LE CERCLE Forum littéraire |
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| Du jour au lendemain | |
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epiphyte Gardien de la foi
Nombre de messages : 200 Age : 48 Date d'inscription : 10/07/2007
| Sujet: Du jour au lendemain Lun 21 Sep - 23:18 | |
| On peut mourir du jour au lendemain, c’est ça qu’elle a dit, Nicole, entre la fin de son rosé et le début de son café. Un verre de rosé pour tout le repas, c’est bien suffisant, déjà que son mari n’a pas arrêté de la taquiner auprès du serveur, on ne va pas prendre du rouge en plus, elle serait capable de le boire, c’est qu’elle doit boire en douce probablement, bien sûr qu’une demi-bouteille ça suffira bien, à trois, même sans conduire, ça noie le chagrin mais ça délie les langues… Quel con, ce Robert. En voilà un qui ferait mieux de mourir du jour au lendemain. Quarante degrés maximum pour la chemise jaune, c’est marqué sur l’étiquette juste à côté des pourcentages, polyester et coton, attention ! Jeanne n’aime pas les mauvaises pensées, se concentrer sur l’étiquette ça chasse un peu le vilain. Le quotidien est parfois tellement rassurant, avec ses étiquettes toutes faites, ses degrés maximums, et ses petites habitudes qui sentent bon la vie. N’empêche qu’il peut bien crever, le Robert, ça ne changera rien au monde en route. Nicole boira peut-être deux verres de rosé, à la rigueur… Et deux cafés pour faire passer. Elle parlera plus pareil, ça c’est sûr, mourir du jour au lendemain, quand on ne sait pas ce que c’est, ça reste des mots. Des mots de rien, d’ailleurs. Parce que finalement ça nous arrivera tous, un jour vivant, le lendemain six pieds sous terre.
Jeanne enfourne le linge dans la machine, quarante degrés maximums, les chemises de Raoul ça mérite un peu d’attention. Même si c’est pas bien grave, aller au bout de choses, ça lui rappelle le temps. Le bon temps. Celui d’hier. Et puis du jour au lendemain…
Elle jette un œil au buffet du couloir, sur la photo un grand sourire, les yeux crispés de trop de soleil, comment ça trop de soleil, y’en a jamais trop tu sais bien, au contraire, tout ça c’est du souvenir, attends je vais en prendre une autre, quand je vois comment tu es beau, dans ta chemise jaune, c’est comme le soleil, tiens, tu brilles sur la terrasse. Lui, bien sûr, il disait que ça ne servait à rien tout ça. Il le pensait aussi. Mais on n’achète pas un buffet du jour au lendemain, d’ailleurs c’est Lucien qui lui a laissé, le buffet, quand ce salaud est parti avec l’avenir, il lui a laissé les meubles, c’est déjà ça.
Quand Nicole boit son verre de rosé, elle n’arrête plus de jacter. Elle parle du voisin qui doit sûrement se frotter à l’alzheimer parce qu’il répète trois fois la même chose, et elle le répète trois fois en sirotant son nectar. Robert, ça le fait rire avec le serveur. Jeanne, ça la rend un peu triste. Comprendre trois fois de suite que ces deux là feraient mieux de se séparer, ça fait toujours plus mal quand on est seul. Le serveur prend une photo, pour immortaliser le repas, sur la terrasse fin septembre, si on avait pu prévoir ça, on se serait habillé moins chaudement, on aurait mis son sourire du dimanche, on serait venu avec plaisir… mais non, on ne peut jamais prévoir le temps, même la fille de la météo se trompe tout le temps alors mon vieux Dassin, ton été indien, tu peux dormir avec autant que tu veux. Lui, il n’aimait pas les photos, et ça lui aurait pas plu de finir sur le buffet du couloir. Il disait en rigolant qu’il fallait vivre et pas prendre le temps en photo, qu’une photo ça ne servait que pour quand on serait mort, ou vieux au mieux. Il croyait pas si bien dire. Du jour au lendemain. Un mari qui vous quitte en laissant traîner son buffet dans le couloir, on s’y fait très bien. Mais un fils qu’on perd, même une photo sur le buffet, ça ne le remplace jamais.
