1. Le parfum du jasmin
Le thé s'incantait dans la tasse au parfum du jasmin d'hiver. La femme, Looyse, elle aussi s'incantait, devant le miroir, face à son corps, persuadée de son âme évanescente et glorieuse. S'admirer la purifiait. Elle saignait d'être belle. Ses lèvres du doigt de l'ange, remuaient timidement, ou plutôt tremblaient, à la recherche des mots qui constituaient l'histoire. Le silence des fins de chapitre l'effrayait, autant que l'immensité, autant que cette plaine dont elle rêvait si souvent, où elle courait, seulement drapée d'une peau d'homme, ses pieds griffés, ses seins tendus vers le ciel, faisant jaillir quelque substance étrange, elle ressentait un désir impossible, de son sexe s'écoulait une quantité inconsolable de plaisir, elle courait comme on s'enfuit d'un rêve devenu trop douloureux, ou de sa vie, simplement de sa vie, elle courait émue par la fuite, emmurée de désirs, autant de savoir que d'ignorer, elle courait pour ne plus voir, elle courait pour les larmes que le fouet de l'air faisait naître dans les yeux, ses pieds lui faisaient mal, son souffle, coincé dans sa gorge, elle suffoquait et jouissait de la même façon, elle courait maintenant dans le vide, la plaine s'était effacée, une virginité hallucinée, testamentaire, brillait de l'éclat d'une mort logique, abrupte peut-être, elle courait, n'en finissait pas de courir, enfin, soudainement, tout disparaissait dans une conclusion noire et nécrosée, elle se réveillait, des larmes, de la sueur et du plaisir aux teintes de sa peau.
Il lui vint alors un mot, un seul, dur et légataire, un mot épopée qui se suffit de lui-même, qui n'en n'appelle pas d'autre. Un mot qu'elle ne savait prononcer, qu'elle ne savait que savoir d'une définition invisible. Ses yeux se révulsèrent, faisant croire à quelque possession, quelque diable sanglé autour de son cœur. Puis le calme, l'horizon et le givre bleu de l'hiver.
Elle était debout sur le balcon d'un chalet de montagne, sa peau nue s'imbibait des vapeurs glacées, du souffle léger du vent, dans la main elle tenait sa tasse de thé. Le jasmin courbait ses cils, ondoyait le long de la rambarde de bois, créant une nébuleuse féérique, quelque chose que l'on n'ose dissiper de peur de perdre ce qui reste d'enfant en nous, alors on rit. Elle fit glisser la tasse brûlante sur ses seins, ses mamelons durcirent à lui faire mal. Elle craignait davantage le plaisir que le froid. La descendit le long de son ventre, comme une barque chaude de corps exilés descendant le fleuve Amour, lentement. Elle l'arrima quelques instants au delta de son sexe, laissant s'y déverser quelques gouttes douceâtres, amères et fleur d'oranger. Elle remonta la tasse à ses lèvres et but une gorgée, profonde, la rive sensuelle du fleuve afflua dans son esprit, tandis qu'elle gémissait encore, elle fit redescendre la tasse le long de ses jambes. À la courbe inversée du genou, au galbe charnu du mollet, à la raideur, aux tendons tirés du pied. Puis tout cessa. Le jasmin, le froid, les frissons du corps, le sang. Toujours debout sur les planches du balcon, toujours nue, pourtant rien n'était semblable. Tout différenciait cet instant du précédent. Son cœur s'emballa dans les contrées avalancheuses de la peur. Puis reprit le cours normal du battement. Elle fit jouer sa main sur son corps, à la recherche du plaisir, mais n'y trouva rien qu'une enveloppe vide et insensible. Son sexe aussi sec qu'une brindille. Ses seins légers et libres. Une voix qui venait de l'intérieur du chalet l'appelait, cette voix était la sienne. À présent, elle l'insultait. De reine putain, de chienne saphique et d'ange noire sodomite.