L'ours en peluche.

« Il est dégueulasse ! » avait dit la mère.
Mais l’enfant le tenait fort dans ses bras.
Quand elle était revenue dans la chambre, elle l’avait cherché sous le lit, dans le coin noir derrière la commode.
Appuyée contre le chambranle de la porte, elle regardait la mère nager dans la marée quotidienne. Robe de chambre et pantoufles. Visage sans lendemain.
Quand le tambour de la machine à laver cessa de battre, elle vit la mère sortir le linge.
Au milieu des serviettes et des slips du père, elle l’aperçut.
Il était immobile. Muet comme une chose morte.
La mère le saisit comme on attrape un objet. Sans joie.
Munie de deux pinces à linges, elle le cloua à l’étendoir, assez haut pour que l’enfant ne puisse pas l’attraper.
Les bras ballants, désarmée, face au petit crucifié, l’enfant n’avait pas pleuré.


*J'ai essayé de rendre une ambiance, de parler de ces petits traumatismes du quotidien. J'ai conscience que mon vocabulaire est un peu limité et que j'ai déjà exploité ce genre de tournures mais dès que je rajoute un mot un peu plus sophistiqué disons et que je m'engage dans une autre forme de formulation, ça ne marche plus.
Est-ce que c'est lassant?

Non, ce n'est pas lassant... sinon, je ne lirais plus, et je laisserais encore moins de traces de mon passage.
Je trouve par ailleurs ce texte un peu différent de ce que tu fais d'habitude. C'est tout simple, une tranche de vie qu'on pourrait estimer minuscule, et néanmoins je pense quelque chose de l'enfant devrait se rappeler toute sa vie, même inconsciemment. C'est finement observé, et encore plus finement rendu, on dirait de la dentelle du quotidien.
J'aime beaucoup le "petit crucifié".

Je suis d'accord avec Constance.
Cependant, je trouve que tu aurais pu développer, et en faire un texte plus riche encore.

Citation :

« Il est dégueulasse ! » avait dit la mère.

Sentence qui appartient à l'histoire collective il faut croire !
J'apprécie énormément ce genre de petit sujet, terriblement universel au point d'en être parfois oublié dans l'écriture... Réussir à en pointer un du doigt est toujours particulièrement réjouissant et pertinent.
Mon seul tout petit regret serait, comme Filo, cette impression que tu pouvais encore dire plus, frapper plus fort dans le vrai. Il manque une micro touche pour que ton texte soit ce vers quoi il tend déjà : un instant de vie, brut, pur et jubilatoire.

Si je vous comprends bien, il faut que je me mette au boulot!
Merci à vous trois.

C'est le genre de trucs qui me vrille les tripes, ça. Alors, je n'ai pas pu résister à continuer ton histoire...

(je ne sais pas si on a le droit de faire ça, alors Filo, je compte sur toi pour supprimer mon post si nécessaire )

Juchée sur la pointe de ses pieds, en équilibre vacillant, elle tendit un index potelé au bout d’un bras rond et réussit à atteindre la patte humide. Les poils en étaient rassemblés en touffes distinctes. Ce n’était pas le doux pelage qu’elle aimait tant à frotter contre sa joue. Ça faisait comme des petits pinceaux un peu hirsutes. Elle fut prise d’une légère angoisse teintée de curiosité.
« Tu n’es plus doux.» soupira-t-elle.

En un éclair, dans son petit cerveau encore tout blanc, encore tout neuf, deux concepts naquirent : les choses peuvent changer, et alors peut-être qu’on peut changer les choses.

Elle eut bien du mal à traîner la chaise géante jusqu’au fil à linge et à l’installer au bon endroit. Parce que quand elle montait dessus, elle était toujours trop à gauche, ou trop à droite ? Enfin trop d’un côté.
Elle y parvint enfin et libéra nounours des pinces à linge qui laissèrent deux dessins rigolos sur ses oreilles.
« MON nounours » exulta-t-elle en serrant contre elle la grosse peluche mouillée.
A grand peine, elle descendit de l'escabeau improvisé en tenant nounours par une patte et courut se cacher dans son lit. Tant pis pour la chaise.

Elle s’est couchée sur nounours. Elle sent la fraîcheur de l’eau qui l’imbibe traverser ses vêtements. Elle lui murmure « Tu vas guérir, tu seras doux, comme avant… comme avant… comme avant…. »
De sa menotte crispée dépassent deux petits trophées de guerre en plastique jaune.

C'est pas bien de faire pleurer les enfants, le matin...
Trés visuel et bien écrit. Tu as vu juste.
Merci.

Juste un petit truc. "Tant à frotter" me parait bizarre : "tant frotter" plutôt, non?

Ps: je suis sûre que Filo n'effacera pas!

Non je n'effacerai pas bien sûr.

La suite de Farouche, plus positive, plus optimiste, rétablit l'impression de tragique désespoir - ou mélancolie - qui caractérise souvent tes écrits, Margo. Ecorchée, va !

Ha bon? Je ne m'en rends même pas compte.
Ce n'est pourtant pas mon but de m'en tenir au désespoir, bien au contraire!

Aimer à faire qq chose est une vieille façon de dire, mais c'est grammaticalement correct encore de nos jours. Et moi justement, j'aime à employer de vieilles tournures

"Aimer à faire", oui bien sûr!

C'est un travail intéressant de créer une suite à une nouvelle, j'apprécie beaucoup l'exercice.
Ce n'était pas simple de passer après Margo, mais tu n'as pas démérité...