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 Histoire d'une nuit mouvementée (1)

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MessageSujet: Histoire d'une nuit mouvementée (1)   Histoire d'une nuit mouvementée (1) Icon_minitimeJeu 25 Oct - 14:51

Un désir fou de la rencontrer fit comme prévu son apparition à peine mon imagination avait-elle commencé l’ébauche de Laura. Dès le premier regard, entr’aperçu seulement, comme dans un flash, j’avais été sujet à une forte impression.

Je ne me figure pas bien comment ce flash avait fait son apparition, même si je sais bien que quelque chose l’avait forcément amené, je veux dire : de manière mécanique, comme l’orage apporte l’éclair ; mais la lumière du flash m’avait alors empêché de me disperser dans ce questionnement en concentrant tous mes sens vers elle-même. Tout ce qui gravitait autour à cet instant : mon étagère, une vieille affiche, une lampe, tout tournait aussi autour de moi, de sorte que je ne voyais rien d’autre qu’elle, ses deux yeux presque bleus, son regard ineffable. L’instant passé, je tressaillis et tombai sur mon lit –je n’ai pas de canapé et le lit était bien placé.

J’avais le souffle coupé et mon corps fut pris d’une série de convulsions violentes. Je ne peux pas évaluer avec assurance leur nombre ou la durée de la crise, étant donné le changement de perception que cet évènement impliquait, mais il n’a pas du sans doute excéder la douzaine en un peu moins d’une demi-heure. Ma respiration redevint alors régulière et ce fut bien sûr accueilli comme un soulagement. Cependant, chose étrange, je me sentis, même après ça, dans une forme tout à fait exceptionnelle. Je m’étais levé sans m’en rendre compte. Et debout, dans mon salon, j’eus des sensations physiques pour le moins excentriques. Je ne sais pas si je peux vraiment les expliquer.


Des fourmillements avaient rendu mes jambes alertes, comme celles d’un sprinteur au départ d’une course. Elles étaient tendues à l’extrême et prêtes à s’engager d’un coup, sans calcul et à tout moment, dès le coup de feu du starter. Je crois même avoir sauté trois fois de suite sur place et le plus haut possible, mais peut-être est-ce aussi un souvenir que je me suis inventé ultérieurement. Toujours est-il que les fourmillements étaient remontés jusqu’à mes mains, que je regardai avec étonnement et stupéfaction, cherchant peut-être une explication visuelle, mais toujours sans savoir à quoi pouvait servir toute cette tension, cette énergie, et je les serrai alors, immanquablement je l’avoue, comme un possédé ou une espèce de fou. A ce moment, je peux le jurer, sans raison, si l’occasion m’avait été donnée, j’aurais été prêt à me battre avec n’importe qui.

Tout cela, bien entendu, ne me plut pas du tout. Ma première idée fut d’essayer de penser à autre chose. Mais ce que je me disais surtout, ce que je me répétais, c’était qu’il y avait dans cette impression quelque chose que je ne saurais définir mais qui était absolument maléfique. Pour me convaincre de cette intuition intellectuelle, j’estimais qu’une image créée, certes sans mon consentement mais tout de même en toute conscience, bien loin de celles dont on n’a connaissance qu’en rêve et en vagues souvenirs au petit matin et qui sont les fruits de notre inconscient, non, une image créée en pleine journée, avec toute sa tête, sans arrière pensée et sous l’influence d’aucun alcool ni d’aucune drogue, ce genre d’image ne pouvait pas avoir sur son créateur un pouvoir si puissant, incontrôlable et souverain. Bizarrement, j’en concluais aussi que cette Laura devait vraiment exister. Mais ce ne fut qu’une pensée d’un instant. L’instant d’après, je fus pris d’un grand éclat de rire. Je me trouvais ridicule d’avoir pensé qu’une image pouvait avoir un pouvoir maléfique et plus encore, idiot d’avoir pu croire, quand bien même je l’avais imaginé, que Laura existait réellement. Toutefois, je devais admettre que je ne savais pas comment j’avais choisi le prénom de Laura. Il était certain que c’était son prénom, mais je ne savais pas ce qui me poussait à le dire. Ce n’était pas emprunt d’une quelconque nostalgie, puisque je n’avais connu aucune Laura auparavant. Mais ce n’était pas non plus parce que j’aimais ce prénom indépendamment des personnes. Je le trouvais d’ailleurs assez plat, sans musicalité, avec ce r qui le rendait rauque. Non, il ne me plaisait pas du tout. J’eus un autre accès de fou rire à cette pensée. Et c’est de fort bonne humeur que j’entrepris de me faire à manger.


