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 Sous le soleil des pagodes - I -

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MessageSujet: Sous le soleil des pagodes - I -   Sous le soleil des pagodes - I - Icon_minitimeJeu 20 Sep - 19:58

I



Dorje, assis en tailleur, ne bougeait pas. Il ne disait rien. Il
fixait simplement le sol. Sa tête, rasée, ballottait tout doucement de
droite à gauche. Ça faisait deux jours qu'il était là. Dans le noir,
seul. Autour de lui n'était que silence, un silence répercuté dans un
écho infini par les murs de sa cellule. Deux jours qu'il n'avait pas
mangé; en fait trois, puisque quand les soldats étaient arrivés, il
n'avait déjà pas mangé grand-chose depuis la veille. Il avait espéré
qu'ils lui apporteraient quelque chose, mais depuis qu'il avait
atterrit douloureusement dans le fond de la cellule, il n'avait pas
entendu un son. Il lui semblait baigner dans de la ouate. Il avait
sondé la pièce minuscule, rampant dans le noir en suivant les murs.
L'espace n'était pas grand. Environ une fois et demi sa longueur, et
environ la même chose en largeur. Quand à la hauteur, il n'avait pas
réussi à toucher le plafond. Il avait bien pensé à appeler, au début,
il avait même sentit un brin de panique venir lui chatouiller
l'estomac. Mais il savait que ça ne servirait à rien. Les rumeurs qui
couraient dans le village lui avaient appris beaucoup de choses sur les
pratiques de l'armée. Il ne devait pas réveiller le dragon. Il attendit
donc patiemment, assis au centre de la pièce, en méditation. C'était la
seule issue, la seule évasion qu'il pouvait espérer. Il n'avait pas
bougé depuis deux jours, taraudé par la faim, sentant les parois de son
intestin se toucher.



Dorje! Non!



Le cri de Tenzin résonnait dans sa tête. Il se souvenait de tout. Le
sourire de son maître, une seconde avant que la porte ne soit défoncée;
alors qu'il venait de lui apprendre sa nomination à l'université de
Katmandu. Un sourire plein de fierté pour son élève, un sourire de
bonheur. Et puis une seconde plus tard, le fracas. La porte de la
chambre qui volait en éclats, les soldats avec leurs fusils; casqués,
bottés, la face fermée et agressive; qui entraient en courant dans la
pièce. Le cri de Tenzin, ses yeux horrifié devant la violence. Après ce
furent les coups. La botte du soldat dans sa mâchoire, l'explosion de
douleur dans sa tête. Dans son bras aussi, quand le soldat lui tordit
le bras et que l'articulation se déboîta. Tenzin s'était levé, il s'en
souvient, mais un autre soldat l'avait retenu.

- Que voulez-vous? Leur avait-il demandé, en tendant la main vers celui
qui semblait être le chef, celui qui tenait Dorje. Il ne répondit pas,
se contentant de faire signe à ses hommes, et ils sortirent en
l'emmenant.

– Non, Dorje! Avait crié Tenzin en les suivant, mais un soldat l'avait
faire taire, d'un violent coup de crosse au menton. Tenzin s'était
effondré, et alors qu'il était déjà à terre, le soldats lui décocha un
coup de pied au ventre, envoyant le pauvre corps décharné de son maître
rouler au sol. La dernière chose qu'il vit de lui fut les spasmes qui
l'agitaient alors qu'il tentait de se redresser. Il l'avaient emmené à
la caserne dans une Jeep qui crachait une fumée acre et épaisse. Puis
ils l'avaient jeté dans ce trou où ils semblaient l'avoir oublié. Son
épaule le faisait moins souffrir depuis qu'il l'avait remise en place,
mais une lourdeur lancinante lui traversait tout de même l'épaule,
râpant ses cartilages par vagues régulières. Il se concentrait au-delà
de son corps, pour ne plus sentir la faim, ni la douleur, ni
l'épuisement. Il se sentait si faible, il aurait pu rester assis ainsi
des semaines de plus s'en même s'en rendre compte.



Trois coups résonnèrent soudain sur la porte. Il entendait au dehors le
bruit des clés sur le trousseau, qui s'entrechoquaient pendant qu'on le
tournait dans la serrure. La porte s'ouvrit, laissant entrer par flots
une lumière aveuglante. Dorje ferma les yeux, gardant sur ses rétines
la forme des trois ombres se découpant dans la clarté aveuglante. Il
entendit les bottes des soldats claquer, et deux mains le prirent sous
les épaules, le redressant brutalement. Mais ses jambes, pliées depuis
deux jours, ne purent le porter. Il retomba sur ses genoux, telle une
poupée de chiffon. Il le relevèrent, et le traînèrent dehors, le long
du couloir humide du sous sol, où se trouvait les geôles de la caserne.
L'odeur y était âcre, à cause des excréments des prisonniers, qu'ils
faisaient dans un coin de leur cellule. Dorje avait d'ailleurs trouvé
le coin de sa cellule communément utilisé à cet usage par ses
prédécesseurs, quand il avait fait le tour du propriétaire le premier
jour.



