Deuil paisible

Ma vie d'avant toi n'est presque plus. Quel deuil paisible que ce passé sans toi qui fond doucement et s'estompe, se décolore...
J'y abandonne sans regrets des lèvres qui mangèrent les miennes, des doigts qui visitèrent les paysages de mon corps, des mots qui ne me parviennent plus que comme un écho trop longtemps répercuté et qui ne me dit plus rien qu'un murmure confus. Je deviens cette nouvelle vie, celle depuis toi et les vieux fantômes s'enlisent dans les marais fangeux de ma mémoire.
Je ne l'ai pas voulu, je n'ai pas non plus lutté contre. Ton empreinte est si forte. Comme le lourd marteau de la forge, elle a comprimé les autres sillons, les a dissous en elle. Mon corps tout entier est tatoué à ton nom.
Tu me traverses comme un carreau d'arbalète, encore et encore, tu me découpes en mille morceaux de moi, et chaque jour je repousse un peu plus mienne, un peu plus ressuscitée ; comme l'osier clair éclate sous la branche morte, sèche et froide.
Je conjugue le verbe mon âme, ton âme, notre âme.
Ce calice auquel je bois, ce sont tes mains ouvertes en coupe.

*************

Que vous inspire ce court extrait ?

J'aurais pu dire cela, si j'avais été un très bon écrivain, j'aurais aimé l'écrire en tous cas.
Je l'ai pensé, et plus encore.
Mais quand tout le passé s'est dissous dans le clair d'un regard, puis que ce regard vous quitte, il ne reste plus du coup ni passé, ni présent, ni avenir. Voilà ce que m'inspire ce texte.

Merci Constance pour ton commentaire. Il semble donc que ce texte projette pour toi une aura de douleur à venir. Mais ce sentiment vient-il d'un vécu ou tout simplement des mots qui contiennent en eux-mêmes le danger potentiel ?

On dirait du Marcel Moreau au féminin, mais désespérément nostalgique de l'amour enfui, perdu.
Très bien écrit, puissant, des images & métaphores carrément poétiques...
Littérairement c'est magnifique, mais ça sent les regrets.

Extrait de quoi ?

Extrait d'un roman presque fini, puis délaissé, puis repris, puis abandonné pour cause de mièvrerie incurable. (J'ai gardé les quelques pages qui ne méritaient pas la poubelle, c'en est une)

J'aime beaucoup l'idée de faire le deuil de ce qui s'est passé "avant lui". Ca fait sourire, ça fait rêver.

Marcel Moreau, rien que cela ! Filo te fait là un grand compliment, mais je le trouve mérité.
Si tu condenses ton roman avec les passages équivalents en qualité à celui-ci, ce serait une splendeur que je suis prête à te commander immédiatement.
Quant à ta question, généralement, je parle de choses que je connais, et que j'ai vécu.

Je me sens honorée en effet, et d'autant plus obligée d'avouer n'avoir jamais lu un livre de Marcel Moreau (il vient s'ajouter à l'incommensurable liste de mes lacunes)

Je ne sais pas ce que je ferai de ces quelques pages, mais elles ont survécu à l'autodafé, elles trouveront peut-être leur place un jour quelque part...

Merci de tout coeur, ces compliments me touchent, surtout quand je doute de la qualité de ma production.