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 Marianne

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Donaldo75
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Donaldo75


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MessageSujet: Marianne   Marianne Icon_minitimeSam 12 Avr - 16:57

Marianne

Je me reposais tranquillement dans mon cercueil en bois précieux quand mon valet Igor vint me déranger.
– Maître, on sonne à l’entrée principale du château.
– Quel est l’importun qui ose déranger ainsi le comte Donaldo pendant sa sieste ?
– Une femme apparemment, qui se dit représentante en assurance-vie et mandatée par son entreprise pour vous présenter les avantages de ce dispositif fiscal.
– Qu’elle brûle dans les flammes de l’enfer ! Depuis quand le comte Donaldo a-t-il besoin d’une assurance-vie ?
– Voulez-vous que je l’éconduise derechef, maître ?
– Que nenni, mon bon, nous allons nous amuser. Après tout, je n’ai pas souvent l’occasion de jouer avec des mortels. Faites-la entrer dans le salon français et dites-lui que j’arrive.

Il était vrai que je m’ennuyais un peu depuis ce jour maudit où j’avais avalé ce buvard lysergique qui, comble de l’ironie, m’avait gratifié d’un bon mal de crâne et de l’immortalité. Je n’aurais jamais dû jouer au poker avec des adeptes du gothique et du satanisme, dans des catacombes qui plus est. Mes quelques amis m’enviaient cette éternité et je leur répondais inlassablement que passer des siècles à entendre les mêmes calembours, les mêmes complaintes geignardes de mes congénères allait finir par me rendre fou ou asocial. Heureusement, je m’étais inventé quelques jeux pour me distraire.
J’avais là une occasion de varier mes plaisirs, avec une femme que je supposais grosse comme une vache et laide comme un pou, plus attachée à me vendre des salades sur les mille et une façons de gagner dix euros sur ma feuille d’imposition qu’à réellement me divertir par une danse exotique. Pourtant, je n’avais jamais vu de bovin danser et cette perspective m’enchantait d’avance.

Paré de ma plus ténébreuse tenue, je descendis le long escalier qui séparait ma chambre funéraire de l’étage dédié à mes agapes sociales, lieu particulier où je reposais mes neurones fatigués. Je bifurquai ensuite sur la gauche pour rejoindre la salle ampoulée que j’avais décidé de baptiser sous le vocable prétentieux de salon français, un soir de beuverie.
– Bonsoir gente dame, que me vaut l’honneur de votre visite ?
– Comte Donaldo, vous ne connaissez pas encore notre toute nouvelle offre d’assurance-vie et je souhaitais vous la présenter en exclusivité.
– Vous êtes trop bonne avec moi. Je ne connais, il est vrai, ni votre compagnie ni votre portefeuille de produits. Je suis fort impatient d’en savoir plus.
Je caquetai ce verbiage pompeux dans le seul but de noyer le poisson. En fait, la vendeuse était fort charmante ; une grande blonde aux yeux bleu azur, sculpturale, dotée du physique magnifié par les publicités pour les produits de beauté. De surcroît, elle me rappelait une fille, un ancien souvenir de mes années tourmentées au lycée. Il m’apparaissait indispensable d’en savoir plus sur la personne mais d’abord je devais la mettre à l’aise. Son laïus commercial semblait l’excuse appropriée pour lui donner confiance. Pendant qu’elle débitait son argumentaire, je cherchais dans mon passé à qui elle me faisait bien penser. Je ne parvenais à rien ; un mur mémoriel barrait ma recherche. Je maudis Freud et ses sbires, avec leur théorie du subconscient. Il me fallait un verre de liqueur.
– Madame, souhaitez-vous m’accompagner dans la dégustation d’une boisson plutôt rare que j’ai reçue tantôt ? Je serais honoré d’en ouvrir une bouteille et de l’inaugurer avec vous.
– Je vous en remercie mais je me contenterais d’un seul verre, car je dois conduire ce soir.
– Qu’il en soit ainsi ! Je ne voudrais pas être responsable d’un accident de la route.
Sur ces mots convenus, je sonnai Igor et lui commandai une bouteille de ce nectar fleuri qui excitait mes papilles et me rappelait que j’étais encore un humain. Mon valet revint avec deux verres en cristal et les remplit du breuvage promis.
– A la vôtre, madame !
– Santé, comte Donaldo !
Le liquide accomplit son office en moins de temps qu’il ne le fallait à le dire. Ma mémoire s’ouvrit comme jadis la Mer Rouge devant le fier Moïse. Cette belle spécialiste en assurance-vie s’appelait Marianne et nous avions bien fréquenté le même lycée. A cette époque lointaine, j’étais du genre à écouter de la musique alternative, à déclarer que le monde n’avait pas de futur et à cracher sur la Reine. Marianne était tout le contraire ; bien propre sur elle, catholique pratiquante, élève au Conservatoire, elle représentait le fruit défendu. Elle était Eve et j’étais le serpent. Je savais qu’elle se doutait que j’étais amoureux d’elle mais jamais elle ne m’avait accordé ne serait-ce qu’un regard chaleureux. Pourtant j’avais tout tenté ; j’avais changé ma garde-robe, troqué ma coupe iroquoise contre une mèche de premier de la classe, fréquenté les cours de catéchisme et même intégré la section secourisme du lycée. L’adolescent anarchiste s’était même apprêté de frusques conventionnelles.