Je n'appartiens pas à ce monde. Je n'appartiens pas à ce monde.



Ils le tirèrent ainsi dans les escaliers, le firent traverser la
cour où les autres prisonniers profitaient des leur quelques heures de
liberté, et pénétrèrent dans une cabane, au bout de la cour. La pièce,
aux fenêtres voilées par des rideaux de bambou tachés de sang, n'était
meublée que d'une chaise, robuste, et d'une table. Dans un coin, un
énorme projecteur conique attendait, sur un chariot à roulette. Ils
l'attachèrent sur la chaise, et braquèrent vers lui le projecteur
puissant, qui l'aveugla de ses rayons brûlants. Il attendit, ainsi, la
tête ballante, qu'ils commencent. Il savait ce qui l'attendait. Il
savait ce qu'ils voulaient. Et surtout comment ils allaient l'obtenir.
Il ne devait pas flancher. Il devait juste attendre, que ça finisse,
que ça s'arrête. Qu'ils finissent par se lasser. Mais ils ne disait
rien, ils ne faisaient rien. Ils les voyaient passer, pâles silhouettes
derrière leur bouclier lumineux. La chaleur du projecteur le brûlait,
il sentait ses rayons sur ses bras nus, sur ses jambes. Soudain, comme
sortie de nulle part, une ombre vint se placer entre la lumière et lui.
Il ouvrit les yeux. Le chef de la troupe qui l'avait arrêté, le visage
collé contre sa face, le regardait d'un œil haineux. Il se mit a crier,
en chinois, couvrant sa peau de postillons empestant le tabac et
l'alcool.

- Tu en un révolutionnaire, un terroriste! Nous le savons! Nous
connaissons toutes tes activités, au sein du groupe Tsen-Tsheri*. Tu
n'es qu'un chien, qui mérite la mort. Dis nous qui sont tes chefs,
sinon nous t'abattons sur le champ!

Dorje subit la pluie de salive qui s'abattait sur lui, sans broncher. Il ne répondit pas.



Je n'appartiens pas à ce monde.



Devant son silence, le soldat, enragé, le frappa au visage de son poing fermé.

- Tu vas parler! Dis-nous qui sont tes amis! Nous t'avons vu avec une femme, qui est-elle?

Surtout, ne rien dire. Se taire, par-dessus la douleur, par delà la
souffrance. La protéger, elle. Et tous les autres à travers elle.
Protéger leur cause, leur combat. Par la résignation, par le silence.
Subir pour mieux résister. Il s'en alla, pour mieux oublier cette pièce
morte, pendant que l'autre frappait, sa tête qui ballottait à chaque
coup sans qu'il la retienne. Il abandonna son corps, laissant son âme
flotter au gré de ses souvenirs. Comme cet après-midi, bien avant
l'invasion. Ces quelques heures qu'ils avaient passées ensembles, dans
un pays encore libre, encore en harmonie avec sa culture, avec son
passé aussi. Ils avaient parlé des menaces faites par l'ennemi, des
troupes qui se massaient à la frontière. Déjà, ils s'étaient jurés de
ne jamais flancher, de ne jamais céder, ni à la torture, ni aux
menaces. Ils s'étaient promis de se battre, sans violence, de toujours
continuer à transmettre le message. Un message de paix, un message
universel. Ils avaient fini l'après-midi dans la pommeraie du
monastère, marchant silencieusement sous une pluie de pétales blancs
qui virevoltaient gracieusement autour d'eux. En le quittant, Pasang
lui avait laissé en cadeau son sourire, se sourire qu'elle lui laissait
quand ils étaient enfants et qu'ils se séparaient pour longtemps.