Cette idée étira encore un peu plus mon sourire car je commençais à avoir très faim. Néanmoins, cependant que je commençai à sortir des ingrédients, le souvenir de ma crise me revint lointainement. Je ne m’arrêtais pas pour autant dans ma préparation et, pour éviter d’avoir à me pencher de nouveau sur les problèmes de la cause et de la signification de cette crise, une pensée me rappela qu’il existait au moins une maladie dont les symptômes concordaient et je décidais qu’il était donc fort possible que je sois épileptique, ce qui n’était ni une raison de m’apitoyer sur mon sort ni une raison de me faire tourner la tête. Quand le repas fut prêt, je passai à table. Si mes spaghettis n’étaient pas parfaitement cuits, mon estomac ne fit pas son difficile non plus. Je me sentis même assez bien après avoir fini mon assiette et je décidais de m’allonger un peu sur mon lit pour aider à la digestion –ou plutôt pour me reposer. Je regardais le plafond en me concentrant pour reconnaître sa couleur. D’un angle à un autre de la pièce, du gris sombre tendait vers du jaune pâle, sans que j’y voie une seule once de blanc. Ça me causait un petit problème de ne pas discerner de blanc, parce que je savais que le plafond était blanc. Pas d’un blanc parfait, c’est certain –d’un vieux blanc, je ne te le fais pas dire. Mais d’un blanc quand même ! Et là, à cause de l’ombre et de la lumière, le blanc grisait et jaunissait. Il n’était jamais pur, le blanc, parce qu’il se mélangeait toujours. Mais je pensai alors que la pureté n’était rien sans le mélange, puisqu’il étendait son sujet à l’infini.


Satisfait de cette observation, mes paupières recouvrirent mes yeux et je pus profiter d’un noir qui me convenait tout aussi bien. Je ne pus m’empêcher de tout de suite remarquer que ce noir n’avait rien de pur non plus. Mais la présence d’un rouge sombre en fit tout de suite un aspect positif. Je regardais cet amas de couleur prendre forme. C’était d’abord informe, biscornu et bizarre. Et puis je reconnus une table qui me sembla, en l’observant plus soigneusement, être en fait une bouche, dont les lèvres grossissaient d’ailleurs à vue d’œil, comme des ballons de baudruche, avant d’étrangement se muer en un canot de sauvetage pas tout à fait gonflé, abandonné, sans passagers et gisant lentement sur la mer noir. Si je ne sais plus si j’ai décidé à ce moment là de ne plus ouvrir les yeux, ce qui est sûr, c’était que je devais des sous à cet agent de police et qu’il ne devait pas me trouver, sous peine de me mettre en prison, avec tous ces gens qui en ont tué d’autres, ou les ont bastonné, volé ou escroqué ou dieu sait quoi d’autre, et avec qui je n’avais rien à faire ni rien envie de faire, puisque j’étais quelqu’un de bien sous tout rapport, que je n’avais rien fait de mal de toute ma vie, à part emprunter cet argent bien sûr, mais à l’idée d’être arrêté pour cette broutille, je ne protestais pas même une seconde car il y avait plus important : je compris que rester chez moi était dangereux, voire carrément la preuve de mon inconscience du danger et voilà pourquoi, m’en étant aperçu, j’étais parti avant que l’agent de police ne soit venu pour me chercher.


Dehors, j’arpentais les rues en courrant le long des murs. Une fois, ayant distingué des voix ou la présence de quelqu’un d’autre, je me tenais caché derrière un pylône le temps qu’ils disparaissent. Une autre fois, je dis bonsoir à un passant, en approchant ma bouche de ses oreilles vivement, et au dernier moment, et d’une si grosse voix qu’il accéléra sans se retourner ni sans répondre, tremblant de tout son long comme les branches d’un vieux sol pleureur secoué par le vent. En arrivant sur une grande place que je ne connaissais pas, je remarquai la présence d’un fourgon de police, près d’un bar. Je m’approchais alors, va savoir pourquoi, et, étant passé juste à côté du fourgon sans un regard, je rentrais dans le bar d’un air de triomphe qui ne m’allait pas et que je dissimulais d’ailleurs tout de suite derrière une expression particulièrement inexpressive dont j’avais le secret, tout en m’asseyant à une table. J’avais alors une bonne vue d’ensemble du bar tout en pouvant à loisir me dissimuler derrière ce poteau de vingt centimètres de large, si j’en ressentais le besoin. Le patron vint me servir et je commandais une pression.

