07-10-07
Je me lève, et comme chaque matin, je sors pour regarder le Gange. Un singe trône sur le toit en face, c'est d'ailleurs une bagarre de singes qui m'a réveillé, avec leurs cris stridents, et leurs bruits de sauts sur les terrasses. Le soleil me chauffe déjà la peau alors qu'il est levé depuis peu.
Au bord du fleuve vert, comme tous les jours, les indiens se lavent, font leur lessive, leur vaisselle (berk), ou simplement se baignent, comme ces enfants qui crient joyeusement leur insouciance en plongeant, en cherchant à s'attraper. J'aperçois même une femme blonde parmi les baigneurs. En fait elle accomplit ce rituel tous les matins.
Des barques défilent dans les deux sens, pour la plupart des promenades en bateau (des gens qui ont dit oui au fameux "Hello, boat?").
Aujourd'hui c'est le jour S, non comme sunday mais comme surbahar. Surbahar : c'est le nom de l'instrument sur lequel je louche depuis une dizaine d'années. Il y a sept ans j'en avais repéré un, mais nous comptions encore en francs, et je ne disposais environ que d'un millier de francs par moi, c'est à dire à l'époque presque 7000 Rs, donc pas assez pour un tel instrument qui en valait 8 à 9000.
Cette fois j'ai économisé dans l'intention précise de l'acheter, vu la puissance de l'euro. Mais ici la vie et les prix ont également bien augmenté en sept ans, et le prix d'un surbahar a plus que doublé : 20 000 Rs, c'est à dire 400 €.
C'est précisément tout mon budget ; je rentrerai en France sans plus rien sur mon compte, mais après réflexion je l'ai pris, sachant que jamais je n'aurai à nouveau l'occasion de tomber sur un tel instrument.
Car celui-ci a vingt ans, il est un des derniers fabriqués à l'ancienne manière par un des derniers luthiers de la vieille tradition : Bhaiyalal Jaiswal, mort la semaine dernière. Ses deux fils Amit & Suraj reprennent l'affaire, et le prix qu'Amit m'a annoncé est apparemment en deçà de ce qu'il fallait demander, mais par honneur, il ne revient pas dessus. Il m'a annoncé un prix inférieur aux nouveaux modèles de surbahars qui ne sont plus que des gros sitars, pensant qu'étant vieux et n'ayant jamais été équipé de cordes depuis sa fabrication, il aurait moins de qualité.
En fait, une fois entièrement monté, nous nous sommes aperçu du son exceptionnel, et donc de la valeur. Ils auraient pu le vendre près de 30 000 Rs!
Voici le surbahar en question, que j'ai ramené chez moi en France Le surbahar est l'ancêtre du sitar. Il est plus gros (le mien mesure 1m65 et pèse une quinzaine de kg), et plus ornementé, et surtout beaucoup plus
grave, ce qui pour moi est déterminant. Contrairement au sitar (et aux nouveaux modèles), l'ancien surbahar comportait un trou sur la caisse sous les cordes, pour une meilleure résonance, et un manche creux immense et large, sculpté en tête de dragon.
Clik sur l'image pour écouter le son du surbahar Peu de musiciens classiques ont enregistré des oeuvres au surbahar, privilégiant le jeu plus volubile et cristallin du sitar, d'un jeu plus facile et léger. Pourtant Ravi Shankar et Imrat Khan ont produit de magnifiques pièces, que j'ai bien sûr en CD.
Enayet Khan (1894-1938) au surbahar, père du fameux joueur de sitar Imrat Khan Nous étions venus au "Ravi Classical Music Centre" il y a quelques jours, et j'avais repéré cette merveille, et avais mis une option dessus, malgré son état poussiéreux et son absence d'équipement (cordes, sillet, clés, chevalet, etc...). Amit, encore en deuil, m'avait plutôt conseillé le modèle plus récent (il n'y en avait que deux de toute façon), flambant neuf, soi-disant meilleur mais un peu plus cher. Je me suis plutôt concentré sur le vieil instrument et l'ai négocié à 18 000 Rs. Nous avions donc rendez-vous aujourd'hui pour le voir enfin monté et nettoyé, l'essayer, le payer.
J'ai retiré tout l'argent juste avant d'y aller, à la carte bleue, et nous avons bu le chaï, avons essayé l'instrument, je l'ai payé et ai commandé la fabrication d'une fly-caisse adaptée qui je l'espère résistera au voyage en soute d'avion. Je viendrai chercher le surbahar et sa caisse dans une semaine.
Le frère du vénéré luthier feu Bhaiyalal est venu jouer sur mon instrument nouvellement acquis, à ma demande, pour une démonstration, et je l'ai filmé,
voici un extrait (c'est le son de mon instrument!!!!!!). Le jeune à casquette qu'on voit en fin de vidéo est Amit, 20 ans.
Nous avons commandé du pan pour fêter ça (pan : feuille pliée qui se mâche, contenant de la noix d'arec, du bétel, de la chaux, du tabac ou non, et autres ingrédients. Cela produit un jus rouge qu'il faut cracher. De nombreux hommes ont ici une addiction au pan, comme en Europe la cigarette), et nous nous sommes donné rendez-vous pour lundi 15, dans une semaine.
Voici du pan. Il s'agit de la petite feuille à gauche.
La grande ne sert que d'emballage ou présentation, avec les assaisonnements optionnels Ce soir, pour voir, nous avons mangé à l'hôtel, une sorte de rizotto (biryani) appelé "Kashmiri pullao", divinement délicieux, et à dessert du curd (fromage blanc baratté et fermenté, genre faisselle) aux fruits frais. Je me suis régalé !
J'ai commandé un tea massala et, arg! plus épicé que le mien !
Chez moi, tout à l'heure. A côté de moi au centre, le sitar. On peut constater la différence à suivre