A la demande générale, un truc un peu plus gai...
Ce matin en me réveillant le lit était froid. D'ailleurs il était vide, ma femme était partie. Je veux dire, pas seulement partie au travail ou un truc comme ça, non, ma femme ne travaille pas et en dix ans pas une fois elle ne s'est levée avant moi. Elle était partie, c'est tout. J'en ai déduis qu'elle m'avait quitté pour de bon.
Je me suis traîné jusqu'à l'armoire un peu perplexe, et naturellement y'avait un type dans l'armoire. Il est sorti en souriant, ça lui a donné un air un peu abruti, et puis il s'est présenté, sans doute le speech habituel.
- Salut, c'est Marcel Bougnaveau, c'est pour la "Caméra Sournoise". Eh! Oui, votre femme est partie. En fait c'était pas votre femme, avouez que sur ce coup-là on a fait fort, non?... Dix ans de préparations pour faire croire que votre femme était votre femme, et en fait vous êtes filmé... Les caméras sont là.
Il montrait un trou dans le mur que j'avais pas réparé depuis dix ans. Mais moi j'avais la tête dans le cul, alors peut-être qu'il pensait que j'allais lui sauter au cou, et c'est vrai quand même que vous êtes forts, chapeau! En passant un petit coucou à la tante Olga, mais non. Je lui ai seulement foutu mon poing sur la gueule. Il s'est écroulé sur la petite table, celle qui porte la chaîne hi-fi, et naturellement il a tout cassé. Ca, je sais pas si c'était prévu. Il pissait le sang, c'était pas beau à voir. Mais à la télévision ils aiment bien que ça saigne, faudra juste penser à changer de chaîne.
Je suis sorti comme tous les jours boire mon jus au café du coin, il tombait des cordes que j'aurai pu grimper au ciel. Un truc pas pire que d'habitude. Mais ce matin le serveur avait changé. Il lui a fallu dix minutes pour s'apercevoir que j'étais là, trempé à ma table, et encore dix bonnes minutes avant de se repointer tout penaud parce qu'il avait oublié de noter les commandes. Je me suis dit que ça devait encore être un coup des gars de la téloche, et ça n'a pas loupé. Un grand type un peu maigre a déboulé dans la salle, il portait une chemise à fleurs et il s'est dirigé droit sur moi.
- Vous avez oublié nos télécommandes? Heureusement, je suis là pour ça. Parlez dans le micro, nenbourg, c'est moi le roi du calembours.
Sans doute qu'il se croyait drôle parce que lui aussi se décrochait pas de son sourire de niais. On aurait presque dit une pub pour du dentifrice. Je lui ai refait la mâchoire en deux temps trois mouvements et je suis sorti du café sans prendre le temps de boire mon jus. De toute façon j'étais déjà à la bourre pour le boulot. Dans le café le serveur a gueulé quelque chose mais je ne sais pas bien quoi.
- Hep! Vous avez oublié de...
Ce matin le patron m'attendait dans mon bureau. Il n'avait pas la tête des bons jours. J'ai d'abord pensé qu'on lui avait peut-être fait le coup de la "Caméra Sournoise", mais finalement en réfléchissant c'était pas vraiment normal que le patron soit de si bonne heure dans mon bureau. A mieux y réfléchir, même, il n'y avait jamais mis les pieds et j'avais jamais vu sa tronche, à ce mec-là. Mais pas vraiment la peine d'avoir lu le scénario. On devinait tout de suite pourquoi il était là.
- Monsieur Durand, jusqu'ici vous avez toujours été un employé modèle pour notre entreprise. Pas de faux pas, jamais rien à redire, une carrière plutôt brillante, même, à bien y regarder. Mais le retard d'aujourd'hui est impardonnable. Vous savez qu'il y en a des dizaines qui, chaque jour, rêveraient d'être à votre place. Je n'ai pas besoin d'explication, vous savez très bien où je veux en venir...
Il allait me l'expliquer quand même mais je lui ai pas laissé le temps de le faire. C'est qu'on prend l'habitude de se faire respecter, une fois qu'on y a goûté c'est pas facile de décrocher. J'ai serré le poing comme il fallait et puis je lui ai...
C'est vrai que j'avais mal garé la voiture. Mais c'était peut-être pas une raison pour me coller une prune si vite. J'ai dû rester là dix minutes à tout casser, c'était un peu le cas de le dire, faut croire que le flic devait être planqué, comme l'autre con de Bougnaveau. D'ailleurs il a surgi de derrière un parcmètre au moment où je déchirais la contredanse.