Ce sourire le fit voyager jusqu'à son enfance, au bord du Norbu Linga,
le parc sacré de Lhassa, où ils avaient accompagnés leurs parents,
Pasang et lui, alors qu'ils n'avaient que dix ans. C'était à l'occasion
du pèlerinage annuel, le premier pour eux. Leurs parents partaient
chaque année, sept jours durant, rendre hommage au Dalai-Lama, et
participer aux grandes fêtes religieuses. Cette année là, Dorje avait
su tout de suite que son avenir se trouvait entre les murs de ces
monastères. Leurs pierres l'appelaient, comme de vieilles amies
pressées de le revoir. En entendant ces vœux de sa bouche d'enfant, ses
parents furent enchantés, l'honneur de compter un prêtre étant grand
pour une famille à cette époque. Mais dans les yeux de Pasang, il avait
vu un voile, une tristesse résignée qui s'était gravée dans sa mémoire
à jamais. Elle venait de comprendre que cet être, à qui elle se sentait
appartenir, ne lui appartiendrait, à elle, jamais. Avant même qu'il eût
compris ce que sa décision impliquait, elle savait que leur union ne
resterait qu'astrale. Déjà, malgré son jeune âge, sa clairvoyance était
d'une maturité posée, acceptée. Dorje n'avait jamais regretté son choix
de vie que pour une seule et unique raison: Pasang. Et ils avaient
depuis vécu ensemble, amis, frère et sœur, fusionné dans la même
pensée, mais séparés par le mur des engagements de Dorje.

Une douleur aiguë résonna brusquement dans sa tête, le ramenant à la
réalité de la torture. Il tenta d'ouvrir les yeux, mais ils étaient
gonflés, les chairs meurtries de ses pommettes s'enflammaient à chaque
mouvement de ses joues. Il réussi néanmoins à entrouvrir ses paupières,
et discernât au travers d'un brume rougeâtre plusieurs silhouettes
l'entourant.

- Enfin, il revient à lui! Cria l'un d'eux autres. Il était temps.

- On commençait à en avoir assez de frapper! Lança un autre, hilare.

Un homme s'introduisit dans le rang de ses bourreaux, et se pencha vers
lui. Dorje ne pouvait plus garder le yeux ouverts, mais il savait,
juste à son odeur, que c'était quelqu'un de plus haut placé: il sentait
ce parfum que portaient les chinois qui venaient au temple, pour
s'entretenir avec son maître. Ceux qui ne sortaient pas de leur
bureaux, ces postes de commandement installés dans des monastères
qu'ils avaient vidés et pillés; envoyant leurs occupant dans des camps
de concentration et brûlant leurs symboles, leur livres sacrés, en un
immense autodafé. L'homme le regarda quelques secondes.

- Est-ce que ça fait longtemps qu'il est ici? Demanda-t-il.

- Deux jours, camarade Général! Répondit celui qui l'avait capturé, et frappé.

- Je veux dire ICI, imbécile! Hurla le général. Dans cette pièce, depuis combien de temps le frappez-vous?

- Je… je ne sais pas… Bredouilla l'autre, cherchant une issue de secours pour se justifier.

- Emmenez le à l'infirmerie, il a besoin de soin. Et donnez lui à manger.

- Tout de suite général!

Le soldat s'exécuta, défit les liens de Dorje. Deux autres le
relevèrent et le traînèrent hors de cette pièce où lui-même ne savait
plus depuis combien de temps il était. La cour était vide, la nuit
était presque tombée. Il était resté peut-être trois heures, voir plus.
Il avait mal partout. Il était brisé. Il se sentait vulnérable, perdu.



Pasang!



Il perdit connaissance.
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filo
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MessageSujet: Re: Sous le soleil des pagodes - I -   Sous le soleil des pagodes - I - Icon_minitimeLun 24 Sep - 9:41

Content de te voir revenir et écrire et poster à nouveau, Tanid !
En plus tu sembles tenir là une bonne histoire ; j'attends toutefois d'en lire la suite pour mieux confirmer cette appréciation.
Très bonne idée de situer ton récit au Tibet des années 50 (enfin je suppose), même si Katmandou est au Népal.
Ici quelques maladresses et quelques fautes, mais l'ensemble se lit et donne l'envie de connaître ce qui suit. Ton style se bonifie avec le temps, et l'expérience de la vie, de l'amour et de la paternité, sans doute.
J'ai notamment apprécié la technique narrative consistant à utiliser son absence pendant l'interrogatoire pour livrer un flashback et nous informer sur son passé.

Tiens ça me rappelle que j'ai connu un Tenzin du Tibet.
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MessageSujet: Re: Sous le soleil des pagodes - I -   Sous le soleil des pagodes - I - Icon_minitimeLun 24 Sep - 14:26

Très interessant récit, j'ai vraiment été emportée par cette histoire. Tout est si bien vu et réaliste...
J'attends la suite avec beaucoup d'impatience.
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MessageSujet: Re: Sous le soleil des pagodes - I -   Sous le soleil des pagodes - I - Icon_minitimeLun 24 Sep - 15:34

Merci pour vos coms tous les deux... Je vous donne la suite... Tout de
suite! Merci Filo, désolé pour les quelques fautes géographiques, j'y
suis allé avec le peu de connaissances dont je dispose... Tu me diras
dans la suite si ça s'empire ou pas :-)
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MessageSujet: Re: Sous le soleil des pagodes - I -   Sous le soleil des pagodes - I - Icon_minitime

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