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 Le dernier matin

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geho
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geho


Nombre de messages : 1290
Date d'inscription : 11/07/2007

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MessageSujet: Le dernier matin   Le dernier matin Icon_minitimeJeu 22 Nov - 11:22

L’émeraude du soir avait laissé place, ce matin-là sur la mer, à l’encre, un dégradé indigo sous les stratus gris déchirés de grains. Et le flot, poussé à ses pieds par le noroît, est monté entre les lignes de son carnet écrire cette histoire :



Un matin de novembre où la nuit, pour la première fois, avait marqué de blanc son empreinte sur la lande pour signifier au jour sa prise de pouvoir sombre et saisonnière, juste après la douce embellie de la Saint Martin, le vieux pêcheur est descendu sur la plage par le chemin blond des dunes.



Il ne s’arrêta pas comme d’habitude près de l’annexe pour y charger les casiers. Il est venu les mains vides.



Il a jeté son béret au vent et s’est avancé jusqu’à l’eau qui montait, jurant qu’il ne se retournerait pas et qu’il pénètrerait dans les vagues jusqu’à ce qu’elles le recouvrent et l’engloutissent au milieu des grandes algues brunes qui s’agitent lascives, dans le courant.



Il n’avait plus que souffrances physiques et ne voyait pas ce qu’il pourrait encore faire de la vie. Le sel et les embruns lui avaient mangé la peau et le corps. Seule l’animait une pensée paisible : rejoindre ce royaume liquide, profond et silencieux de l’océan, comme avant son premier jour.



Une dernière fois, pourtant, le besoin de regarder en arrière le submergea.



Il avait désespéré de tous et de tout : de la nature aux eaux indomptables,-elle lui avait repris combien de copains ?-, des poissons inconstants partis nager ailleurs, des armateurs inflexibles, des voleurs de casiers. De ses enfants ingrats, de sa femme infidèle qui n’avait pas su l’attendre, des faux amis, des hommes si souvent incapables, sans courage, sans respect et cyniques lâchant leurs déchets noirs et visqueux sur son paradis marin…



Mais à chaque fois, une petite voix intérieure au plus profond de sa peine lui avait dit d’y croire encore, comme une faible corne de brume répétant que le brouillard se lèverait. Et à chaque fois, il avait rebondi, refusé la noyade dans le rhum. Sans regret, il se dit que ce ressort d’arrière-garde lui avait permis des joies inespérées.



Chaque instant était devenu important. Il avait su tailler ses attitudes comme on taille un arbre libre, ni trop, ni trop peu. Il avait cultivé l’être plutôt que l’avoir et cette sagesse qui enveloppait sa grande connaissance de la vie, de la nature et des hommes lui avait soufflé dans la nuit : c’est ce matin qu’il te faut partir.

Il avait pris soin de sa toilette, enfilé pantalon de toile et vareuse, puis son caban bleu et posé en évidence ses derniers mots qui réglaient le détail du peu qu’il laissait : une façon d’affirmer une dernière fois son sens de la responsabilité. Maintenant il regardait une dernière fois la plage où il vit la trace de ses pas.



Lourde au bord de l’eau, l’empreinte se faisait plus légère en amont, puis espacée comme celle de quelqu’un qui court,-il n’avait pourtant fait que marcher !-, puis forçant son regard, il la vit plus courte, comme celle des pieds d’un enfant, et encore plus haut s’y mêlaient des traces de mains : celles d’un tout petit qui apprendrait à marcher !

Depuis la sortie de la dune, chacun de ses pas disait chacun de ses âges et il les revisita un par un, la mine tantôt souriante, tantôt grave.



Il s’apprêtait à faire face à la mer quand il distingua d’autres marques de pieds sur l’estran, parallèles aux siennes et jusqu’à côté de lui !



« Il y a quelqu’un ? » murmura-t-il .

« Oui, tu ne me reconnais donc pas ? Je suis le grand accompagnateur des hommes ! »

Après un instant de surprise,le vieillard s’aperçut que les traces de pas de son grand gardien étaient intermittentes…et qu’elles disparaissaient dans les moments de ses plus grandes souffrances, au fond de ses désespoirs !

La colère s’empara de lui : « comment oses-tu être ici, comment oses-tu ainsi me narguer quand dans les moments les plus durs de ma vie tu étais absent ? Va-t-en, disparais, laisse moi finir tranquille mon passage ! »



Le grand accompagnateur le serra très fort dans ses bras pour contenir sa colère, mais sans violence, comme un père aimant, et le vieux pêcheur finit par lâcher prise et se laisser aller à un doux chagrin.

« Regarde mieux, reprit le compagnon, là où tu ne vois que les traces d’une personne, tu vois les miennes et non les tiennes, car je t’ai porté ! »Le vieil homme un instant sidéré finit par sourire .



Main dans la main, ils entrèrent dans la mer et s’y enfoncèrent doucement jusqu’à disparaître, une grande risée vint effacer leur sillon dans l’eau.





Geho, d’après une histoire entendue à la radio.
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margo
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Date d'inscription : 08/07/2007

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MessageSujet: Re: Le dernier matin   Le dernier matin Icon_minitimeJeu 22 Nov - 18:14

C'était un très beau voyage!

Merci.
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