L'arbre et la gouvernance
Comme si chaque être unique et intelligent ne devait se fier qu'à sa capacité d'autonomie et d'indépendance, l'anarchie répugne à la hiérarchie, à la règle, à la loi qui, chacun l'ironise, n'aurait d'intérêt que pour celui qui l'écrit et la vote. L'anarchie ne porte pas d'espoir, elle vit au ras du sol, comme un gazon facilement tondu gâche la terre nourricière. Elle nie l'organisation et se fait le terreau des totalitarismes au nom d'une fausse liberté.
Comme si chaque être n'employait intelligence et unicité qu'à nuire et à envier la place de l'autre et donc la sienne, la dictature répugne à la délégation, au partage, au contre-pouvoir et impose définitivement l'arbitraire et ses corollaires répressifs et brutaux, sinon mortifères, ombrés de lâchetés et de délations.
J'ai vu s'élever mon tilleul et je l'admire harmonieux : chaque feuille est à l'image de l'arbre et l'arbre construit comme une feuille, ses branches jouant aux nervures. Son premier bourgeon terminal a pris la place la plus élevée. Dominante mais tirant vers le ciel la sève nourrie des valeurs profondes. Puis il a permis la nourriture égale de chaque rameau secondaire devenu vite charpentière et branches, brindilles et feuilles, chacune soeur des autres, semblable et différente, solidaire avec son ensemble et liée au tronc commun. Chacune utile à la croissance de l'arbre entier. Chacune sa voix dans le concert du vent. Chacune à partager le soleil et la pluie et humus pour l'épanouissement des générations à venir. Fraternité, solidarité, abnégation, un rêve de bon citoyen.
Et toujours au faîte, ce bourgeon terminal et dominant tirant la plante vers le haut.
L'arbre étêté devient anarchique : j'ai regardé les trognes foisonner de rameaux au point qu'on n'en voit plus le tronc. Juste bonnes à peigner les vents et à retenir la puissance et la beauté propres à faire de l'arbre un bois d'oeuvre.
L'arbre formaté,-fort maté-, veille sur les noms des morts. A l'image des calvaires bretons, il offre ses pauvres moignons en cordons ordonnés et pitoyables. A la moindre faille de taille, gare à l'anarchie. Le totalitaire ne supporte pas l'écart.
Quand l'homme fait les arbres aux extrêmes de ses modes de gouvernance, il aligne grotesques et atrophies.
J'ai laissé libre mon tilleul et à l'horizon derrière son bouquet, je verrais bien monter la gouvernance du monde à son image. J'en serais confiant : il ne connaît pas la perversion.