmoins une bassine du précieux produit, ne fut-ce que
pour mettre un terme à son insupportable larmoiement.
Erreur ! Montrez-vous généreux envers les gens,
tiens ! Tous les soirs à dix-neuf heures -sa manie-, il vint désormais réclamer
son bain. Une fois, deux fois, trois fois… Mes nerfs se tendirent de plus en
plus. La quatrième fois, quand il eut terminé sa libation devenue malgré moi
coutumière, je lui posai enfin la question qui me brûlait les lèvres :
« Mais mon petit ! A quoi bon poursuivre ce rituel ? Je vous
vois chaque soir, et à chaque fois le bois a gagné un peu plus de terrain…
Pourquoi n’acceptez-vous pas enfin votre sort ? » Il ne répondit rien,
me jeta un long regard où je ne sus que lire : étonnement ?
Tristesse ? Puis il disparut. Je crus alors qu’il ne reviendrait jamais.
Une légère anxiété, dont j’ignorais tout à fait la cause,
s’empara de moi. N’avais-je pas eu ce que je voulais ? Le tourmenteur de
mes économies n’avait-il pas disparu, enfin ?
Pourtant, une sourde envie naquit au creux de mon ventre,
qui enfla pour devenir un franc désir ; désir de voir, de sentir, de
toucher, de caresser à nouveau ce bois somptueux, besoin brûlant de créer
quelque
chose de tout à fait nouveau à partir de cette chair magique.
Au cours des semaines qui suivirent, il me vint des
manies. Je me surpris plusieurs fois à agiter les mains dans le vide, comme si
mes doigts rognaient d’un invisible instrument un invisible morceau de bois…
Pendant des heures, je pouvais rester face à une bûche sans la toucher, à la
contempler, plongé dans les pensées les plus folles, dans des considérations de
plus en plus absconses sur l’essence et la destinée de l’immobilité végétale…
Ce jeune homme, convaincu de sa condamnation à mort, ce jeune sot ne
touchait-il pas au contraire, à bien y regarder, à ce que les Sages et les fous
avaient cherché pendant des milliers d’années, le secret de
l’immortalité ?
L’arbre, dans son apparente prison d’écorce, ne voyage t-il pas plus loin que
l’oiseau quand ses feuilles volent au vent ? Ne sonde t-il pas la terre plus profondément
que l’eau elle-même quand ses racines y creusent des chemins toujours plus
longs ? Et le Temps, mon cher,
le Temps ! L’arbre n’est-il pas
le seul être vivant que le Temps, ce démon, laisse en paix ? Ce jeune
imbécile était béni des dieux, je vous le dis, béni des dieux ! Aveuglé
par sa misérable petite conscience d’être humain, incapable de percevoir la
grandeur de son destin. Il avait l’opportunité de traverser les siècles, de
voir plus loin que quiconque, et il se plaignait ! Comme j’aurais aimé à
mon tour me changer en bois.
Et tandis que ces pensées valsaient dans ma pauvre tête,
les rêves les plus fous me visitèrent. Je voulus le
posséder, posséder
ce corps, sa beauté, cette puissance.
Il devint quelque chose comme une obsession, je dois le
reconnaître. Hanté par son souvenir, chaque soir à dix-neuf heures, quand la
pendule sonnait d’un timbre sourd devenu lointain et terrible à mon oreille, je
me postais fébrilement à la fenêtre, pour attendre. Attendre ce que j’avais
chassé dans un instant d’égarement… Mes journées devinrent mécaniques, moi qui
avais toujours eu la passion de mon art…Les exclamations des clients, leur
admiration, leurs compliments me parurent toujours plus insipides…Que
savaient-ils de la Beauté, ces ignorants ! Jusqu’à présent, je n’avais
fait qu’en effleurer la parure ! La Beauté s’était enfuie de mon atelier,
une nuit que je l’en avais chassée…
Et voilà qu’un
soir à dix-neuf heures -divine heure que cette heure-là !-, j’entendis enfin
sonner à la porte. Quand je l’ouvris, je découvris avec stupeur son grand corps
désarticulé étalé sur mon perron, entièrement changé en bois. Seuls ses yeux
bougeaient encore ; affolés, ils tournaient dans leurs orbites d’une
manière, je dois dire, assez répugnante, et me lançaient des regards
pathétiques.
Mais quel beau bois c’était. Comprenez-vous, c’est le
métier qui fait le regard, je suis marionnettiste jusqu’au bout des ongles, et
je songeai malgré moi que laisser ce beau morceau dans cet état serait un
redoutable gaspillage. Et qui mieux que moi, Gapatta le marionnettiste, pouvait
prétendre prendre possession de ce trésor ?
