Résistance

Je n'aurai pas connu de guerre, ni respiré l'odeur de mort, fraternisé avec les rats au fond de trous boueux, transi. Ni les « au but jusqu'à la Lys »...obus jusqu'hallali...eau bue jusqu'à la lie...Echos sifflants infâmes et mortifères, enfer des champs défigurés, labourés de râles et couverts d'un lit de corps fauchés, de bleus pantins désarticulés. Je n'aurai pas perdu les miens par l'arbitraire du tyran...Paix aux âmes des sacrifiés, honte aux bourreaux aveugles.
Mais ne nous pressons pas aux satisfecit des commémorations.
Certes, avec le temps, les herbes folles pullulent aux joints de la mémoire lézardée. Nous crions: « bravo »! La nature reprend toujours possession des terres mêmes brûlées.
Ces herbes: nourritures ou venins?
La bête est encore là, je vois son ombre apocalyptique.
On nous la conte loin, au pays des mille et une nuits blanches attentées...
Elle frappe à la porte des villes, aux contours des racismes, dans le matelas de l'indifférence, elle s'installe sur les affiches géantes et dans l'indécence des discours contredits par les actes, dans le cynisme des profiteurs. Elle s'oublie dans un matin fleuri pour mieux se graver, sournoise indélébile, dans l'impasse d'un désespoir.
Je n'ai pas connu de guerre, de celles qui tuaient à balles les corps.
Celle-ci tuera les âmes, d'abord.
Résistance.

geho a écrit:

Certes, avec le temps, les herbes folles pullulent aux joints de la mémoire lézardée. Nous crions: « bravo »! La nature reprend toujours possession des terres mêmes brûlées.
Ces herbes: nourritures ou venins?
La bête est encore là, je vois son ombre apocalyptique.

Je n'ai pas connu de guerre, de celles qui tuaient à balles les corps.
Celle-ci tuera les âmes, d'abord.
Résistance.

Les herbes, je les ai vues en Loraine, autour des forts de Douaumont et Vaux, dont les villages ne sont plus que des noms, à jamais rayés de la carte. mais elles ne parviennent pas à étouffer les cris de ceux qui sont morts là, pour rien!
C'est une présence angoissante.
Encore plus angoissant, si Verdun est officiellement "capitale mondiale de la paix", la paix répond toujours absente.
Il y a toujours une guerre quelque part, et comme tu le soulignes si bien, la guerre ne se fait pas toujours avec des fusils.
Celle que nous vivons en ce moment, chez nous est bien plus sournoise, et pour ne pas perdre son âme, il faut Résister!

Cest un beau texte, et qui ouvre le champ à beaucoup de questionnements.
J'ai eu cette information, vraie ou fausse je ne sais, mais j'ai bien l'impression que vraie, hélas : une femme qui s'était fait les ongles en Afghanistan (une manucure, quoi) a eu la main coupée.
On nous empêchera de lire, et de penser.
Quelle que soit la tyrannie, évidente ou non, elle ne peut que soulever les âmes vers toutes les formes de résistance. On ne peut faire autrement. Sinon... ?

il y en a qui se noient dans le plaisir ou d'autres substances d'oubli: la vie et l'avenir des autres leur importe peu.
Et une fois le bulletin de vote déposé, faux alibi de semblant de démocratie(car pour moi, elle vit, comme l'amour par une veille quotidienne), ceux qui ne veulent pas être dérangés dans l'exercice d'un pouvoir qui ne supporte pas d'être discuté, s'empressent de flatter nos besoins et d'en satisfaire d'autres créés de toute pièce: gavés, de tout de riens et de trop qui bercent les envies et contiennent les peurs, les citoyens s'évanouissent derrière les veaux qu'ils deviennent.

Ils flattent des "besoins" qui n'en sont pas sans vouloir satisfaire les vrais, ils entretiennent la confusion courante entre envie et besoin.
je ne sais plus qui a dit que la liberté n'était jamais acquise et qu'il fallait toujours la défendre, mais ça rejoint ton propos auquel j'adhère bien sûr totalement.

Ton texte, comme ailleurs déjà, me laisse bouche bée.

Le dernier mot sonne juste après ce texte âpre et noir.
Debout, et sans concession pour ce qui nous bestialise au quotidien, insidieusement; ne pas résister c'est être complice...
Superbe texte; juste appel!

merci!
Mick