Ce souvenir douloureux d’une année de galère à tenter vainement d’attirer son attention autrement que par des pitreries s’affichait désormais sur l’écran coloré de mon cerveau éternel.
– Au fait, je ne connais pas votre nom alors que vous semblez être bien renseignée sur moi.
– Je m’appelle Marianne Delahaye et je m’excuse de ne pas m’être présentée plus tôt.
– Je crois que nous avons fréquenté le même lycée, car votre visage me rappelle une jeune fille qui dirigeait l’équipe de secouristes de cet établissement où j’ai passé mon baccalauréat.
– C’est fort possible ; nous étions très nombreux et ces années-là me paraissent désormais lointaines.
– J’ai perdu de vue tous mes camarades de classe. Racontez-moi, chère Marianne, ce que vous êtes devenue, mais n’y voyez pas une curiosité malsaine.
Et Marianne, dans le souci de vendre ses produits fiscaux, me raconta son histoire. Elle avait bien obtenu son baccalauréat la même année que moi puis elle s’était orientée vers des études de sociologie dans la faculté catholique du cru. Pendant ces années d’étudiantes, elle avait rencontré son futur mari, banquier de son état, un croyant assidu qui lui avait donné par la suite six magnifiques enfants. Elle travaillait depuis peu pour cette compagnie d’assurance, une société allemande, parce que son époux l’avait finalement laissée tomber pour une femme plus jeune et qu’il ne daignait pas s’acquitter de la pension alimentaire. Heureusement, la vie était ainsi faite qu’elle avait su rebondir, et, la religion aidant, elle avait retrouvé un fidèle compagnon au sein de sa paroisse. Depuis, ils formaient avec leur douzaine de bambins, une belle famille recomposée comme on en voit dans les publicités pour monospaces. Je hochai de la tête à chacune des étapes de sa vie. C’était vraiment trop pathétique.

Quand Marianne eut fini, je lui proposai de signer ses documents d’assurance-vie pendant qu’elle profiterait d’une petite collation dînatoire. Elle accepta de bon cœur, me remerciant d’une si noble attention et avouant qu’elle n’avait pas l’habitude d’un si chaleureux accueil. Je l’abandonnai un instant, le temps de donner à Igor les consignes en vigueur pour cette occasion.  A mon retour, elle rayonnait de mille feux, encore plus belle que dans mes souvenirs. J’avais envie de la serrer dans mes bras, de lui crier mon amour passé, de refaire le monde avec elle.
En attendant Igor, je continuai à la faire parler de ses années au lycée, dans l’espoir futile qu’elle se souvînt de moi. J’espérai ainsi qu’elle repeignît ma mémoire des couleurs chatoyantes qui manquaient à mon adolescence, quand j’étais un crapaud mort d’amour en quête du moindre signe de la princesse charmante. Plus la conversation avançait et plus je m’apercevais que jamais à ses yeux je n’avais existé et que mon espoir d’idylle était mort dans l’œuf. Je faisais néanmoins bonne figure, cachant la triste grisaille qui envahissait mon cœur éternel. Le plus dur était qu’elle ne me demanda jamais de raconter ma vie, même pas par politesse.

Igor arriva avec un plateau de gourmandises et de boissons gazeuses qu’il déposa doucement sur la table rectangulaire. J’invitai Marianne à déguster les mets dont je vantai l’origine exotique, les vertus médicales avec force anecdotes inventées de toutes pièces par mon cerveau créatif. Je voulais l’impressionner une dernière fois, avant qu’elle ne quitte définitivement ma vie et que son souvenir revînt dans une case fermée de mon cortex cérébral.
Une heure plus tard, la belle Marianne s’endormit pour toujours. Igor transporta son corps dans la crypte du château, un endroit secret où je gardai précieusement mes trophées et mes ennemis. Je n’étais plus humain mais je le savais depuis belle lurette et le premier amour de ma vie n’avait pas voulu ranimer la flamme qui naguère brûlait mon cœur innocent de gamin romantique. Je donnai congé à mon serviteur et regagnai froidement mon berceau funéraire pour une bonne nuit de repos.
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MessageSujet: Re: Marianne   Marianne Icon_minitimeDim 13 Avr - 22:57

Cool et flippant ! Ce serait volontiers écrit par un ado revanchard, mais avec la maturité d'écriture d'un adulte... le résultat est surprenant.
Tu as vraiment beaucoup de cordes à ton arc... Very Happy 
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MessageSujet: Re: Marianne   Marianne Icon_minitimeMar 15 Avr - 22:00

Merci Constance.
Moralité: ne jamais sous-estimer l'adolescent qui sommeille en chacun de nous. Il est parfois terrible.
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MessageSujet: Re: Marianne   Marianne Icon_minitime

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