Le coureur anonyme

Maître Nombre de messages : 1290 Date d'inscription : 11/07/2007

A quoi pense un coureur, marié à sa mécanique roulante, dans son habit moulant et multicolore ?

A quoi pense un coureur au milieu de deux cents concurrents acharnés venus lui contester la vedette, les primes et la reconnaissance du peuple badaud ?

A rien, il ne peut penser à rien au vu des miettes de temps que lui laisse son attention captive de mille détails fauteurs de chute, de relégation, de tâches d’équipier dont le respect lui évitera les foudres du directeur sportif, dans l’oreillette puis à l’hôtel.

Il est mouton le coureur, il est esclave. Contraint de montrer ces limites qui valorisent le leader parfois dopé. Faire-valoir des meilleurs, il a le rôle ingrat du perdant sans qui le gagnant ne serait rien.

Il est ce qu’est l’ombre à la lumière, la nuit à l’étoile.

Dépendant de sa mécanique, il est pris dans celle de la course. La mécanique du chronomètre et de la moyenne, du groupe calculateur contre l’échappé solitaire ou contre le groupuscule audacieux.

Une mécanique monotone et répétitive qui ne s’enraye qu’aux aléas rares du passage d’un train, d’une chute collective ou du vent tournant casaque.

Une mécanique soporifique que les animateurs bercent d’histoire locale, de savants raisonnements techniques, d’album photo de vacances ou d’humour de concierge.

Une mécanique qui s’efface enfin et en partie quand le dernier col juge de paix désigne la meilleure paire de jarrets du jour.

A quoi pense un coureur marri de sa plongée répétée au fond des classements, frappé d’humiliation et d’anonymat quotidiens ?

Il pourrait penser que les innombrables coups de pédale accumulés au long de ses vingt mille kilomètres annuels suffiraient à produire l’énergie nécessaire à l’éclairage de sa maison. Que ses maillots de marques complices de tricheries pourraient porter des encouragements à des valeurs qui se perdent, qu’il est complice d’une vaste opération de profit et de publicité qui abêtit les foules et qu’il pourrait gagner sa vie sans se perdre…

Finalement, il se dit : putain de métier et il s’alignera de nouveau au départ l’année prochaine.

Fidèle Nombre de messages : 110 Date d'inscription : 07/07/2007

J’ai aimé ce texte, qu’on peut aussi lire en allégorie.

Je suis particulièrement sensible au thème.
Je fais modestement mes 3000 bornes par an avec mon vtt et la course est un rêve de gamin.
Objectivement, qu’y a-t-il de plus beau comme œuvre totale qu’une bicyclette ?
Et, outre le phénomène « dopage », qu’y a-t-il de plus pathétique parfois, que ces pantins fluos agonisant en fin d’étape ?

J’ai aimé le traitement de la conscience du coureur. Je me suis souvent posé la même question et ton texte vient m’éclairer joliment.

C’est un bon plaidoyer lucide sur ce métier décrié et pourtant si romanesque.

Il y a bien sûr d’autres points de vue possibles. Par exemple, quand tu dis très justement « il est mouton le coureur, il est esclave « (de la course, des leaders, de l’équipe,…), on pourrait aussi parler de cet esclavage à lui même qu’il entretient avec sa machine, le plaisir sadique du coureur qui souffre, l’addiction aux kilomètres (et à ses endorphines, quand ce n’est qu’à ça !), la peur de ne pas savoir faire autre chose que du vélo,…

En ce qui concerne ta conclusion, ce n’est, par chance, pas le cas pour moi mais je crois que beaucoup de professions pourront, hélas, s’y reconnaître. Et iront travailler lundi !

T’as un bon coup de pédale dis-moi !

Au plaisir,

Sauge

Maître Nombre de messages : 1290 Date d'inscription : 11/07/2007

Merci de ton com, Sauge. Il fut un temps où je faisais beaucoup de vélo. Jamais en compet, je n'avais pas le physique, mais j'ai connu cette espèce d'addiction à la souffrance physique. Mais je reste admiratif aussi de l'objet vélo que je trouve magnifique et je n'ai jamais su me séparer des miens, il y en a trois à la maison. A plus.

Maître Nombre de messages : 1711 Age : 76 Date d'inscription : 09/07/2007

J'aime le vélo, mais sans compet, que je déteste, sans montée (en Bretagne difficile à éviter, lol), et sans douleur, juste pour le plaisir de la ballade, avec le cheval et la marche à pied, c'est le mieux pour découvrir!
Mais ton texte est trés vrai, les anonymes du guidon ne sont que des faire valoir aux "héros" surdopés, et ça plaît aux foules qui n'ont jamais pédalé!!
Détail technique: le noir sur fond gris sombre est dificile à lire!

Bien vu Geho, je rejoins Sauge pour à peu près tout.

Je ne l'aurais peut-être pas posté en poésie, mais je le laisse, car tu l'as tout de même joliment traité.