Comme des miettes, fragment 24, peindre

Fragment 24, peindre

L'expérience de peindre est-elle un long cheminement, croyez-vous?
Sans aucun doute.
Entre la première gouache célébrée par l'institutrice de maternelle, où brillaient les étoiles de la nuit sur la maison revêtue de blanc, éclairée de l'intérieur, et sur les sapins sombres autour, et la première aquarelle vendue, une marine, trente cinq années ont passé et quelques pointillés de travail assidu.
Le père ne dessinait pas mais il possédait plusieurs brochures traitant du dessin dont l'auteur m'échappe, mais pas leur protection de papier bleu nuit. Nature, anatomie humaine et animale, mais surtout perspective étaient ma lecture favorite et l'objet de nombreux exercices solitaires, presque clandestins: il me voulait musicien, mais le solfège ne voulait pas de moi.
L'intérêt premier pour la perspective, comme les prémices d'un besoin d'anticipation et de mise à distance, quitte à négliger l'ici et le maintenant.
Pendant les années d'internat, ces livres furent bradés à je ne sais qui dont le fils voulait dessiner. Une gifle par dessus le dépit et depuis, de vaines recherches chez les bouquinistes.
J'ai rêvé ne plus faire que peindre et y ai renoncé. Pas assez fou pour affamer la famille. Ai-je bien fait? Oui. Car je répugne à la commercialisation de l'art où toujours l'envie de vendre dépasse l'envie de chercher, de tenter, de cultiver la sensibilité et produit ce qu'attend le client. Est-ce cela, peindre: flatter l'oeil de l'acheteur attendu? Je n'ai pas franchi le pas de faire le trottoir pour survivre.
Seuls ont les moyens de vivre leur art sans concession ceux qui atteignent l'excellence. Pour les autres, contentons nous d'en faire un divertissement amateur. Ceci n'empêche rien des expériences de sublimation, mais laisse des blessures à la vanité. Par passages dépressifs, rares finalement et dérisoires.
Quand même, vivre cette fulgurance sensible, ce dixième de seconde suffisant à saisir et mémoriser un sujet puis à en donner une représentation matérielle hors sa présence. Au bout de la fatigue de l'appropriation d'un thème, vivre la libération de la main qui vole et oublier le temps, les agressions et les contingences. Avoir l'empathie assez forte pour prendre les choses par coeur plutôt que les apprendre. Quel plaisir et quel luxe. Comme une fleur qui ne cesserait de s'épanouir chaque matin et donnerait l'envie au jardinier de parfaire son métier avec passion, trouvant plaisir à l'effort et l'enthousiasme à transmettre. Comme un alambic et sa distillation dont s'extrait une liqueur au parfum et au goût incomparables. Cultiver l'arbre,ramasser et presser la pomme, suivre l'évolution du ferment, sous tirer ne sont plus corvées lorsqu'on sait le nectar à la fin du processus.
L'expérience de peindre est un long chemin, n'est-ce pas? Oui. Je ne vois pas la fin de ce chemin de lumière.

"Car je répugne à la commercialisation de l'art où toujours l'envie de vendre dépasse l'envie de chercher, de tenter, de cultiver la sensibilité et produit ce qu'attend le client. Est-ce cela, peindre: flatter l'oeil de l'acheteur attendu? Je n'ai pas franchi le pas de faire le trottoir pour survivre.
Seuls ont les moyens de vivre leur art sans concession ceux qui atteignent l'excellence. Pour les autres, contentons nous d'en faire un divertissement amateur. Ceci n'empêche rien des expériences de sublimation, mais laisse des blessures à la vanité. Par passages dépressifs, rares finalement et dérisoires."
Entièrement d'accord.

Toute expérience de création artistique est un long chemin, dont on ne voit jamais la fin. Et c'est ce qui fait que c'est création, jamais terminée, toujours en devenir!

Une thématique intéressante, et qui soulève des questions.
J'ai bien aimé cette évocation des cahiers de dessin, surtout ceux de perspective, cela me fascinait aussi. J'ai eu la chance, contrairement à toi, de récupérer quelques uns de ces cahiers d'apprentissage à l'ancienne.
Concernant le fait de ne pas faire de concession dans l'art, je suis bien d'accord, hélas, il ne suffit pas d'atteindre l'excellence pour être reconnu et gagner sa vie. Il y a tellement de peintres, et d'écrivains donc, sans compter tous les artistes, qui sont morts dans la misère alors qu'ils atteignaient le génie.
Dire que Mozart fut enterré dans une fosse commune, et que les marchands du temple font maintenant fortune avec la comédie musicale du même nom, une daube absolue...