TRAVERSEE

TRAVERSEE




Un soleil insolent au milieu d'eaux lascives,
et l'ennui.
L'ennui et la paresse, la paresse indolente,
un tour de pont, trois tours de jeu et glisse le géant blanc sans
douter de sa route.
Il rumine sa ventrée de véhicules engloutie goulûment
et leurs passagers avachis.
Autour tout est bleu, eau, ciel et îles, pastels mouvants et lourds
des vapeurs consenties au brûlot.
Les machines ronflent, les arbres vibrent,
le bateau est en transe sur basse continue.
Il ébranle sa carcasse métallique tout à tracer son sillon d'écume
au milieu de la mer indifférente à cette égratignure.
Des regards se cherchent, d'autres s'évitent ignorant l'invite
après la course au coin de pont où installer sa nuit.
Comme un hiatus irrite entre la conception des salons moquettés et vides
et le besoin massif d'allonger son attente de la destination dans le sommeil.
Comme un contre-sens s'installe entre les couloirs envahis de couchages
jusqu'à ne plus permettre de se croiser et les salles désertes aux serveurs désoeuvrés et aux fauteuils bras ouverts en vain.
Le passage est un non événement entre la longueur du départ et l'arrivée aux pieds de Venise couchée dans sa brume rose.
Incroyable et magnifique Venise, une phrase colorée aux pleins de palais et d'églises et aux déliés de places et de ponts.
Une phrase écrite entre ciel et eau et son aurore vide, seulement active à
préparer l'invasion quotidienne de milliers de piétons curieux.
Venise va sur l'eau. Il fut un temps de splendeur où elle allait à travers le monde. Le monde, maintenant, vient à elle comme on visite une agonisante, une Ophélia.
L'odeur la dit déjà morte.
La lagune un moment protectrice est désormais piège.
Il en serait ainsi de tous les systèmes vivants occupés seulement à se prolonger à l'identique: toujours ils meurent.
La traversée s'achève dans la soute surchauffée. Contact.

Tout ce que tu dis me parait très palpable, geho. Je vois très bien, par la magie de tes mots, ressurgir Venise, je sens à nouveau cette odeur très particulière... merci de ce bout de voyage.
Je crois que j'ai d'ailleurs un très court poème sur Venise, presque aussi vieux que mon premier ("la rêveuse") écrit à 15 ans. Il faudrait que je le retrouve et l'exhume pour vous, si ce genre de niaiserie d'ado vous intéresse, of course...

Approcher de Venise et la force des lieux vous saisit déjà non sans une certaine violence.
On dit que Venise est un miroir, que l'homme y traque sa propre image...
Contact...je scrute les mots à venir, ils sauront dire le poids de l'envoûtante cité, nous faire entendre ses chants et ses gémissements dans le clapotement de ses canaux.

Je veux bien lire Constance ton poème sur Venise...rien à proposer pour ma part, j'y suis allée à 22 ans mais je n'écrivais pas.

Heu, Garance, je l'ai retrouvé, mais ce n'est pas bon du tout. Enfin, je veux bien te le mettre, mais interdit de rigoler. J'étais ado quand je l'ai écrit, après tout, et je crois qu'à l'époque, bien que ça n'existait pas, on aurait pu me taxer de "gothique". Attention, pas le genre avec des gros godillots et des piercings partout, encore que je me sois habillée en noir exclusivement pendant de longues années. Plutôt le genre gothique baudelairienne ou edgarallanpoeienne
Bon, maintenant il parait que je m'habille comme une hippie. Fait rien, je serai la seule hippie qui sente le jasmin et la verveine, et qui n'aura jamais fumé de trucs illicites.
Et ça ne me gênerais pas de devenir une vieille dame à cheveux longs, très longs (et j'emm... les coiffeurs).
Hein, quoi, le poème ? Ben voui, une minute...


La ville damnée.

Venise, l'Engloutie, la Submergée
Venise, aux relents de mort et de femme qui jouit
Venise, aux mille feux de splendeur
Froid baiser d'une fantôme de brume
Sombre et douce comme l'agonie
Venise, ventre du monde
Prends soin des amours défuntes
Quand devant tes miroirs obscurcis
S'étreignent les amants condamnés.



Humm, pardon encore

Pardon Gého de discuter sur ton fil.

A 15 ans tout est si beau et si triste, tant d'attentes, tant de questions et on se sent si fragile même si on sait se montrer monstrueux.
C'est un âge formidable pour découvrir Venise, et je trouve que tu l'as bien saisie en quelques vers.
J'aime bien ce "Prends soin des amours défuntes"...tu imagines si tous ces amours pouvaiet en un expir nous dévoiler leurs secrets ; on serait littéralement soufflés !

Bon une critique ; ton poème est un peu court, j'aimerais en lire davantage (sur Venise) !

Gého à toi !

Bonne entrée geho, tu montres Venise sous un jour inhabituel.
"Tous les systèmes vivants occupés seulement à se prolonger..."

Et ça suscite des prolongements.
pas si mauvais ton poème, Constance.
Perso, je ne connais pas Venise, et ça ne m'attire pas, mais j'aime bien lire ce que vous qui connaissez en dites.

Marrants les commentaires... Ton texte, Geho, me parle plus du voyage que de Venise. Il pourrait bien se rendre n'importe où. Il m'a plongée dans des souvenirs de ferry, dans les images d'un film que j'avais vu (pas moyen de me souvenir du titre) qui se passe sur un ferry entre la France et l'Angleterre : quasi désert, de nuit, l'ennui, et une femme et un jeune homme qui se rencontre le temps du trajet. Une vraie belle rencontre. Fugace.
Je me souviens de cet ambiance et de cette odeur particulière. De ces êtres croisés sans un mot. Et la mer ténébreuse en dessous. Comme si le bateau devenait un vaisseau spatial en perdition entre deux galaxies.

"le bateau est en transe sur basse continue"
Ostinato...