- Je vous y prends mon gaillard...
Il pleuvait toujours à flots. Le type avait un uniforme trop serré et une petite moustache de nazi. Une vraie caricature. On se serait cru dans "Le flic pas sympa", le feuilleton le plus con du P.A.F. D'ailleurs le flic était comme le feuilleton, une vraie tête de con. Il n'a rien voulu entendre, il était même prêt à inspecter le véhicule parce qu'il avait tout son temps. Il parlait avec un accent gras, je ne sais pas trop bien d'où.
- Alors nous disons pour commencer...
Ca me gonflait, j'ai coupé le son. Faut pas négliger ce détail là, c'est vrai que c'est assez avantageux. Si le son est trop envahissant suffit de le couper. Au départ c'est prévu pour le téléphone, mais pour les cons ça marche pareil. J'ai fait semblant de rien, et pendant ce temps là l'autre a continué son manège, une prune par ci, une prune par là... Tout un programme.
Après je suis allé faire quelques courses.
La bousculade des marques, le conflit des prix. A chaque détour de rayon on trouvait un vendeur pour faire chier, et goûtez-moi cette tartine, est-ce que vous devinez ce que c'est? Et essayez un peu de me dire lequel de ces barils de merde coûte le plus cher? Comment ça vous n'avez pas d'amis, mais pourtant ces friandises sont le succès garanti d'une soirée...
J'ai pris que du sans marque, tous les trucs marqués d'un X. Non seulement c'était moins cher mais en plus il fallait mieux prévoir, maintenant que ma femme était partie, j'allais peut-être devoir en venir aux plaisirs solitaires.
J'avoue que ça m'a pas pris tellement longtemps, mais la queue à la caisse était monstrueuse et j'ai même pas eu de ticket avec la caissière. Je suis rentré chez moi un peu blasé, ça n'arrive qu'aux autres.
A la maison il y avait une équipe de journalistes qui m'attendait. Soi-disant que j'avais été sélectionné pour passer au journal de vingt heures, une chance inouïe compte tenu que j'avais certainement pas grand-chose d'intéressant à raconter et que ce genre de trucs n'arrive qu'une fois sur soixante millions.
Je leur ai quand même débité les conneries de la journée et ça avait l'air de les intéresser vachement. Faut dire que le peuple aime ça, y'a toujours besoin de se dire que le malheur n'arrive pas qu'à soi. Alors le chauve m'a proposé de me présenter à "Questions pour un chômeur" et c'était une idée pas plus conne qu'une autre. J'ai joué un peu le jeu, histoire de me détendre et pour essayer d'attendrir la blondinette qui notait tout sur son calepin.
- Arrêtez de vous plaindre deux minutes, elle a dit. Moi je vis avec un nain hermaphrodite zoophile et j'en fais pas toute une histoire.
Elle n'avait pas complètement tort, et d'ailleurs ça m'a donné l'idée de les foutre dehors. Ils trouveraient bien quelqu'un d'autre à faire passer au journal. Ils ont quand même fait la gueule, je crois que le chauve en voulait à la blonde, mais c'était pas mon problème. Pour une fois que les choses se réglaient sans violence je pouvais être content de moi.
J'ai passé la soirée à bouquiner, vu que j'avais plus de quoi écouter de la musique et que je ne regarde jamais la télé. Dans le poste c'est que de la connerie, ça n'a rien à voir avec la réalité, très peu pour moi.
Et ma plus grande surprise, c'est quand j'ai retrouvé ma femme dans le lit. Faut croire qu'elle n'avait pas aimé non plus la plaisanterie. Faut dire qu'après dix ans de vie commune, y'a des liens véritables qui doivent se créer. En tout cas elle était là et comme elle dormait je n'ai pas voulu la déranger avec tout ça. On aurait bien le temps d'en parler demain matin.
Je me suis déshabillé, je me suis couché à côté d'elle, et je n'ai pas tardé à sombrer. Avec les journées que je passe, y'a de quoi se sentir éreinté en rentrant le soir. En plus il faisait bon dans la chambre, elle avait dû pousser le chauffage.
Et puis naturellement le réveil a sonné plus tôt que d'habitude.
- Chérie?
Tiens, c'est bizarre.
Ce matin en me réveillant le lit était froid. D'ailleurs il était vide, ma femme était partie...
Mer 12 Sep - 22:31
