Les Symbioses

"Suite" des Nouvelles...

Symbiose I.




« - Tu dois partir plus nue que tes silences
Et plus sale que tes mots
Tu dois partir déshabillée de la mascarade que les mille voix te prêtent
Tu dois aller
-Non, « aller », c'est pour ceux qui savent où »-
Tu dois voir si la vie est devant.

Tu dois accoucher de toi même
Tu dois comprendre que c'est la fin de l'ère
De mes yeux-contreforts
De ma voix-phare
De mes mains-amnios
Tu dois comprendre que l'absurde ne se laisse pas saisir
Que les choses coulent entre les doigts
Et que tu ne sauras jamais
Pourquoi.

Tu dois partir et penser à prendre demain dans ton regard.

- Et si je ne veux pas
Et si je ne prends que le bord du chemin
Si je cueille les digitales et leur mort aux doigts roses
Puisqu'elle, elle, ne fuit pas comme l'eau
Si je ne veux que l'oubli
Que l'oubli
D'un monde où ton coeur ne donne plus sa mesure
Que dis-tu ?

- Que ta tête sur ma poitrine a su
La percussion de tout
Sans comprendre
Sans savoir,
Que tu t'es endormie sur moi et que je t'ai portée
Tu as su l'exact point
La portion de néant qui te tient aux choses
Et que c'est ce que tu as
Oublié.
Entre tous et toutes tu as su
Et tu as
Oublié.

- J'ignore même si c'est toi,
Là.
Que sais-tu de l'angoisse de ne pas savoir
Que sais-tu de l'air que les hommes soufflent et qui pèse si lourd
Sur les bras
Je suis mille et je ne suis pas.

- Et pourtant tu disais que
J'étais dans ton dos
Tu es car j'y suis
Tu es car tu y crois
Et pourtant rien ne démontre
Rien ne prouve qu'un homme mort habite dans le monde
A qui l'on tourne le dos.

- C'est ainsi, on se retourne
On ne voit que le vent
A l'infini tu es dans mon dos
Et personne ne sait retourner ses yeux dans ses orbites.

-C'est heureux, on ne regarde pas l'intérieur de son crâne.
Tu es car tu ne dors pas et que tu écris
Alors qu'il est près de trois heures du matin
Que tu poses des paroles dans ma bouche qui ne sont pas les miennes.

-Qui seraient les tiennes si tu pouvais me parler ?

-Je ne crois pas, je n'ai jamais parlé de cette manière.
Mais tu dois partir, je le sais
Je ne t'ai pas portée pour que tu ne saches pas ensuite
Te porter toi même.
On se croise en Ailleurs, comme tu appelles
Le pays où tu rêves
Je t'ai dit que tu devais partir
Oublier les breloques d'air vicié qui pendent à tes bras
Prendre un regard dans ta main
Dans tes yeux
Et vivre de la vie des vivants
N'ai je pas aimé nos voix
Notre musique
Tes mots
Nos sursauts
Nos symbioses
Ton esprit aussi lourd qu'aérien
Aussi orageux que vif
N'ai-je pas justifié ta vie
Alors que tu sais bien qu'aucune n'a besoin de justification ?

- Je l'ai dit et je le pense
Mais si je crois que c'est de la pitié
De la peur de me voir tomber ?

-Tu peux le croire mais c'est garder le doute même sur ce que je suis.

-Puisque ce ne sont pas tes paroles
Puisque c'est moi qui te prend pour une marionnette...
Mais je suis certaine que tu aurais dit :
"C'est le jeu ma pauvre Lucette"

- Alors c'est le jeu, ma pauvre Lucette.

-Tu vois ! Mon esprit te pantine,
Je n'en sortirai pas
Je n'en sortirai jamais
Tu n'es pas là, bon sang, pas là !
Tu ne me raccompagneras plus jusqu'au milieu du pont
Tu ne feras plus celui qui n'a pas remarqué que je suis pâle
Je ne sais que te perfuser de mes mots pour faire de toi un vivant
Et je hais ceux qui vivent
De leur vie de vivant.

- Alors sois comme eux
Rien ne t'empêche de ne pas perdre Ailleurs
De ne pas me perdre
Des yeux.

- Tu ne comprends pas comme c'est grave
Tu ne comprends pas comme je ne suis pas
Comme je traîne
Comme rien n'est, sans toi
Comme j'attends les digitales tout en me disant qu'on ne déserte pas
Que je n'ai pas le droit
Mais j'attends quand même, alors que je n'ai plus rien à faire
En Ici.

