Vivre tout d'un coup

Il aura fallu te revoir pour me rendre compte, ou pour oser peut-être…
Je sais qu’il ne faut rien dire, mais te revoir c’est comme vivre tout d’un coup, et puisqu’on ne vit qu’une fois…
Te revoir pour écrire enfin, après tant d’années d’errance.
Se mentir, et mentir aux autres, ceux qui me croient.
Te dire enfin la vérité, jusque t’effrayer bien sûr, toi qui ne crois plus rien.
Et recommencer sans cesse l’incipit défaillant, aux portes du désarroi vomissant, phagocytant le sens, les rimes ne riment à rien, je le sais bien, vous le savez bien, nous le savons bien, et je conjugue le temps aux limites du dérisoire.

Vous auriez fait mieux sans doute, naturellement, quand on n’y est pas tout est tellement plus simple.
Quand on n’y est pas.
Moi j’y étais, et toi avec.

Pourtant l’amertume s’est enlisée aux mots, et je vais pondre une merde poétique de plus, parce qu’écrire un chapitre cohérent à cette heure relèverait de la pure folie, tandis que la poésie, ce n’est jamais qu’une gerbe de plus aux monuments figés des cœurs désabusés.
Faites-moi rire, les poètes, avec vos rimes de dictionnaires et vos figures désuètes, vous n’existez pas alors faites-moi rire, au moins…
Et laissez-moi pleurer sur ma vie qui s’achève…
Enfin !

Foutaise et décadence ont eu raison de moi
A forcer l’insolence à nos ébats de soi
Nuancés de candeur et dépourvus d’audace
Noyant toute pudeur, au-delà de l’espace
Y’avait-il autre chose ?

Foutre et sueur à foison, chuchotements sans doute
Aux cris de déraison de nos corps en déroute
Noués d’intolérance au présent qui se meurt
Nu, et doué d’indolence à ces esprits moqueurs
Y voyant douce rose !

Mais prose ou poésie, tout n’est jamais que chiure soumise aux regards péremptoires des lecteurs affamés, à cette heure, à toute heure, rien vraiment n’a d’importance que brûler les souvenirs aux râles implorants des évadés qui gerbent, et faire des mots ne sert qu’à faire des phrases, et faire des phrases ne sert à rien, quand on s’évade du sens, du bon sens, du sens commun, quand on en perd la ponctuation, quand on se laisse aller, rien ne veut plus rien dire.
Te voir c’est comme vivre tout d’un coup.
On ne vit qu’une fois.
Et ça ne dure jamais longtemps.

C'est étrange, car en te lisant, je me remets dans une exacte situation, résumée par la première ligne, où j'ai ressenti tout cela entre autre.
J'en conclue que c'est ce qui t'est vraiment arrivé, sinon c'est que tu as une puissance énorme de projection à la fiction, en plus celle des sentiments.

Ici j'avoue que les mots crus m'ont gêné, car ils ne vont pas avec le reste. Ça ne fait pas un ensemble cohérent à mes oreilles.
Quant à l'auto-fustigation épiphytienne incontournable, du genre "je vais pondre une merde", ou "ma vie s'achève enfin", tu sais ce que j'en pense !
Tout le reste, j'y adhère, mon ami, tu ne réalises sans doute pas combien !

Tu ne seras pas le seul, Filo, à qui ce texte suggérera une situation vécue, et réveillera des certitudes qu'on croyait enterrées. Mettre au fond de sa poche, avec le mouchoir par dessus, n'allège en rien le poids de l'échec.
Je trouve qu'Epi a le chic d'appuyer où ça fait mal, bien souvent, mais comment lui en vouloir, puisqu'il ne raconte que sa vérité, qui hélas se trouve être la vérité d'autres que lui.
Je suis d'accord sur ton analyse : les mots crus ne me gênent pas, mais la propension à s'auto-dénigrer n'apporte pas grand-chose à mon sens.

Bon, on va dire que je suis laxiste, bon public, tout ce que vous voudrez. En tout cas moi ce n'est pas Epi que j'ai lu, mais le personnage qui parle sous sa plume, et ce personnage en déconfiture, grinçant et y allant de ses mots crus, il me plaît comme il est. Bien sûr que si je le rencontrais pour de vrai, je me dirais ; bon alors, il faudrait qu'il change son regard et qu'il y mette un peu de lumière. Mais dans la fiction, ça passe bien ce sombre. Dans le réel, y'en a trop comme lui, trop.