Quatrième de couvertureUn livre qui fait plus confiance à la "pensée rêvante" qu'au discours maîtrisé. Il commence par un éloge des fenêtres ouvertes sur le lointain ou l'invisible et s'achève par celui de la clairière, cette ouverture fragile au creux de ce qui est longtemps resté opaque.
Des pensées, des moments, des rencontres sont évoqués sour la forme d'images venues du rêve, de mots venus du divan dont une phrase vous a saisi. De brèves histoires aussi qui sont autant de petits romans : une vieille dame qui a perdu la mémoire mais gardé ses yeux clairs, l'homme fâché avec ses organes, la dormeuse et l'insomniaque, des enfants joueurs et de vieux enfants tristes, une pauvre fleur qui s'appelait Narcisse, un grand inspiré qui s'appelait Freud.
Un lexique personnel des émotions, une invitation pour chaque lecteur à composer le sien.
J'ai adoré ce livre.
Hors du temps, hors du réel, hors de tout poncif.
Il m'a aidé. Beaucoup. Pas assez bien sûr, mais était-ce possible ?
Douleur au réveilIl me parle de ce qu’il appelle sa dépression "matutinale". "C’est un passage difficile, le passage d’un monde à l’autre, et ces deux mondes s’opposent, je ne suis pas encore sorti du premier et je suis contraint, oui, contraint, de trouver ma place dans le second. Alors, ça ne dure pas très longtemps, peut-être un quart d’heure pas plus, mais vous n’imaginez pas à quel point c’est pénible d’être comme ça entre deux mondes, ni dans l’un, ni dans l’autre."
J’imagine très bien car je séjourne aussi dans ce "no man’s land", je connais aussi cet état "limbique". J’envie (non je ne les envie pas vraiment) ceux qui, à peine sortis du lit, prennent pied fermement sur le sol comme si de rien n’était, comme si leurs rêves de la nuit ne laissaient pas la moindre trace en eux, n’avaent pas le moindre effet sur eux.
L’homme qui me parle, cet homme en qui je me reconnais, ne garde pas de souvenir de ses rêves. Pourtant, privés de leur contenu, ils demeurent en lui : "Je ne parviens pas à en émerger, j’ignore ce que j’ai rêvé ; peut-être, si je pouvais me saisir d’un épisode, ne fût-ce que de quelques images, peut-être alors le passage me serait-il facilité. Mais là, c’est un arrachement. Je dois me séparer brutalement du monde nocturne, de ce monde où j’ai senti, vécu plus d’événements que nulle part ailleurs, où j’ai été extraordinairement actif, où j’ai été plus éveillé qu’on ne l’est jamais dans ce qu’on nomme l’état de veille. Tout ce qui m’est extérieur, quand je suis coupé de ce monde-là, m’est hostile ou bien c’est moi qui prends en haine le dehors dans lequel, sans transition, je suis soudain projeté." Et il ajoute : "Ça doit être ça, naître : une expulsion."
Je me dis que cet homme qui, dans sa vie quotidienne, n’a rien d’un "rêveur" a la chance de séjourner, ne serait-ce que pour un court laps de temps, dans les limbes. Il me conforte dans l’idée que celui qui est de plain-pied dans le monde qu’il tient pour seul réel est un homme appauvri, à jamais séparé des sources de la vie.
Si je ne me lasse pas de la psychanalyse, c’est qu’elle est, à sa manière, un long séjour dans les limbes, dans ce royaume intermédiaire, un royaume sans roi.
Comment se fausser compagnieRetrouvé sur une feuille de papier ceci, prélevé dans quelque revue (pas noté la référence) : "Elle ne comprend pas que disparaître lui soit impossible. Elle comprend d’autant moins que tous les gens qu’elle connaît ont le pouvoir d’apparaître en s’approchant d’elle et de disparaître très facilement dès qu’ils sont absents. Elle seule n’arrive pas à disparaître. Où qu’elle soit, elle est toujours avec elle-même, ce qui la désespère et la décourage à un point que personne ne peut imaginer."
Lassitude de se retrouver chaque matin le même alors qu’au cours de notre traversée nocturne, nous avons revêtu mille formes, connu mille aventures, eu tous les âges, fait apparaître nos disparus et nos morts. Ce temps intermédiaire entre la lumière de la nuit et celle, si réduite, du jour, ce temps va s’effacer où je ne sais plus qui ne suis ; voici que face au miroir, alors que je m’étais perdu de vue, je suis brutalement ramené à moi-même : "C’est toi, mon bonhomme. C’était toi hier, ce sera toi demain." Qui dont a prétendu que le stade du miroir était jubilatoire ! Le miroir est ironique. Sans amour, sans pitié.
L’analyse, le rêve, l’écriture : moyen de se fausser compagnie. L’analyse, comment cela ? On n’y parle que de soi ! Erreur : le moi-je vole en éclat.
L’analyse, le rêve, l’écriture : trois mouvements actifs qui me déprennent du moi-même. Le moi s’y perd, le je s’y trouve (tant pis pour l’emphase de la formule !).