Autour de la primevère acaule et de l’euphorbe des bois se pressaient les curieux amateurs de botanique. Louis, à son affaire, expliquait comment l’humus d’ici, neutre et riche, là où le jour caressait encore avant que les peupliers en feuilles ne l’habillent d’ombre, faisait un lit idéal au gaillet croisette et au lamier jaune, à la violette et à la mercuriale.
Elle était là, comme les fleurs, épanouie, et son œil de jacinthe insista, doux et souriant… Ils ne s’étaient pas revus, ou à peine, depuis ce voyage d’études en Italie, et il fallait ce bois moussu pour que l’émotion jaillisse. Les dalles noires de Naples avaient occulté l’évidence : une vraie rencontre.
Pourquoi pensa-t-il : il n’y a pas de chemin tracé, il s’invente pas à pas ? Sans doute pour laisser de côté la réalité de ce qu’il venait de quitter pour venir ici et se laisser bercer par le chant si fort de la sirène …
Sans s’être concertés, chacun prétexta une obligation pour fuir le groupe, les pervenches envahisseuses et l’anémone sylvie, et se retrouver seuls, dans cette boîte de Faraday, à l’abri. Le froid invitait au rapprochement mais la retenue les fit d’abord échanger des mots, chacun face à l’écran du pare-brise où s’étirait la petite route.
Il lui dit : « je suis ému, tu sais ? ». « Moi aussi ». Il lui prit la main, elle sursauta d’abord : « crois-tu que c’est sage ? ». « Non ». Et leurs mains se mêlèrent, puis leurs regards, puis leurs lèvres dans un baiser doux et court. « J’y vais » dit-elle, « si tu veux », lui répondit-il après un baiser plus long, moins sage. « Oui », dit-elle encore, avant que leurs mains n’accompagnent dans leurs cheveux un troisième baiser qui n’en finit pas. C’est un klaxon qui les surprit et la précipita hors de la voiture…elle s’enfuit et il pleura.
De rage. Enfin, à portée de bonheur, un peu de tendresse s’offrait et ses chaînes lui saignaient les poignets. Des chaînes cruelles, l’obligeant à faire semblant pour assumer jusqu’à leur départ les enfants. Des chaînes ancrées à un mur d’égocentrisme sans attentions, simulateur et mortel. Il prit sur lui encore se disant que si tout était écrit, il la reverrait. Il suffisait d’y penser avec énergie. Et s’il ne la revoyait pas, c’est qu’il n’avait pas fini de boucler ce qu’il devait boucler avant de passer à une autre histoire. Mais,
C’est comme un jour d’hiver au pays des lapons :
Sans jour.
Ou comme ces sables mouvants où l’on s’englue
En regardant la mer galop promettre la noyade.
Un geste et c’est pire,
Et pas la force de s’extraire.
Mais dis moi, qui t’a emmené dans ce pays de nuit
Et sur cette grève ogresse ?
Sinon toi-même ?
Cette nuit et ce sable, ne les as-tu pas enduits sur tes verres de lunette
Pour brouiller ton regard ?
Qu’as-tu donc au-dedans de toi qui t’empêcherait
D’aimer ?