Au long des berges

[size=12][/size] Marcher l’inspire. Ce balancement lent et rythmé, écho du bercement originel dans la chaleur d’un ventre puis dans les premiers bras protecteurs. La première assurance d’explorateur, d’aventurier, de domination sur l’espace et sur soi. Marcher !

Mais la plupart des chemins sont chaotiques, encombrés de pierres où il trébuche, de merveilles dont il s’entiche, de carrefours incertains et dans la ville, d’obstacles qu’il voudrait maintenant éviter : des yeux qui accrochent, des vitrines offertes, les odeurs factices, la bousculade et les cris, ceux des affiches contre ceux des mendiants.

La plupart des chemins dissipent.

Il veut marcher comme il respire, automate, suivre dans le même temps le chemin du dedans, en paix.

Il s’est écrié : le canal ! Un canal va tout droit et son halage est lisse. Un canal régule, il écluse et il n’essouffle pas comme un col. Un canal se perd et s’oublie tant il ressemble toujours à un canal. Il est désert, il se tait, s'étire et se tapit dans la brume, étale et interminable.

Enfin, il semble interminable, mais sa mesure serait la bonne : elle est ouverte, ne montre pas de fin trop immédiate ni d’infini angoissé de son point d’interrogation.

Le long d’un canal, il marchera en lui.

Au premier pont, il descend. Le canal est toujours sous le pont. A Anvers, il a vu l’inverse, une fois, en a gardé l’angoisse de l’ordre des choses à l’envers. Un canal, c’est sous un pont et de la route qui le croise, le charme envahit de la langueur de doux voyages.

Au premier pont, il se met en marche. Le canal est lien, de la mer à l’océan, d’un port à l’autre. Il ronronne de péniches grasses où s’entassent les cargaisons inertes. Entre ses berges égales, le temps prend le temps, le temps vagabonde calme et rassuré.

Il envie l’éclusier qui voit venir de loin et permet le passage. A demeure il attend, veilleur d’eaux tranquilles, et il peut penser.

Le canal est en balance sur le partage des eaux. Il a tracé sa route par les meilleurs compromis utiles à son équilibre entre étiage et crue. Le canal est sage et soigne ses sources, fidèle époux du relief.

Le canal est binaire par l’aval et son contraire qui s’inversent crête franchie. Il ne se perd pas en carrefours, ni ne s’égare à dévier.

Il y suivra son fil intérieur sans détour bien qu’il n’ignore pas la partialité de sa représentation. Il n’a vu les canaux que des ponts, que connaît-il de leurs méandres et de leurs surprises ? Des réalités de raccroc, un fil de cerf-volant, qui lui tiendront les pieds au sol.

J'approuve (des deux pieds) la définition que tu donnes de la marche...
Et les canaux, j'aime les canaux (j'aime tous les cours d'eau)
"Le canal est binaire par l'aval et son contraire qui s'inverse crête franchie"
C'est rassurant un canal, paisible et sûr...
Marcher le long de ses berges apporte une paix profonde.
Dessus aussi c'est agréable de s'y ballader, se retrouver dans une écluse est une expérience qu'on n'oublie pas. (Canal du Midi à Carcasonne)

RV sur les berges du canal de Nantes à Brest...

Quand tu veux, Morgane. J'ai dans la tête de faire celui de la Manche à l'océan et pourquoi pas, celui dont tu parles. Soit d'une seule traite en plusieurs jours, soit un bout à la fois. Rien de plus tranquille pour faire des voyages intérieurs.

Je ne pense pas souvent aux canaux, et tu m'as fait voyager paisiblement, geho, moi qui ne regarde que les tourments de l'océan.
J'ai eu quelques bouts de voyage le long de ces canaux, mais jamais bien longtemps. Ils provoquent en moi une sorte d'angoisse, l'angoisse de la lenteur.
Je n'ai jamais eu, à la réflexion, que des pensées agitées, un flux sauvage à l'image de cet océan que j'aime tant, sauf peut être une courte période où j'étais complètement en paix.
Alors ces canaux qui paressent au soleil me laissent une impression étrange : j'ai l'impression à chaque tournant d'une vie arrêtée que j'aimerais connaitre, que chaque maison abrite une entité énigmatique et enviable, que cette femme qui étend son linge en souriant pourrait être un autre moi.
Je crois que la lenteur des canaux me renvoie à mon incapacité à me fixer, ou à retenir ce qui pourrait me fixer et me rendre heureuse. Ou aux aléas de la vie qui font que je ne serai pas cette femme qui étend son linge en souriant, au bord d'un canal paisible.
La profondeur de ta réflexion, geho, provoque d'autres réflexions, c'est en cela que l'on reconnait, entre autre, la vraie qualité d'un texte.

J'aime l'eau, quelle que soit la façon dont elle se présente avec bien sûr une grosse préfèrence pour la mer qui est l'aboutissement et la matrice de toute eau...
J'ai pensé au canal de Nantes à Brest parce que le voir m'a donné envie de le suivre.
Il traverse une campagne magnifique, je ne dirais jamais assez que l'intérieur de la Bretagne, méconnu des touristes, est aussi beau que ses côtes, d'une beauté différente...
Tu as raison Geho, la "lenteur" approfondit le voyage intérieur tout voyage est aussi intérieur sinon il n'est pas voyage.
Alors, oui, quand tu veux...

C'est bien un des problèmes de notre époque , Constance, que de ne plus faire l'éloge de la lenteur. Pourtant, sans elle, rien ne se construit durablement: ne met-on pas 25 ans à finir notre maturation physique, pour ne parler que de celle-là.
Il y a pas loin d'ici, un festival de la lenteur: "les gens du lent" à Landujan (sic). Je vous donnerai les dates quand je les saurai. C'est bien sûr, fait avec humour.
Je crois que la lenteur est l'avenir du monde: quand on se sera rendu compte qu'il faut prendre à l'envers la formule: "le temps c'est de l'argent". Il faudrait qu'elle devienne: "prendre le temps c'est de l'argent".
Pour cela, la crise monétaire actuelle est une chance d'inverser la spirale, mais saura-t-on la saisir?