- Bien sûr que je ne comprends pas, tu ne veux pas que je comprenne
C'est toi qui me fais parler.

-Mais qu'aurais tu dit ?

-Les morts ne supportent pas le conditionnel
Je n'aurais rien dit
Puisque je suis mort.
Mais écoute-toi m'écrire, un peu, jamais je n'aurais cru que tu aurais osé
Me coller dans la bouche des phrases de la sorte
"Mes mains-amnios", franchement !
C'est toi la poète maudite, pas moi
C'est toi qui écris des textes pareils
Moi je raconte des histoires de prostituées
De gens pas gâtés par la vie
Et je joue du piano
Je te fais un album entier pour ton anniversaire
Et tu pleures presque à chaque fois que je commence la valse d'Amélie.

-C'est trop fort, tiens !
Ce n'est pas toi qui a dit "Tu as du spleen qui coule sur les joues"
Un jour que je pleurais, justement ?
Ce n'est pas de la pseudo-poésie de musicien maudit ?

-Non puisque tu ne le penses pas
Puisque tu as su retenir cette phrase ...

- Pour une fois que tu disais quelque chose de poétique qui tienne la route !

- J'admets. "A foison des malsaines" ne veut pas dire grand-chose
Mais je trouvais ça joli.
Et puis tiens je remarque que tu ne me fais plus dire d'élucubrations poético-philosophiques
C'est mieux.

- Tu sais quand même que c'est un dialogue très vrai et très sérieux
Que je cherche toujours à aller au plus juste ?

-Et à te retourner les yeux à l'intérieur du crâne
Et les tripes comme on retourne des gants pour les ôter, oui.
A quoi ça sert, sinon
A entretenir le tourment
A entretenir la non-vie ?

- A te trouver
A attendre
Te trouver
Te trouver
Te trouver
Te trouver, tu comprends ?
Je suis si violemment heureuse
Violemment désespérée
Quand il neige car la neige est toi
Quand un chat me regarde car il est toi
Quand le vent souffle car il est toi
Quand une colombe de ton père se pose sur le muret où nous avons fait des photos
Et qu'elle laisse mon objectif s'approcher
Parce qu'elle est toi.

-Tu as laissé ce fichu pigeon s'envoler alors qu'il était de l'élevage de mon père ?

-Que voulais tu que je fasse ?

- Rien. Je ne sais pas
Je ne sais même pas que cet oiseau s'est échappé
Ce sont les mots que tu me prêtes qui le disent ...

-Mais cesse, cesse !
Je deviendrai folle
Je sais que c'est moi qui t'écris et pourtant, pourtant...

- Je suis là ?

-Non.
Oui.
Je ne sais rien
Je deviendrai folle.

-Alors va te coucher, va dormir
Peut être qu'on se verra en Ailleurs
Que tu sauras.
Et après, tu partiras.

- Mais est ce moi qui y crois ?
Ou toi ?

- L'important est que cela soit toi.

- Mais qu'on ne me dise pas que tu es là, que tu es fier de moi de
là-haut ou une des ces idioties qui me donnent envie de commettre des
meurtres... qu'est qu'ils savent ? Qu'est ce qu'ils sentent ?

- Rien, tu es seule à savoir.

- Que moi.
Même si ces mots ne sont pas de toi ?

-Tu sais qui j'étais
Tu sais qui je suis.
Les mots ne comptent pas.

-Alors je vais me taire, je vais dormir
Serrer dans mon poing le pendentif que je t'ai volé la première fois qu'on s'est battu avec des oreillers
Et je te sentirai ici.
Je deviendrai peut-être folle
Je mourrai peut-être demain
Mais je t'aurai senti ici
Et si je n'y arrive pas
Je dormirai
Je te trouverai en Ailleurs
Et si je n'y arrive pas...
Et si je n'y arrive pas ?

- Tu verras ...
On verra bien. »

Symbiose II.


" - Dans quelques minutes, il fera nuit sur mon endroit de Terre
Sur l'eau
Sur la poussière
Et je ne saurai pas encore.
Je pourrai chanter, honorer le soleil de vocalises
Aussi aériennes que mes ancres de terrienne me le permettent
Tendre mes mains de terrienne qui ne craignent pas
De recueillir la nuit
Je pourrai regarder le Couchant en face
Tomber
Je pourrai être atteinte de l'écholalie des jours
Je pourrai chanter pour aider la Terre à bercer ses morts
Et les tiges en devenir
Je pourrai chanter
À voix nue
Mais je ne saurai pas encore.