Je le soulevai
donc et le transportai chez moi pour l’embellir un brin avant d’en faire
quelque chose de plus attrayant pour la vue –une marionnette, bien sûr, ha ha ha !
mais une œuvre extraordinaire s’il en est. Je le lissai, le rognai, le cirai…
Erreur. Que voulez-vous…C’est le métier. Aussitôt que j’eus fini de le
recouvrir de cire, il reprit vie et s’enfuit dans la nuit avant que j’aie pu
faire un mouvement.
Horrifié,
désespéré, je crus qu’il ne reviendrait pas, et me rongeai les ongles jusqu’au
sang…Mais quelques jours plus tard, à dix-neuf heures sonnantes, il sonna à la
porte et me pria humblement de lui accorder son bain. Son corps craquait de
partout, et dans chacun de ses mots, on devinait un effort surhumain et comme
un lointain
grincement…Il était de toute évidence prêt à céder de
nouveau.
Cette fois-ci, pas question de le laisser
filer, me dis-je ; et, trop heureux de l’accueillir, je le fis asseoir
dans mon sofa. Je me rendis dans l’atelier, et là je remuai des
objets pour faire du bruit, et de fait le laisser supposer
que je lui préparais sa bassine coutumière…ce que bien entendu je ne fis pas.
Je savais qu’il était maintenant trop raide pour faire le moindre pas ; et
j’attendis impatiemment qu’il cesse de m’appeler de sa voix chuintante comme un
miaulement pour retourner auprès de lui. Comme prévu, je le retrouvai changé en
grand morceau de bois…et quel bois, quel bois ! Et pour moi, quelle joie,
quelle joie !
Comme la veille,
je le déshabillai, le lissai et le rognai ; mais cette fois, je pris soin
de mettre la cire de côté. Il eut comme un léger tressaillement lorsque je
perçai ses membres…pour mettre la ficelle, voyez-vous. Je le maniai avec une
extrême délicatesse, le flattant à voix basse, le caressant doucement... Enjoué
comme un enfant, je lui fis un beau costume de soie rouge et or…Après deux
jours de travail éreintant, sans boire, sans manger, absorbé que j’étais par ma
Mission, je contemplai le résultat, ma création absolue, le fruit de mes
entrailles : le pantin était magnifique… Mais ses yeux continuaient ce
mouvement d’horloge, très pénible, vraiment. « Pourquoi cette terreur dans
ton regard, mon joli ? Tu vas bientôt rejoindre la grande famille de
mes enfants de bois», chantonnais-je joyeusement chaque matin et chaque soir
pour l’apaiser…Mais le larmoiement ne cessait pas. Ses larmes poisseuses menacèrent
bientôt d’attaquer le contour des yeux. Alors je les lui remplaçai par de vrais
yeux de verre. Aujourd’hui, il sourit.
Quelle merveille.
Il est sublime. Je dois vous dire qu’il est ma joie et ma fierté. Mon
chef-d’œuvre, avec l’aide de Dieu en personne. Quel dommage, vraiment, que la
cire risque de gâcher tout ce travail…J’ai mis une triple couche de vernis,
mais l’entretien est assez délicat…Voulez-vous le voir ?
– Avec grand plaisir », répondit le client en
réajustant son monocle.
Le marionnettiste
conduisit son client dans l’arrière-boutique, une longue pièce aux murs
tapissés de magnifiques poupées drapées dans de somptueux tissus. Gapatta
méritait sa réputation. Au fond de la pièce trônait le clou de la collection,
et il était plus beau encore que son créateur l’avait affirmé.
Le client annonça
aussitôt un prix si faramineux que le marionnettiste en eut un vertige de
délice. Le marché fut conclu de suite, et le client au monocle partit avec le
grand pantin sous le bras.
Une fois arrivé chez lui, il plongea le
pantin dans une bassine de cire d’abeille d’excellente qualité. Avec peine, il
retira ses fils à l’homme réveillé ; et ce dernier resta aveugle.
Le lendemain, à dix-neuf heures précises, les deux
magiciens rendirent visite au marionnettiste.
Au matin, dans la boutique, le petit apprenti
de l’artisan trouva sur le pas de la porte un étrange pantin de bois desséché
avec deux trous noirs en guise d’yeux. Il appela son maître, qui ne vint pas.
Haussant les épaules, il jeta le pantin –d’exécution fort médiocre, ce qui
n’était vraiment pas l’habitude du maître- dans le caniveau et se mit au
travail.
FIN.Encore une fois, je suis désolée de cette mise en page catastrophique, je n'ai fait que copier/coller mon document à partir de word, voilà le résultat...
J'espère avoir bien insisté sur la folie naissante, voire la mégalomanie de l'artisan.