J'ai appris
J’ai appris des mots noirs qu’on ne dit qu’à soi-même
Dans la fausse clarté des nuits sans lendemain
Des gestes terrifiants scellés dans ma mémoire
Une chape de plomb a coulé par-dessus
J’ai appris à compter sur les doigts des fenêtres
Condamnées par mes mains à ne jamais s’ouvrir
Déchiffrer la souillure inscrite sur la vitre
Plutôt que regarder au-delà des reflets
J’ai appris à me taire à contenir les flots
Rire étouffer jouer, tout plutôt que hurler
Suer bouffer baiser, tout plutôt que pleurer
À la fin échouée, chaque fois échouée
J’ai appris à trembler sous mes paupières closes
Le soir au fond du lit, tapie dans les tissus
Puis oublier l’histoire aux premiers rais de l’aube
Assise sur le lit, sonnée et trébuchante
J’ai appris à rêver, j’ai dû l’apprendre aussi
Sans jamais l’intention d’y croire un tant soit peu
J’aurais voulu pourtant, oh oui j’aurais voulu
M’endormir en songeant à quelque nuit tranquille
J’ai appris à porter dans le creux de mes mains
Les dérisoires grains de nos liaisons friables
Et les voir s’écouler entre mes doigts tremblants
Et les voir s’entasser en petits tas branlants
J’ai appris à gommer les images coupantes
Essayant d’ignorer, obstinée mais en vain
L'empreinte pour toujours gravée sur le papier
Alors impatiemment je les ai retracées
J’ai appris à m’assoir, contempler l’horizon
Posé au bord du rien pour n’être pas atteint
Mais qui de lui ou nous est le plus malheureux ?
Peut-être lui, l’aimant qui a le mauvais pôle
J’ai appris, j’ai appris
Et je ne sais rien