Il y a toujours autour de soi
Des objets qu’on ne voit plus
Aussi vite oubliés que choisis
Et qui manquent une fois disparus.
Pots, vases, pichets, sellettes
Chocolatière et chaudron de cuivre
Plats et tasses, les voici rangés
Sur des photos que le peintre a demandées
Avec encore quelques fauteuils, chaises et tables,
Tentures et rideaux,
Un attirail hétéroclite que le dompteur Matisse
Met en scène au milieu de ses modèles femmes
Le feutre un peu en arrière sur la tête,
Y ajoutant les fruits, les fleurs et les plantes.
Après Lille, restaient les livres
Et « Monsieur Loyal » ARAGON
De son ton romanesque m’introduit dans la ménagerie.
Difficiles relations avec la médiathèque de Tourcoing,
Fut-elle belle.
Je ne pouvais rendre ces deux tomes
D’ « Henri Matisse, Roman »
Qu’au troisième courrier de rappel.
Ma bible, ma référence de chez Gallimard,
Ne fut rééditée que douze ans plus tard,
En noir et blanc,
Un comble pour le grand coloriste,
Comme si le texte du poète devait prévaloir sur l’image !
Pourquoi ces mots de cirque ici ?
Un cirque présent tardivement dans l’œuvre avec Jazz :
« L’écuyère », « le lanceur de couteaux », « le clown »,
Et « l’avaleur de sabres », entr’autres.
Référence faite au premier sens de ménage
Comme tout ce qui constitue le nécessaire de la maison,
Et à Matisse, dompteur ou metteur en scène,
Faisant de son attirail des personnages
Sages et lisses, capteurs des lumières,
Celle des fenêtres et de deux yeux pénétrants de cristal.
Toujours l’intérieure domine
A l’opposé de l’Impressionnisme.
L’éclat des couleurs
Au-delà de la réalité
Figure les sentiments du peintre
Et les détails ne valent pas tant que l’harmonie
En relation avec le plan tableau.
Fermez à demi les yeux
Et faites le pivoter en tous sens,
Il garde un équilibre et des contrastes où chacun a sa place
Dans l’ensemble
Et pourrait vivre seul.
Une couleur seule n’est rien qu’une tache,
Toutes, elles sont orchestre
Et je vois « l’Escargot » dans sa danse majestueuse
Au fond de la Tate Gallery de Londres,
Où il efface cent toiles grisonnantes :
Oh l’escargot, quelle drôle de petite bête
Quand Matisse l’a peint aux couleurs d’une fête
Avec « des verts plus verts que des poires et
Des orange plus orange » que des potimarrons
Avec du jaune, du gris, du rouge et puis du noir,
Du violet enfin et du bleu
Qui terminent la farandole
De cette valse lente et folle…
Vivre ensemble chacun debout ?
Philosophe, Matisse ? Il a vécu deux guerres horribles.
« Les oignons roses » de Collioure attendent d’être cuisinés,
Comme ces huîtres en 1940
Pleines de gourmandise.
Des citrons font la ronde autour du saxifrage
En habit de feuilles décolleté dans son vase à godrons.
On y retrouve un air de « La danse » et la fraîcheur.
Le chaudron, dans l’hiver 42, devient sensuel
Dans sa rondeur fauve au magnolia
Qu’il étale royale au pichet d’étain pâle
Et au coquillage des îles lointaines.
Des objets ? Non. Des prétextes à sentiments
Pour un montreur d’âme.
Bienvenue au pays des merveilles,
Mais ce noir, que vient-il faire ce noir ?
Il fut mort, il est rédemption,
Par lui vient la lumière
Comme un écrin sombre magnifie la pierre
Mourir à soi, arbitraire, pour renaître à soi, transcendant.
Je l’ai lu dans le livre de « La liseuse sur fond noir » :
Une couleur à l’endroit, une couleur à l’envers,
Noir sur noir et vient la lumière,
Partez du bouquet dans son milieu,
Descendez le long du vase,
Aidez vous des pieds sur les napperons jumeaux
Pour vous hisser, tableau après tableau,
Jusqu’au miroir,
Que vous descendez en oblique
Jusqu’au cou du modèle lisant
Et vous êtes dans son livre,
Au bout d’une spirale…
Et l’escargot paraît déjà en gestation.
Et le modèle, figurant à l’égal du bouquet,
Et le miroir et le bouquet encore,
Tableaux dans le tableau comme la liseuse dans son fauteuil,
Noir sur noir, la boucle est bouclée,
Noir sur noir, la symphonie des lumières
Qu’un portier nous ouvre de son intérieur.
Coïncidence ? Dans le livre,
La liseuse et l’Escargot se suivent page à page.
Entre les deux, à nouveau, le noir des guerres.