Je me suis levée, les cuisses en feu, les cuisses en sang. J’ai pris ma trousse à maquillage, dedans le fard à paupières, le rouge à lèvres, le mascara. Tout ce que je ne m’étais plus depuis quelques temps afin de paraître simple et naturelle. Mais je n’avais pas envie d’être belle cette fois-ci, ni de séduire les yeux de l’autre. Je voulais juste farder mes deux pupilles vertes pour qu’elles ne pleurent plus, mais aussi pour m’occuper l’esprit en regardant sans colère ce visage dans le miroir. Et peut-être également, cacher mes cernes, cacher mes nuits blanches, mes nuits au fond de mon pieu crasseux.
J’ai approché ma tête de la glace et j’ai regardé les larmes couler, appréciant finalement la peine reflétée. ça m’a prise à la gorge, et au ventre, et au poignet. Je me suis tout balancée à la figure : j’ai tracé des traits noirs sur mes cernes. Ainsi elles étaient bien distinguées. Un cercle bleu autour des lèvres, de l’orange sur mon nez, du noir sur mes paupières, du rouge sur ma bouche, sur ma joue. Et une voix dans le crâne, une voix qui me sortait de partout : “ Fallait pas, fallait pas. ” Le sang, le maquillage étalé sur mon faciès, la crasse , je les avais mérités, je les avais certainement voulus, au fond. On est tous responsable de son malheur, de sa tristesse. Il n’y a que nos os à battre. C'est sans doute un des dix commandements.
Le mal qu’on reçoit, on le prend les mains ouvertes, conscient.
J’ai regardé mon radio réveil, il indiquait minuit passé. Il était tard, il était tôt. Il était l’heure ingrate, celle où les téléphones ne sonnent plus, celle où les songes comptent plus que la réalité violente.
Je me suis glissée entre les draps, mes cuisses mouillées ont inondé l’embarcation de l’enfer. L’embarcation des heures solitaires à pleurer qu’on ne nous entendra pas.
Mon portrait était encore tout peigné, tout laid, tout sale et j’ai décidé que j’allais passer la nuit ainsi puisqu’il n’était pas question de revenir en arrière. Comme tout est fait, désiré, que ceux qu’on touche, aime, sachent : c’est le visage de la honte, de la crasse.
Tu erras dans les songes, la face marquée pour que tous voient qui tu es, qu’ils voient que tu écartes, écartes sans rougir, que tu t’ouvres, sans réfléchir, que tu te jettes pour le corps, pour le plaisir. Saleté des paumes ouvertes, des seins tendus, du sexe ouvert. C’est ton visage qu’on reconnaîtra et tu n’auras même plus tes mains pour te cacher : “Fallait pas, fallait pas.” Tu auras beau gerber ta haine, cracher sur le dos des autres les souffrances, rien ne changera.
J’ai replié la couverture au dessus de mon cou et j’ai fermé les yeux. Mes pensées s’égaraient et tentaient de s’arrimer vers des souvenirs tendres, des souvenirs qu’on ne regrette pas. Alors, je ne suis pas revenue sur cette soirée. Sur ce temps passé à respirer plus fort. De toute façon, j’ai tout niqué de ces instants. Tout parce qu’il n’y avait rien d’autre à détruire, qu’il n’y avait que ceux-là, eux seuls, et qu’il fallait bien pourrir quelque chose pour donner pleine mesure à la douleur. La laisser s’épanouir un bon coup pour ne plus jamais la ressentir, et si elle m‘avait détruite, j’aurais souri pour la beauté du geste. Ainsi, j’ai tout détruit, dans ma tête et dans mon corps, dans mon âme et dans ma chair.
Arrivée à ce stade, j’ai cru que j’allais pouvoir regarder plus bas sans avoir peur d’y tomber, j’ai cru que j’allais pouvoir dire : “j’ai tourné la page, chéri“.
Mais je l’ai mal tournée.
Cornés les souvenirs, c’est pour mieux les respirer.