Jeanne va étendre la lessive, quand ça sera sec il faudra repasser tout ça, sans trop repasser par le buffet, juste un peu à la rigueur, juste comme ça, histoire de, juste un peu et sourire malgré tout, ou pas d’ailleurs, le sourire c’est bon pour la rue, pour les voisins, pour Nicole et Robert, ou pour Raoul, quand elle lui ramènera ses chemises propres et repassées, Raoul il est tellement gentil qu’elle lui doit bien ça, et puis ça occupe, sans repasser par le buffet, juste un peu à la rigueur, juste comme ça, histoire de, juste un peu et sourire malgré Nicole et Robert, malgré Lucien, malgré le buffet, malgré ce temps qui passe, du jour au lendemain. | |
| | | constance Prophète
Nombre de messages : 4029 Date d'inscription : 07/07/2007
| Sujet: Re: Du jour au lendemain Lun 21 Sep - 23:41 | |
| Hé bien, j'en reste coite, ce qui est un exploit en soi. Je sais que tu n'aimes pas trop, que tu préférerais que je décortique ton texte, que j'en pointe les faiblesses, mais là, je n'ai vraiment rien à redire, à ajouter, ou à retrancher. Sinon que le bouleversant peut être très ordinaire. Et vice-versa. Je suis particulièrement remuée par ce texte. Il me semble par ailleurs un peu différent dans le ton. Rien de vraiment cynique là dedans, juste de la douleur quotidienne, digérée. Tu mollis ? | |
| | | epiphyte Gardien de la foi
Nombre de messages : 200 Age : 48 Date d'inscription : 10/07/2007
| Sujet: Re: Du jour au lendemain Mar 22 Sep - 0:14 | |
| Mollir ? :-) Le cynisme du temps qui nous prend tout est parfois suffisant, n'est-ce pas ?!... Savoir mettre le mien de côté peut devenir une force, c'est ce que je voudrais en tout cas. C'était le chapitre 4, j'ai beaucoup de mal mais je m'efforce d'avancer ! Merci. | |
| | | Romane Guide
Nombre de messages : 586 Date d'inscription : 09/08/2007
| Sujet: Re: Du jour au lendemain Mar 22 Sep - 0:45 | |
| Je proteste ! Point besoin de coups de poings pour flanquer KO. Il suffit d'un petit caillou en travers du trottoir pour qu'on s'y casse la cheville, qu'on s'y casse la vie, et même si ça paraît stupide, c'est vachement plus subtil qu'un coup de poing dans les tripes, parce qu'on ne s'y attendait pas, enfin même si en commençant l'histoire on savait qu'elle ne serait pas drôle, elle est encore moins drôle que si Machin avait sorti son vingt deux long rifle pour la faucher d'une rafale, la Jeanne.
Voilà longtemps que je n'étais pas repassée sur tes textes, Epi, et je n'ai toujours pas mis à jour mon blog dans lequel je veux te consacrer une page, mais j'oublie pas, j'oublie pas, j'oublie pas.
Molli ? Ah non ! | |
| | | constance Prophète
Nombre de messages : 4029 Date d'inscription : 07/07/2007
| Sujet: Re: Du jour au lendemain Mar 22 Sep - 1:29 | |
| Mais heuuuu, je rigole, sinon je n'aurais pas mis le stupide petit bonhomme qui s'esclaffe à côté ! J'ajoute en plus que je suis bouleversée par ce texte, ce n'est pas pour rien. Je trouvais intéressant de souligner que ce texte est, pour une fois, dépourvu de cynisme. Non que je n'apprécie pas celui d'Epi, mais cela me touche d'autant plus dans ce registre simple ... | |
| | | Farouche Gardien de la foi
Nombre de messages : 452 Date d'inscription : 22/05/2008
| Sujet: Re: Du jour au lendemain Mer 23 Sep - 10:17 | |
| Une petite tranche de vie comme je les aime. Assassine sous des dehors anodins, avec des personnages bien campés comme un croquis réussi. Bravo ! | |
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| Sujet: Re: Du jour au lendemain | |
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| | | | Du jour au lendemain | |
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