Rassurez-vous !

Je vais mourir bientôt.
D’une manière ou d’une autre, cela semble inévitable, autant dans cette idée ancrée depuis toujours que dans sa longévité raccourcie sans arrêt.
On ne s’arrête jamais suffisamment.
On ne se pose pas les bonnes questions.
Quand on se les pose enfin, on élude.
Prélude.
A toute poésie se confond la torture.
Vous le savez comme moi.
Ou ne le savez pas.
Et ça dure.
Ou pas.
Peu importe.
Je vais mourir bientôt.
Est-ce rassurant de le savoir ?
Bien sûr que non.

Nous avons tant de certitudes que nous pourrions coucher avec sans bien nous en souvenir, soir après soir, l’humanité volage se noie aux espérances du quotidien péremptoire, et rien ne survit vraiment.
Le préservatif, peut-être.
Dont on use avec maladresse.
Aux recoins des croisements sans lendemain.
Puisque nous mourrons tous demain, surtout ceux qui n’en usent pas.
Il pourrait être rassurant de le savoir.
Bien sûr que non ?

Je vais mourir bientôt, je refuse que tu y contribues.
D’une manière ou d’une autre, sans le savoir vraiment.
Je sais que tu ris quand je t’enlace, je sais que tu fuies quand je t’embrasse, je sais que tu vis à la surface de mes envies les plus tenaces, je sais que tu cherches en vain des mots à aiguiser comme des couteaux pour me planter là comme un con…
En guise d’affection.
Je mets des mots dans chaque respiration, et je vis de ponctuation.
Mais l’écriture n’est qu’une trace, il me tarde d’en laisser tant, et je me perds, pourtant.
Je le sais, sans avoir besoin d’être rassuré.
Je vais mourir bientôt, et vous n’en saurez rien.
Rassurez-vous.

pffff
L'impression d'en être au stade du CE2, quand je lis ça. P'tain d'complexes !
Nan sans blague, Epi, t'es doué.

epiphyte a écrit:

Je vais mourir bientôt.
Est-ce rassurant de le savoir ?
Bien sûr que non.

Bien sûr que non ?
Lacan : "La mort… est du domaine de la foi. Vous avez bien raison de croire que vous allez mourir, bien sûr. Ca vous soutient ! Si vous n’y croyiez pas, est-ce que vous pourriez supporter la vie que vous avez ? Si on n’était pas solidement appuyé sur cette certitude que ça finira… est-ce que vous pourriez supporter cette histoire ? (...) Il y a une de mes patientes, il y a très longtemps, de sorte qu’on en entendra plus parler, sans ça, je ne raconterais pas son histoire. Elle a rêvé un jour, comme ça, que 'l’existence rejaillirait toujours d’elle-même' ! Le rêve pascalien d’une infinité de vie se succédant à elles-mêmes sans fin possible. Elle s’est réveillée presque folle !"

https://www.dailymotion.com/video/xrbps_louvain-3_creation

Je n'ai pas une folle passion pour Lacan, my Lulu. En fait, je ne peux pas le sacquer. Bref...
Je trouve qu'on prend le problème à l'envers, là. Ce n'est pas l'idée de la mort finale qui nous soutient et nous permet de supporter notre vie, quelle idée désespérante ! C'est l'idée de la mort inéluctable qui nous incite à vivre pleinement. Enfin, qui devrait nous pousser à cela.
Maintenant, le rêve de sa patiente, des millions de personnes y croient, et n'en deviennent pas folles pour autant. Mais je comprends qu'elles espèrent la délivrance du cycle des vies avec un certain soulagement.
J'ai vu cela à Bénarès : mourir dans cette ville permettrait d'accéder à cette délivrance. Les gens s'y rendent donc pour attendre la mort, mais rien de triste à cela, au contraire.
Leur compréhension de la mort me convient bien mieux que la nôtre. Chez nous, cela reste caché, sale, honteux, sordide, et terriblement triste... là bas, des couleurs, de la musique, un cortège bruyant et animé, on brûle et on jette dans le fleuve. Ca m'irait bien, en fait.

constance a écrit:

Je n'ai pas une folle passion pour Lacan, my Lulu. En fait, je ne peux pas le sacquer.

Quoi qu'il t'a fait ???

L'utilisation systématique d'un jargon obscur et pénible... on peut ne pas apprécier Freud, mais ce qu'il écrit est limpide.
Et puis c'était un autocrate, un tyran, un décréteur d'idées obligatoires, je déteste.

Sans vouloir envahir le fil d'Epiphyte, je crois que Lacan avait les défauts de ses qualités et qu'il a fait énormément évoluer les conceptions psychanalytiques, y compris la lecture de Freud. En effet, ce dernier s'exprimait de manière claire, mais de par ce fait même, susceptible d'ambiguïté. Or, si on considère la psychanalyse comme une science (humaine, donc forcément inexacte, mais science quand même), elle a besoin de thérociens particulièrement pointus, et donc difficilement compréhensibles. Aux "descendants" de faire l'exégèse de ces textes, comme lui-même l'a fait pour Freud de manière particulièrement exigeante.
Pour ma part, je n'ai pas envie de jeter le bébé avec l'eau du bain. Lacan n'était qu'un homme, et s'il est vrai qu'il a été très contesté, certaines de ces théories sont de vrais piliers pour la psychanalyse moderne.

Pardon mucho, c'est vrai qu'on dérive un peu, là, mais le sujet est intéressant.
Lacan effectivement a effectué des travaux extrêmement intéressants sur le langage, un sujet qui par ailleurs m'intéresse beaucoup. Il a également innové et produit des théories qui représentent une base pour beaucoup de travaux dans la psychanalyse moderne.
C'est juste que je déteste le jargon, je crois que la limpidité d'une démonstration est une courtoisie envers ceux à qui on l'adresse. Certains concepts sont très compliqués à appréhender, si on double la difficulté intellectuelle d'un charabia obscur, c'est tout simplement faire l'intéressant ou mépriser le plus grand nombre. J'ai formé suffisamment de jeunes pour te dire cela en connaissance de cause, et j'ai de même reçu assez d'enseignements pour apprécier les personnes claires. La clarté d'expression témoigne à mon sens de clarté dans sa tête.
Et puis je déteste le bonhomme. Tout simplement. Je suis extrêmiste dans mes amours comme dans mes haines. Je sais que ce n'est pas forcément une preuve d'intelligence d'être aussi butée, mais comme on dit : Dieu vomit les tièdes.