C'est un poème, en même temps qu'un essai...Filo qui veille au grain dira s'il n'est pas au bon endroit...
Matisse,un jardin de sentiments purs
C’était un beau jour d’hiver
Et il n’aurait pas fallu manquer
La chapelle.
Il y a des lieux qu’on ne peut quitter
Avant l’extrême limite de fermeture.
Comme cette exposition du centenaire de Van Gogh
A Amsterdam, le 14 juillet 1990.
La Chapelle de Vence en est aussi un
Où se dresse en lumière « l’Arbre de vie »
Dans sa haute et double fenêtre derrière l’autel.
Henri MATISSE a conçu ce lieu en son entier
A l’âge d’une vie où il se disait miraculé.
Chapelle, miracle, n’était-il pas athée ?
La clef de ce mystère
Serait-elle
La rencontre de deux chemins du sacré ?
Il y aurait au fond de chacun
Un diamant
Que les uns vont cueillir au bout de leurs prières
Et de leur oblation
Et d’autres au long d’un art cultivé avec besogne
Et entêtement.
Ils se seraient rejoints dans cette élévation claire
Quel que soit le temps
Sur une colline de Provence.
J’ai commencé par le bouquet,
Sans renoncer à regarder chaque fleur.
(Le vase s’en offrait à mes yeux,
Mais ils n’étaient pas prêts à le voir.
Passer trois ans au Cateau Cambrésis,
Sans reconnaître,
Au travers de la fenêtre de la « Desserte Rouge »
La grange briques, pierres et ardoises du voisin paysan,
Sa haie de laurier palme
Et son champ de pommiers fleuris,
Sans faire le détour au musée
Devant lequel je passais deux fois par jour,
M’a constitué une dette envers le maître)
Quinze années ont coulé quelconques
Est venue la lumière un dimanche
A Lille, palais des Beaux arts.
Dans les salles grises, un jardin
De sentiments purs
Toute la collection russe est là, exceptionnelle,
Et si rare !
Le « Coin d’atelier » m’a envahi.
Bien plus tard, je comprendrai pourquoi :
« j’ai des verts plus verts que les poires et des orange plus orange
Que des citrouilles ! »dit-il
Dans ses « Propos sur l’art ».
Et puis « Zorah sur la terrasse »
Dont la lumière rejaillit douce à l’ombre du mur bleu.
Il les a habités, cette plante et cette femme,
Les couleurs ne me quitteront plus.
Matisse,
Pourvu que l’on s’y glisse avec insistance,
Ouvre la porte aux mots.
Sorti peu à peu avec peine
De sa pauvre peau humaine,
Il est allé au bout
De la simplicité
Avec peu de moyens et tous ceux nécessaires
A extraire
De sa vision du monde un sentiment ému
Qui ruisselle en ses signes :
Le bruit d’une aile pour dire la beauté d’un vol
Le chuchotis d’une source pour son eau pure.
Ce premier janvier 2008,
Fleurit à la fenêtre la première jacinthe.
Au fond de sa fleur rose et parfumée,
J’ai relu Aragon :
Le peintre les aimait et les attendais,
En ces moments froids de l’hiver 42,
Ces fleurs qu’il saisissait d’un trait
Pour les réduire à un signe
Comme un hiéroglyphe.
Prenez le crayon et la fleur,
Essayez vous à la croquer,
C’est une douleur.
Lui faisait cela de la prendre par cœur
Et de la rendre éternelle dans tous ses états.
Il l’a fait de la femme,
Et la trempant dans l’eau de son océan
L’a sortie bleue, statue de papier gouaché…
Ou entrelacs d’encre,
Telle cette « Figure au bocal à poissons » :
Trois traits en arabesque
Font deux bras entremêlés
Où repose, tendre, le visage d’une femme,
« Ce n’est que ça », Matisse,
Trois traits pour un œil,
Trois pour la bouche,
Trois fois rien pour un tout
D’une main qui vole
De courbes en courbes « pas folles ».
Essayez vous à l’imiter
Et votre trait qui dérape livre un grotesque.
« Icare » encore en testament :
Comparez « La chute » au cœur qui explose en 1941
Sur blanc de linceul :
A nouveau la guerre et son cortège macabre,
L’homme englué dans ses vieux démons,
Et le vol d’ « Icare » :
Quelque chose m’a touché le cœur et de cette blessure
Me sont nées des ailes,
Elles m’ont emporté vers les étoiles et je n’en suis pas revenu
Car le pays des étoiles du ciel est un jardin éblouissant de lumière infinie,
Voici quelques signes que je vous laisse
Pour vous dire le voyage.
La mort, et la résurrection…peut-on encore s’étonner
De la chapelle ?
Et combien de fenêtres ouvertes ?
A Collioure, sur le port, puis pour aérer « La sieste » :
Oh la belle endormie dans sa sieste l’été,
Ses formes suggérées nous la disent alanguie
Le lin du lit est rose et la tenue légère
D’où s’étalent des chairs dans une belle pose,
Les vantaux grands ouverts sur le port de Collioure
Laissent filtrer le jour sur l’amie tendre offerte
Dans une robe verte et sur le balcon, rouge
Une femme de dos, attend debout secrète.
L’émeraude au vermillon s’oppose et autour
Les dégradés de tons harmonisent la scène
En un chant de couleurs aux notes de velours,
Le poivron, la tomate l’été nous amènent
Dans cette chambre où l’ombre joue avec le jour
Et l’air tiède du port vient souffler son haleine.
A Issy-les- Moulineaux, s’écrit la « Conversation » à trois
Où grâce à la fenêtre ouverte, les mots fleurissent rouges dans le jardin.
A Tanger, les bleus s’invitent autour du saxifrage pourpre,
Mis en scène sur la pièce d’appui.
Et puis, les vantaux de Collioure ouvrent sur une nuit cruelle
Dont on ne sait la fin,
Ce sont les temps obscurs où le noir n’est pas encore lumière :
La lumière du printemps,
En avril 16
Est blanche et froide.
Sur des champs d’horreur, là-bas,
Ils tombent par milliers
Et les pensées du peintre,
Noires,
Comme l’arbre mort au jardin,
Ont envahi le fauteuil.
Le vert de gris domine,
La vie s’est oxydée,
Même les tons chauds, cuivre rouille,
Sont ceux des feuilles mortes
Et du sang versé, froid.
Les myosotis, bouts de draps pastel
Des uniformes troués,
Rendent hommage aux martyrs,
Dans le salon silencieux le temps est suspendu au deuil.
(La Fenêtre, avril 1916)
Enfin, l’été 19 autorise «Le thé au jardin »
Mais le cœur n’est pas à la joie encore, le sera-t-il jamais ?.
Des fenêtres, il en est d’autres
Aux volets ajourés, aux rideaux et aux arbres,
Jusqu’à celui de « vie »
Dans la chapelle où le regard n’est plus au dehors
Mais vers le dedans de l’esprit,
Cette fois sans détour.