Offrandes

Des sourires, fleurs écloses aux vertus contagieuses
Sourires des passants dans les rues surmenées, au milieu de la foule glissant autour de nous tel un fleuve animal
Sourire plein de fierté d'une mère qui me montre son enfant, petit lotus endormi dans les eaux calmes de ses bras
Sourire d'une élégante aux bras de son époux, sourire indulgent pour ces fous de touristes assis sur le trottoir écrasé de soleil
Sourires aux yeux liquides de jeunes épousées, dans une envolée chatoyante de saris mis à sécher sur les marches du fleuve
Sourires des gamins multitude, leurs pieds nus clapotant dans les mares d'ordures et de poussière, sourires immenses se muant en gloussements et rires et cris en voyant les photos de leurs faces hilares
Sourire timide du petit commis chez nos amis marchands, sourire le matin en nous accueillant, sourire quand il nous apporte le chai, sourire en croisant mon regard, sourire lorsqu'il amène les coupons de soie, cinquante roupies par jour et sourire quand même
Sourire taché de bétel d'une mendiante sur Meer Ghat, assise bien à son aise sous un parapluie immense, relique de l'Empire des Indes
Sourires dignes de ceux à qui l'on sert un repas gratuit, alignés en une longue et sage et pour une fois silencieuse tablée sur le sol pavé d'intempéries
Sourire amical d'un gamin accroupi, cassant du charbon pour son petit feu et son commerce ambulant
Sourires gratuits, sourires bakchich
Mais toujours sourires
Loin des faces glaciaires de ce monde nanti, notre monde abstrait de certitude
riche de ses biens et de ses vanités
Et je m'envole malgré moi vers la chaleur, le bruit, le remugle animal aux suaves lenteurs de la ville ceinte de sourires.

Qu'ils sont beaux et émouvants tous ces sourires sous ta plume délicate !
L'eau est une souce d'inspiration intarissable dans tes écrits.

La répétition du mots sourires pourrait être débattue. Je trouve qu'elle passe, pour ma part. J'aime chaque image, et j'aime la fin. En revanche je mettrais un bémol au mot "puanteur". Je ne suis absolument pas d'accord avec son choix.

Ah la la, je me doutais que ce mot te ferait tiquer, et pourtant...
Certains passages de la ville sont proprement renversants. Par exemple, dans les ghats de crémation, se mêlent les odeurs les plus suaves aux autres que l'on n'a pas du tout envie d'identifier.
C'est ce mélange complexe qui fait à mon idée l'identité olfactive de Bénarès, le pire et le meilleur. Et l'on peut s'attacher à une odeur, même si objectivement elle ne peut pas être définie comme "agréable". C'est ce qui nous y rattache qui la rend unique, touchante. Comme on respire avec délice l'odeur d'une personne qu'on aime, même si c'est aussi une odeur de transpiration...
Bénarès transpire une beauté sans âge, emplie d'une vitalité incroyable, une beauté que des milliers de mots et autant d'images ne pourront qu'effleurer. Et l'odeur fait partie intégrante de cette beauté que j'ai à peine touchée du bout des doigts.
Alors le mot "puanteur" n'était pas péjoratif, mais je vais réfléchir à trouver autre chose qui conviendrait aussi.

Le plaisir suprême, c'est de t'imaginer les dire, ces mots là, belle Constance.

Je suis du même avis que filo, je choisirais autre chose pour définir puanteur autrement. Il surprend désagréablement, alors que tout coule si bien jusque là. Disons que je ne le trouve pas "justifié". Faut réfléchir, pour savoir comment tu veux l'achever, cette poésie. Là, si tu préfères, j'ai eu l'impression que tu inversais l'intention de ton texte.

pff j'sais pas si je suis claire, là....

Bon, j'avoue que j'écris d'une traite et sans retouche, ces derniers temps. Pas beaucoup, mais quasiment sans rature.
Je n'ai donc pas réfléchi à l'impact négatif que pouvait avoir le mot "puanteur". C'est donc rectifié, même si le changement est assez étrange à mon idée. Disons que je ne réfléchis pas trop, et c'est ce qui est venu d'emblée... donc.
Cela convient-il mieux, ô grand mamamouchi ?
Merci aussi Romane, je vois bien ce que tu veux dire et ton avis est précieux pour moi.

Eh bien tu vois, c'est par-fait maintenant.

constance a écrit:

Certains passages de la ville sont proprement renversants. (...)
C'est ce mélange complexe qui fait à mon idée l'identité olfactive de Bénarès, le pire et le meilleur.

Certains, bien sûr, d'autres non. Ta phrase laissait penser que la ville pue, alors que, comme partout, il y a de tout. Un mélange, oui, du pire et du meilleur, ok. Mais pas qu'un extrême.
Ta rectification convient mieux, mouais.

Je pense au Parfum de Patrick Süskind, tout à coup.

Bon, c'est sans doute la fatigue qui fait pleurer mon coeur d'artichaut, alors je n'en dirais pas plus.
Merci pour ces beautés.

Margo.

PS: moi bien évidemment : "puanteur" ne me gène pas , au contraire, c'est le signe d'une acceptation de cet "autre" dans sa totalité.
L'amour quoi!

Margo.

Merci à tous de ces avis et commentaires précieux.
J'aime bien qu'on réagisse à mes textes, y compris si c'est pour critiquer : là par exemple, cela m'a permis d'améliorer la fin.
Par contre, je sens encore une légère réticence de la part de notre distingué Filo. Hé bé, je sais que ce n'est pas parfait, mais bon, qui l'est ?