Je pourrai lire tous les livres
Comprendre toute la science
Mais je ne saurai pas encore.


- Tu es bien mystique depuis que je suis mort.


- Je le suis parce que je n'avais pas besoin de chercher là où l'on ne voit rien
Quand tu étais vivant.
Tu sais, je crois que Dieu est l'enfant d'une femme
Mort trop tôt
L'amant d'une femme extirpé de sa vie
Soudain jeté au néant
Je crois que Dieu et tous les Autres
Sont les amours perdues de ceux qui avaient trouvé leur origine et leur fin
Ceux qui comprenaient qu'on ne sait pas
Et que c'est ainsi. "

Cela aurait très bien pu figurer à la suite des Nouvelles d'en Bas, dommage de l'avoir séparé.
Certes, la forme est légèrement différente : un dialogue. Je ne l'ai pas compris tout de suite, la différence marqué par l'italique, puis ça devient évident à mesure.
Toujours cette sensible perception d'une dimension que le lecteur, inconsciemment, sent au dessus... plus haut.
Toujours ce talent de l'exergue et du néologisme, qui marque ton regard mystérieusement double sur le monde d'ici, où tu sembles devenir plus témoin que participante, et pourtant.

La fin ci-dessus est puissante. Tu décrètes, oui, mais avec une telle assurance qu'on se laisse volontiers abandonner par le souffle de tes mots.

Merci pour ton commentaire Filo.

Je l'ai séparé parce que j'ai commencé l'écriture une fois la fin des Nouvelles décidée, et puis parce que je ne sais pas quand je cesserai de travailler sur cette série ... J'en suis à quatorze Symbioses, là !
Je pense que je posterai la suite ici mais quand j'ai posté les deux premiers textes, j'ai dû refaire la mise en page à cause de retours à la ligne aléatoires. Et comme j'ai un peu la flemme ... il faut d'abord que je trouve un moyen d'éviter ça.

Peut-être en convertissant le format Word en RTF.
En tant qu'utilisateur de Mac, j'ai l'habitude des multiples problèmes d'entraves microsoftiennes !
Si en revanche tu es aussi sur Mac, fais l'opération simplement dans Text Edit : conversion format texte puis en RTF, ou directement en RTF si c'est déjà en Text.

Mel, j'ai déjà commenté ailleurs ces deux premières symbioses. Enfin, je dis "commenté", mais bon... pfff... à part dire que c'est toujours toi, ton style tellement particulier, ces fonds si subtils, ta gravité et ton ironie... J'aime toujours autant quoi.

Mel....

Pour ma part, je ne te retrouve pas tellement dans ces "Symbioses" par rapport aux "Nouvelles d'en bas" et à tout ce que je connais de ton écriture. Comment t'expliquer ça...

Tu sembles être sortie de ton monde (d'un monde ?), la pensée me paraît plus ordonnée, moins violente, moins spontanée, comme s'il y avait un abandon de l'imaginaire au profit d'une réalité, encore trouble pourtant, quelque chose comme ça.

Mais c'est peut-être un cheminement normal...

balila a écrit:

la pensée me paraît plus ordonnée, moins violente

Marrant, parce que pour ma part, je les trouve moins désespérées, mais beaucoup plus "féroces".

C'est évident que c'est différent des Nouvelles, même si ça redevient un peu plus onirique dans la suite. Ça n'est pas que je suis sortie de mon monde, c'est que je m'aperçois que je peux très bien habiter dans deux mondes différents, et la mise en parallèle donne sûrement quelque chose de plus mesuré. J'ai changé donc ce que je raconte change aussi, forcément.

Après, je sais pas trop, j'ai encore très peu de retour dessus.

J'ai trouvé un moyen, j'espère que ça convient au forum : j'ai fait un pdf qui regroupe toutes les Symbioses. Il y en a 22 pour le moment... je sais, ça fait beaucoup à lire d'un seul coup.

Si ça ne convient pas et si Filo préfère que je poste la suite directement sur le forum j'essaierai le format RTF, pas de souci.

Voilà le lien : https://sd-1.archive-host.com/membres/up/32098078520913754/LessymbiosesIaXXII.pdf

Puisque tu demandes mon avis, je préfèrerais effectivement que le forum en profite, car c'est précieux. E
n postant 2 ou 3 textes par semaine, ça mettrait chacun en exergue et laisserait le temps et la motivation de le lire. Alors que s'ils sont tous "livrés" d'un coup, et en lien de surcroît, il y a peu de chances que beaucoup les lisent tous et tu auras moins d'avis.