Méfiant, je ne jetais des coups d’oeils qu’avec la plus grande discrétion possible. Je pus ainsi noter qu’un policier se tenait debout, dans l’uniforme habituel, appuyant ses coudes sur le bar et faisant de grands gestes en parlant au serveur. Je crois même qu’il donnait de la voix dans le seul but d’impressionner la clientèle, pour lui en mettre plein les yeux et pour lui inspirer cette espèce de fascination craintive et dégoûtée qui, après qu’il se soit résigné très tôt –souvent dès la première année et le cœur lourd, à ne pas devenir bon grâce au simple exercice de son métier, reste la seule compensation qu’il lui offre. Ce pouvoir conféré par l’uniforme au policier est d’ailleurs la source de sa corruption dans quatre-vingt-dix-neuf pour cent des cas, c’est mon idée. Ce qui ne veut pas dire qu’un policier soit pour moi forcément corrompu. Et j’essayais d’ailleurs de m’en convaincre en écoutant ce qu’il disait –des fois que.


« Et ce criminel changea de ville pour échapper aux répercussions néfastes de sa condamnation. Il coupa même les ponts avec ses relations passées. Et, une fois installé, il ne raconta sa faute à personne, affirma le policier en ponctuant sa phrase de plusieurs mouvements de tête horizontaux. Il louait une petite maison dans une banlieue, en périphérie de Nancy. Et je crois qu’il s’y plaisait bien. Il avait, d’après mes informations, peu de voisins et comme il aspirait à un certain calme, ça avait du contribuer à son bien-être. Bref, il cherche ensuite un travail. Il répond à plusieurs annonces, va à des entretiens, apprend ainsi à connaître sa ville. Mais personne ne l’engage nulle part, et ainsi de suite pendant un mois. Un soir, en rentrant chez lui d’un entretien manqué –il n’a pas encore eu de réponse mais il l’estime d’avance manqué ; bref en rentrant, il croise son voisin de droite. Il lui dit bonjour –parce qu’il est poli et ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il lui dit bonjour. Bref, il lui dit bonjour et son voisin l’invite à boire un verre. Comme il a passé une mauvaise journée, ça lui fait chaud au cœur et il accepte volontiers. Ils prennent un verre, ils discutent, ils s’entendent bien. Le voisin étant veuf, ils se revoient souvent. Ils boivent ensemble, ils discutent, ils regardent la télé et ainsi de suite. Bref, un jour, comme ils sont devenus des amis, il finit par se décider à lui raconter son histoire. Ils lui parlent de l’escroquerie, sans cacher aucun des détails dont je t’ai parlé tout à l’heure. Il lui dit tout sur tout, les larmes aux yeux. Il se confesse, dit qu’il est en conditionnelle. Bref, il a confiance en lui. »


Tout comme le policier d’ailleurs, qui se tut alors un instant pour mieux préparer son effet. J’attendais impatiemment qu’il reprenne, de même que le serveur qui avait arrêté de laver des verres et qui ne cherchait même plus si dans la salle, quelqu’un pouvait vouloir une autre consommation.


« Mais –et le policier recommença à faire de grands gestes, à partir de là son voisin devient insupportable. Une vraie teigne. Notre homme décide très vite de ne plus le voir. Mais son voisin l’insulte maintenant quand ils se croisent dans la rue. Il se moque de lui, lui tire la langue. Il lui joue même des tours : en sonnant à sa porte, en lui envoyant des lettres outrageuses, en jetant des grosses pierres dans son jardin. Il achète aussi un chien auquel il apprend à aboyer spécialement sur notre homme. Bref, un jour ce dernier n’y tenant plus, il va sonner chez son voisin pour avoir une explication. Il ne cherche pas la confrontation, il en a juste marre, ras la casquette, il veut que ça cesse et voilà ce qu’il dit à son voisin. Mais son voisin rigole et lui crache au visage. Il lui dit qu’il fait ce qu’il veut et l’encourage à le frapper : « Frappe-moi donc ! Frappe-moi donc ! », qu’il lui dit. Et il lui tend la joue. »


Puis le policier s’apaisa. Il semblait se perdre dans ses pensées. Il ajouta, comme pour lui-même, que c’était fou à quel point les gens pouvaient aimer s’embêter entre eux, et il conclut qu’il ne pouvait, en fait, tout bonnement pas s’en empêcher. Puis il but une gorgée de sa bière. Sans se presser. Il semblait vraiment la savourer.


« Et comment tout s’est terminé ? » demanda soudain le serveur toujours pas rassasié –comme moi d’ailleurs.


Le policier releva alors les yeux dans sa direction et il lui répondit, sur un ton totalement neutre :


« Et bien il l’a cogné et on l’a arrêté… Je crois bien qu’il purge sa peine sur Nancy. »


Et qu’attendions-nous de plus ? Il avait dit l’essentiel : les hommes n’arrivent pas à vivre paisiblement entre eux. Le serveur, qui l’avait certainement compris, se remit au travail. Il servait déjà un autre client du bar, un vieux monsieur mis d’un manteau de cuir, marron et avec le bout des manches qui s’effilochait.
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